Imaginez-vous flâner sur les quais de Seine ce soir, un peu après le coucher du soleil. Soudain, la ville change de visage. Notre-Dame, habituellement dorée ou discrètement éclairée, se pare d’un rouge vif, presque inquiétant. Un peu plus loin, l’obélisque de la Concorde semble saigner lumière. Et là-haut, sur la butte Montmartre, le Sacré-Cœur devient une torche écarlate. Non, ce n’est pas un film dystopique. C’est Paris qui crie, à sa manière, une réalité que l’on préfère souvent ignorer.
Ce rouge n’est pas festif. Il est celui du sang. Celui des martyrs d’aujourd’hui.
La Red Week : quand Paris devient porte-voix des oubliés
Depuis dix ans maintenant, une initiative baptisée « Semaine rouge » transforme des monuments à travers le monde en signaux d’alarme. À Paris, c’est ce jeudi 20 novembre 2025 que quatre lieux emblématiques vont s’habiller de rouge : la cathédrale Notre-Dame tout juste sortie de ses échafaudages, l’obélisque de la place de la Concorde, le Pont Neuf – le plus ancien pont de Paris – et la basilique du Sacré-Cœur qui veille sur la capitale depuis sa colline.
Derrière cette opération visuelle spectaculaire se cache une association qui, depuis des décennies, documente ce que peu de médias relaient : la persécution systématique des chrétiens dans de nombreux pays. Et les chiffres qu’elle avance font froid dans le dos.
413 millions de personnes sous pression constante
Un chrétien sur six dans le monde vit dans un pays où pratiquer sa foi peut coûter la liberté, voire la vie. C’est simple à dire, mais essayez de vous représenter ce que cela signifie concrètement : 413 millions d’êtres humains. Des familles entières qui doivent cacher leur Bible. Des prêtres qui célèbrent la messe dans la peur. Des enfants qui apprennent à se taire quand on leur demande quelle est leur religion.
J’ai beau vivre à Paris, ville de toutes les libertés apparentes, ces chiffres me heurtent à chaque fois. Parce qu’on a tendance à croire que ça n’arrive qu’ailleurs, très loin, dans des pays dont on peine à situer la capitale sur une carte. Et pourtant.
« Le rouge desait les édifices religieux et les monuments emblématiques permet de rendre visible la souffrance cachée de millions de chrétiens dans le monde. »
– Responsable français de l’association organisatrice
Des visages et des histoires derrière les statistiques
Ce soir-là, à 20 heures, Notre-Dame ouvrira grand ses portes pour la « Nuit des Témoins ». Et là, ça devient concret. Très concret.
Trois personnes vont monter à la tribune pour raconter ce qu’elles ont vécu, ou ce qu’elles vivent encore :
- Une religieuse indienne qui a vu ses sœurs se faire agresser parce qu’elles portaient le voile.
- Un Iranien (son vrai nom reste secret pour sa sécurité) qui a passé des années à organiser des cultes clandestins dans des appartements.
- Un prêtre nigérian qui a enterré trop de paroissiens tués pour leur foi.
Pendant la veillée, on lira lentement les noms des missionnaires assassinés ces derniers mois. Le père Tobias, 41 ans, abattu en pleine rue le 26 décembre 2024. Deux sœurs haïtiennes tuées le 31 mars 2025. Et tant d’autres. Leurs portraits seront portés jusqu’à l’autel, comme on porte des cercueils invisibles.
Je ne sais pas vous, mais moi, ces moments-là me nouent la gorge. Parce que ce ne sont pas juste des noms. Ce sont des vies brisées pour une raison qu’on a du mal à comprendre en 2025 : croire en Jésus-Christ.
D’où vient ce mouvement qui a conquis le monde ?
Tout a commencé en 2015 au Brésil. La statue du Christ Rédempteur à Rio s’est illuminée en rouge pour alerter sur ce qui se passait en Irak à l’époque : des villages entiers rayés de la carte parce qu’habitée par des chrétiens. L’image a fait le tour du monde. Depuis, plus de mille édifices dans une vingtaine de pays participent chaque année.
En France, on a vu Lourdes, on verra Toulon, Angers, Argenteuil. Mais Paris, avec ses monuments mondialement connus, offre une caisse de résonance exceptionnelle.
Et nous, là-dedans ?
On pourrait se dire que c’est une affaire de catholiques, ou de croyants en général. Et pourtant non. Ce qui se joue ici dépasse largement la question religieuse.
Quand une communauté entière est persécutée simplement pour ce qu’elle croit, c’est la liberté de conscience qui est en danger. Et si c’est possible pour eux aujourd’hui, qui nous dit que ça ne le sera pas pour d’autres demain ? L’histoire nous a déjà montré où mène l’indifférence face aux premières atteintes aux libertés.
Regarder Paris en rouge ce soir, c’est aussi se poser une question simple : jusqu’où est-on prêt à tolérer que des êtres humains soient traqués pour leurs idées ?
Un symbole qui ne laisse personne indifférent
Il y a ceux qui trouvent ça magnifique, presque mystique. Ceux qui y voient un rappel nécessaire. Et puis il y a ceux que ça gêne. J’ai déjà entendu des remarques : « Pourquoi eux et pas les autres minorités ? » La question est légitime. Mais elle ne doit pas devenir un prétexte à l’inaction.
Personne ne dit que les chrétiens sont les seuls persécutés. D’autres communautés religieuses, ethniques, sexuelles subissent aussi l’horreur. Mais ce soir-là, ce sont leurs visages qui seront portés en lumière. Demain, ce sera peut-être ceux d’autres victimes. L’important, c’est que la lumière soit faite, un jour après l’autre.
Comment vivre cette soirée ?
Si vous êtes à Paris, le plus simple est de vous balader. Allez voir Notre-Dame, montez jusqu’au Sacré-Cœur, traversez le Pont Neuf. Prenez le temps de regarder. De photographier, si vous voulez. Mais surtout, de réfléchir.
Si vous ne pouvez pas vous déplacer, la veillée sera diffusée en direct sur des chaînes catholiques et des radios. Installez-vous confortablement, éteignez les lumières, et laissez-vous toucher par ces témoignages. Ça risque de vous remuer.
Et si, comme moi, vous ressortez de là un peu sonné, posez-vous la question : qu’est-ce que je peux faire, moi, à mon échelle ? Un don, une prière, une prise de parole, une pétition. Chaque geste compte.
Ce soir, Paris ne sera pas seulement la ville lumière. Elle sera la ville qui saigne pour rappeler qu’ailleurs, d’autres saignent pour de vrai. Et parfois, voir sa ville changer de couleur, c’est le premier pas pour changer le monde.
Alors, vous viendrez voir le rouge ?
