Il y a des matchs qui ne meurent jamais. Des soirées où le foot dépasse le simple sport pour devenir une expérience presque mystique. Le 6 mai 2004, demi-finale retour de Coupe UEFA, Olympique de Marseille contre Newcastle United : voilà exactement ce genre de nuit. Même aujourd’hui, quand on ferme les yeux, on entend encore le bruit. Ce grondement sourd qui montait des tribunes, comme si le Vélodrome tout entier reposait sur un volcan prêt à exploser.
Et au centre de cette fournaise, un homme. Un seul. Didier Drogba.
Une soirée gravée dans le marbre marseillais
0-0 à l’aller à St James’ Park. Un score qui laissait tout ouvert, mais qui mettait une pression énorme sur les épaules phocéennes. Newcastle version 2004, ce n’était pas n’importe qui. Alan Shearer en pointe, un milieu costaud, une défense rugueuse made in Premier League. En face, un OM 7e de Ligue 1, largué par Lyon, qui vivait pourtant sa plus belle aventure européenne depuis des lustres.
Personne n’était vraiment favori. Sauf le public marseillais.
« Quand on est venus reconnaître la pelouse, puis à l’échauffement, on savait déjà qu’on ne pouvait pas perdre. »
Laurent Batlles, passeur décisif ce soir-là
L’ambiance ? Indescriptible dès l’entrée des joueurs
J’ai beau avoir vu des centaines de matchs au Vélodrome, je n’ai jamais ressenti ça ailleurs. Les joueurs eux-mêmes étaient portés avant même de toucher le ballon. José Anigo, alors entraîneur intérimaire, avait tout compris : faire arriver l’équipe très tôt pour s’imprégner de cette folie. Pas besoin de grande causerie. Le stade parlait pour lui.
Les tribunes entièrement blanches, les chants qui ne s’arrêtent jamais, cette impression que le béton tremble sous les sauts coordonnés. Brahim Hemdani, reconverti libéro ce soir-là, se souvient encore : le stade était comme posé sur un volcan. L’expression est parfaite.
Le premier but : une œuvre d’art signée Drogba
18e minute. Centre venu de la droite. Didier Drogba, dos au but, à vingt-cinq mètres. Ce qu’il fait ensuite défie la logique. Contrôle orienté du gauche, retourné acrobatique du droit, ballon qui file en lucarne. Shay Given est battu, le Vélodrome explose.
« Le geste de Didier, c’est presque du jamais vu. Il a fait entrer ce match dans la légende du club. »
Laurent Batlles
Ce but, ce n’est pas juste un 1-0. C’est une déclaration de guerre. C’est le moment où tout bascule. Newcastle ne s’en remettra jamais vraiment.
Le deuxième : la qualification scellée dans la lave
82e minute. Laurent Batlles, tout juste entré en jeu, récupère le ballon côté droit. Petit festival, centre au second poteau. Drogba, encore lui, place une tête rageuse. 2-0. Le volcan entre en éruption définitive.
À partir de là, plus rien n’existe. Les joueurs de Newcastle errent sur la pelouse comme des âmes en peine. Les Marseillais, eux, volent. Fabien Barthez, capitaine d’un soir, hurle, pleure presque. Mathieu Flamini court partout. Abdoulaye Méïté et Brahim Hemdani tiennent la baraque derrière comme des lions.
Une équipe de guerriers, pas de stars (sauf une)
Ce qui rend cette soirée encore plus belle, c’est la composition de cette équipe. Pas de Galactiques. Pas de budget fou. Juste des mecs qui se battaient pour le maillot.
- Barthez dans les buts, en fin de carrière mais toujours classe mondiale
- Une défense Méïté-Hemdani-Ferreira, solide comme du roc
- Un milieu Flamini-N’Diaye-Batlles, infatigable
- Et devant… Drogba en train de devenir le monstre qu’on connaît
Le reste ? Du cœur, de l’envie, et un public qui poussait comme jamais.
Le parcours avant cette demi-finale : déjà du très lourd
Il ne faut pas oublier d’où venait cet OM. Éliminé en phase de groupes de Ligue des Champions (avec Porto futur vainqueur et le Real Madrid dans le groupe), reversé en UEFA. Et ensuite ?
- Dnipro et le froid ukrainien
- Liverpool en huitième (1-1, 2-1)
- L’Inter Milan en quart (1-0, 0-1, qualification à San Siro sans Drogba suspendu)
- Puis Newcastle
Autant dire que la demi-finale n’était pas arrivée par hasard.
Et après ? Göteborg et la cruelle finale
La qualification contre Newcastle propulse l’OM en finale à Göteborg. Face à Valence, ultra-favori. On connaît la suite : 0-2, une leçon espagnole. Mais même cette défaite n’efface rien. Cette campagne 2003-2004 reste l’une des plus belles de l’histoire récente du club.
Drogba partira à Chelsea l’été suivant pour 38 millions d’euros. Le début d’une carrière stratosphérique.
Mardi soir : le destin remet les pendules à l’heure
Vingt-et-un ans plus tard, Newcastle revient au Vélodrome. En Ligue des Champions cette fois. Les Magpies sont solides, bien classés en Premier League. L’OM, lui, vit une saison compliquée en championnat. Mais on connaît la musique.
Quand le Vélodrome sent le sang, il devient invincible. Quand il se met à chanter comme en 2004, plus rien ne l’arrête.
Didier Drogba ne sera pas sur la pelouse, mais il sera dans toutes les têtes. Dans chaque chant. Dans chaque frisson.
« Ce n’était pas n’importe quelle équipe en face. Tout était réuni pour nous. »
Brahim Hemdani
Alors oui, mardi soir, ce sera différent. Les joueurs, l’époque, la compétition. Mais quelque part, dans les travées du Vélodrome, le volcan dort encore. Il suffit d’un but. D’un geste fou. D’un héros inattendu.
Et si l’histoire se répétait ?
Allez l’OM.
