Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller avec cette sensation lourde que quelque chose vient, encore, de basculer au Proche-Orient ? Moi oui, ce matin du 26 novembre 2025, en découvrant les premières images de blindés roulant dans la nuit vers Toubas et Tammoun. Une « vaste opération antiterroriste », dit-on côté israélien. Des raids brutaux sur des civils, répond-on côté palestinien. Comme toujours, la vérité se situe quelque part entre les deux, mais une chose est sûre : la Cisjordanie ne connaît toujours pas la paix promise par le cessez-le-feu à Gaza.
Je vais essayer de vous raconter ça calmement, sans parti pris affiché, mais avec le maximum de clarté. Parce que ce qui se passe là-bas mérite qu’on prenne le temps de comprendre, au-delà des titres choc.
Une nouvelle opération qui n’a rien d’une surprise
Quand on suit le dossier depuis des années, on sait que le nord de la Cisjordanie, particulièrement la zone Toubas-Jénine-Naplouse, est devenue ces derniers mois un foyer de tension permanent. Les groupes armés y ont repris du poil de la bête depuis l’automne 2023, profitant à la fois de l’effondrement de l’Autorité palestinienne dans certains secteurs et du sentiment que « tout est permis » après le 7 octobre.
L’armée israélienne, elle, répète depuis longtemps qu’elle ne laissera pas se reproduire le scénario du sud-Liban 2006 ou de Gaza avant 2005 : un territoire où des factions armées pourraient s’implanter durablement et menacer les villes israéliennes à portée de fusil. D’où ces opérations coup de poing régulières.
Mais celle-ci, lancée dans la nuit du 25 au 26 novembre, a une ampleur différente. On parle de plusieurs localités touchées simultanément : Toubas, Tammoun, Tayassir, et surtout le camp de réfugiés de Faraa, déjà ciblé plusieurs fois cette année. Les autorités locales palestiniennes évoquent même l’emploi d’un aéronef et de mitrailleuses lourdes sur des zones habitées. Des images difficiles à vérifier circulent, mais l’intensité semble réelle.
Pourquoi maintenant ? Les hypothèses qui circulent
Plusieurs éléments permettent de comprendre le timing.
- Le cessez-le-feu à Gaza tient (pour l’instant), ce qui libère des moyens militaires côté israélien.
- Des renseignements précis sur des cellules en train de se structurer dans le nord, avec possible transfert d’armes depuis la Jordanie ou le Liban.
- Une volonté politique de montrer que la « victoire » annoncée à Gaza ne sera pas suivie d’une tolérance ailleurs.
- Enfin, la montée en puissance des violences de colons, qui crée une pression interne pour que l’armée « fasse le ménage » avant que la situation ne devienne ingérable.
Personnellement, je penche pour un mélange de tout ça. L’aspect le plus inquiétant reste la coordination : plusieurs villes et camps frappés en même temps, c’est une démonstration de force claire.
Le camp de Faraa, encore et toujours
Si vous n’avez jamais entendu parler du camp de Faraa, imaginez un quartier de 8 000 habitants entassé sur moins d’un kilomètre carré, avec des ruelles si étroites que les véhicules blindés ont parfois du mal à passer. C’est là que se concentrent une bonne partie des frustrations et de la résistance armée dans le nord.
En février 2025 déjà, une opération avait provoqué le déplacement de centaines de familles. En septembre, d’autres frappes avaient été justifiées par la préparation d’attentats. À chaque fois, le même schéma : arrestations, destructions d’infrastructures, et des morts des deux côtés.
« On vit dans la peur permanente. On sait que ça reviendra, on ne sait juste pas quand. »
– Un habitant du camp joint par téléphone en septembre dernier
Six mois plus tard, le cycle reprend. Et il est difficile de ne pas y voir une forme d’usure délibérée.
Le cessez-le-feu à Gaza change-t-il quelque chose ? Pas vraiment
On pouvait l’espérer, naïvement peut-être. Depuis l’entrée en vigueur de la trêve le 10 octobre, les regards étaient tournés vers le sud. Reconstruction, retour des otages, négociations indirectes… Mais en Cisjordanie, rien n’a vraiment baissé d’un cran.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus d’un millier de Palestiniens tués depuis octobre 2023, dont une large partie en Cisjordanie. Côté israélien, plusieurs dizaines de victimes dans des attaques ou lors d’opérations. Le cessez-le-feu n’a pas désamorcé la poudrière, il l’a juste rendue plus silencieuse pendant quelques semaines.
Pire, certains observateurs notent que la relative accalmie à Gaza a permis à certains groupes armés cisjordaniens de se réorganiser tranquillement. D’où, peut-être, la décision de frapper fort maintenant.
Les colons, l’autre guerre qui continue
Impossible de parler de la Cisjordanie en 2025 sans évoquer la question des colons. Le mois d’octobre a battu tous les records de violences depuis vingt ans selon les rapports onusiens. Attaques contre des villages, destruction d’oliviers, routes bloquées… Et parfois pire.
Le 10 novembre, un Israélien était tué près de Bethléem dans une attaque au couteau. Réponse immédiate des colons dans les environs. Le cercle vicieux classique.
Ce que beaucoup oublient, c’est que ces violences ne sont pas seulement le fait de jeunes extrémistes. Elles s’inscrivent dans une politique plus large d’expansion des implantations, parfois encouragée ouvertement par certains ministres. Et quand l’armée intervient, elle doit jongler entre protéger les colons et contenir les réactions palestiniennes. Un équilibre impossible.
Et demain ? Trois scénarios possibles
À l’heure où j’écris ces lignes, l’opération est toujours en cours. Difficile de prédire la suite, mais voici ce que je vois venir :
- Scénario court : quelques jours de raids, arrestations ciblées, puis retrait. C’est ce qui s’est passé plusieurs fois cette année.
- Scénario médium : l’opération dure plusieurs semaines, avec bouclage de zones entières et destructions importantes. On a déjà vu ça à Jénine en 2023-2024.
- Scénario long : une présence militaire renforcée et semi-permanente dans le nord, comme certains généraux le réclament depuis des mois. Le plus dangereux politiquement.
Pour l’instant, on semble partis sur le premier ou le deuxième. Mais rien n’est jamais écrit d’avance là-bas.
Ce que cette opération nous dit du conflit en 2025
Plus que les détails militaires, c’est peut-être ça le plus important. Cette opération montre que deux ans après le 7 octobre, on est toujours dans la même logique : gestion sécuritaire au jour le jour, sans vision politique. Côté israélien, on continue de croire que la pression militaire finira par étouffer toute résistance. Côté palestinien, la fracture entre Gaza et Cisjordanie n’a jamais été aussi grande, et l’Autorité palestinienne apparaît plus faible que jamais.
Et pendant ce temps, la population civile – des deux côtés – paie le prix. Des familles déplacées, des jeunes qui grandissent dans la haine, des soldats qui rentrent traumatisés. Le cercle est connu, mais personne ne semble savoir comment le briser.
Je terminerai sur cette note, un peu sombre je le reconnais : tant qu’il n’y aura pas de projet politique crédible des deux côtés, ces opérations se répéteront. Avec des noms différents, des cibles différentes, mais toujours le même résultat. Et nous, on continuera à écrire les mêmes articles, année après année.
Mais peut-être que je me trompe. Peut-être que cette fois sera la dernière. On peut toujours l’espérer.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 à 18h30 – l’opération est toujours en cours)
