Il est six heures du matin quand les premières nouvelles tombent. Dans le silence glacial du sud syrien, un village paisible jusqu’alors vient de basculer dans la violence. Dix morts, des femmes, des enfants, des maisons effondrées. Et au milieu de ce chaos, une annonce laconique de l’armée israélienne : une « opération d’arrestation » contre des suspects. On croit rêver… ou plutôt cauchemarder.
Je suis resté scotché devant les images qui circulent. Des gravats, des cris, des proches qui creusent à mains nues. Et en parallèle, le communiqué militaire qui parle d’« échanges de tirs » et de soldats blessés. Comment en est-on arrivé là, un an presque jour pour jour après la chute du régime précédent ?
Une incursion qui ne passe pas inaperçue
Ce n’est pas une simple frappe aérienne, comme Israël en mène des centaines depuis des années. Non. Cette fois, des unités au sol ont franchi la ligne de cessez-le-feu de 1974. Des soldats ont pénétré dans le village de Beit Jinn, à une cinquantaine de kilomètres de Damas, en pleine nuit. L’objectif officiel ? Neutraliser des membres d’un groupe présenté comme une menace directe.
Le nom qui revient sans cesse : Jamaa Islamiya. Un mouvement que beaucoup associent surtout au Liban, mais qui a aussi des ramifications en Syrie. Allié historique du Hamas, il est accusé de préparer des actions contre des civils israéliens depuis le sud syrien. C’est en tout cas la version officielle.
« Des suspects menaient des activités terroristes contre des civils de l’État d’Israël »
Communiqué de l’armée israélienne, 28 novembre 2025
Mais sur place, la réalité semble bien plus nuancée. Les autorités syriennes parlent d’une « agression barbare » et dénombrent déjà dix corps sortis des décombres. Des familles entières touchées. Des enfants. Et d’autres personnes toujours coincées sous les ruines au moment où j’écris ces lignes.
Beit Jinn, un village au cœur des tensions
Si vous ne connaissez pas Beit Jinn, c’est normal. Ce petit village druze et sunnite, perché dans les montagnes à l’ouest de Damas, n’a jamais fait la une… jusqu’à aujourd’hui. Sa position stratégique est pourtant évidente : à vol d’oiseau, il est à peine à quelques kilomètres de la zone sous contrôle israélien sur le Golan.
Depuis la chute du régime précédent fin 2024, cette région est devenue un échiquier particulièrement sensible. Les anciennes structures de sécurité se sont effondrées, laissant place à un vide que différents groupes cherchent à combler. Et Israël, on le sait, n’a jamais vraiment digéré l’idée de voir des mouvements hostiles s’installer à sa porte.
- Situation géographique : à 50 km de Damas, visible depuis certaines positions israéliennes
- Population mixte druze/sunnite historiquement plutôt neutre
- Proximité immédiate avec la zone démilitarisée de 1974
- Augmentation des activités de groupes armés depuis un an
Ce qui frappe, c’est la violence de l’opération. On ne parle pas d’une frappe chirurgicale depuis les airs. Des soldats ont débarqué, il y a eu des combats au sol, six militaires israéliens ont été blessés – trois gravement. Ça veut dire que ça a duré. Que ça a été intense.
Le contexte régional a tout changé
Pour comprendre pourquoi ça arrive maintenant, il faut remonter un peu en arrière. Fin 2024, le régime syrien s’effondre. Un nouveau pouvoir islamiste s’installe à Damas. Pour Israël, c’est la pire nouvelle possible : un allié potentiel du Hamas et du Hezbollah à quelques dizaines de kilomètres de ses frontières nord.
La réponse ne s’est pas fait attendre : centaines de frappes aériennes, occupation progressive de la zone tampon sur le Golan, et maintenant des opérations au sol. On est clairement passé à une phase supérieure.
Ce qui est intéressant – et franchement troublant –, c’est que dans le même temps, des discussions secrètes ont lieu. Oui, vous avez bien lu. Pendant l’été 2025, des contacts de haut niveau ont été établis, avec la médiation française et américaine notamment. L’idée ? Trouver un accord de sécurité pour calmer le jeu.
Le premier ministre israélien pose ses conditions : une démilitarisation totale du sud syrien, de Damas jusqu’à la ligne de 1974. En gros, un no man’s land de plusieurs dizaines de kilomètres où aucune force hostile ne pourrait s’installer. C’est énorme. Et évidemment, ça coince.
Entre diplomatie de façade et démonstration de force
Ce qui s’est passé à Beit Jinn, c’est peut-être exactement ça : une démonstration de force au moment où les négociations patinent. Le message est clair : « Si vous ne nous donnez pas les garanties que nous voulons par la voie diplomatique, on viendra les prendre nous-mêmes. »
Et le timing n’est pas anodin. On est en pleine période de tensions régionales extrêmes : la situation à Gaza reste explosive, les incidents se multiplient en Cisjordanie, le Hezbollah reste une menace permanente au nord. Dans ce contexte, Israël semble décidé à sécuriser toutes ses frontières, coûte que coûte.
« Le nombre de martyrs de l’agression israélienne contre Beit Jinn est passé à 10, dont des femmes et des enfants »
Télévision d’État syrienne, 28 novembre 2025
Cette phrase, aussi officielle soit-elle, résonne particulièrement. Parce qu’elle rappelle une réalité brutale : dans ce genre d’opérations, les « dommages collatéraux » ont un visage. Des familles détruites en quelques minutes.
Les questions qui dérangent
Maintenant, posons-nous les vraies questions. Était-il vraiment nécessaire d’envoyer des troupes au sol pour arrêter quelques suspects ? N’y avait-il pas d’autre moyen ? Et surtout : comment justifier la mort de civils, dont des enfants, dans une opération présentée comme « ciblée » ?
J’ai beau tourner ça dans tous les sens, quelque chose cloche. Quand on connaît la précision technologique israélienne, on se demande comment une opération d’arrestation peut se transformer en carnage. Est-ce que les renseignements étaient mauvais ? Est-ce qu’il y a eu une résistance plus forte que prévue ? Ou est-ce que, tout simplement, la vie des civils syriens pèse moins lourd dans l’équation sécuritaire israélienne ?
Je ne porte pas de jugement hâtif, mais force est de constater que ce genre d’opération soulève toujours les mêmes interrogations. Et les réponses, on les attendra probablement longtemps.
Vers une escalade incontrôlable ?
Ce qui m’inquiète le plus, c’est la dynamique dans laquelle on s’engage. Chaque action appelle une réaction. Déjà, des voix s’élèvent à Damas pour promettre des représailles. Des groupes armés risquent de se mobiliser. Et on sait tous comment ça peut finir.
Le sud syrien pourrait devenir un nouveau front chaud. Un de plus. Alors que la région est déjà saturée de conflits, que Gaza continue de brûler, que le Liban reste sous tension permanente. À un moment, il faudra bien que quelqu’un appuie sur pause.
Mais pour l’instant, on est dans la logique du pire. Et Beit Jinn, ce petit village dont personne ne parlait hier, vient d’entrer dans l’histoire par la pire des portes.
Des enfants sous les décombres. Des soldats blessés. Des familles détruites. Et au milieu de tout ça, la grande géopolitique qui continue son chemin, imperturbable. Parfois, je me demande si on finira par comprendre un jour où tout ça nous mène.
En attendant, dix familles syriennes pleurent leurs morts. Et quelque part, dans les montagnes du Golan, la nuit a été plus longue que d’habitude.
