Imaginez-vous arriver devant l’école de votre quartier un matin d’hiver. Quelques gamins courent dans la cour, mais l’immense bâtiment semble presque trop grand pour eux. Les salles de classe du fond restent éteintes, les préaux sonnent creux. Ce n’est pas une impression : à Paris, certaines écoles tournent aujourd’hui avec moitié moins d’élèves qu’il y a vingt ans. Et maintenant, on parle sérieusement de fermer des établissements. Vous trouvez ça normal ? Moi, franchement, ça me fait un pincement au cœur.
Un rapport qui ne passe pas inaperçu
Ce mercredi, le Conseil de Paris a débattu d’un document qui a mis tout le monde sur les nerfs. Un organisme indépendant chargé de vérifier les comptes publics a rendu un rapport sans concession : le réseau scolaire parisien est trop dense, trop cher, et surtout plus adapté à la réalité démographique. En clair ? Il faut fermer des écoles. Pas une ou deux pour faire joli dans les statistiques, mais suffisamment pour rééquilibrer les comptes.
Le chiffre qui revient en boucle est impressionnant : – 15,4 % d’élèves entre la rentrée 2019 et celle de 2024. C’est énorme. En cinq ans seulement, l’équivalent de plus de 50 écoles pleines a tout simplement disparu des effectifs. Et ce n’est pas un accident de parcours, c’est une tendance lourde qui dure depuis deux décennies.
Pourquoi autant d’élèves en moins ?
Alors oui, on pourrait se dire que les Parisiens font moins d’enfants. C’est vrai, mais pas seulement. Le vrai moteur de cette chute, c’est le départ massif des familles avec enfants vers la banlieue ou la province. Les loyers qui flambent, les appartements trop petits, le télétravail qui permet de s’éloigner… Tout ça joue. Résultat : dans certains arrondissements du centre, les écoles maternelles tournent à 50 ou 60 % de leurs capacités.
J’ai discuté récemment avec une directrice d’école dans le 3e arrondissement. Elle m’a confié qu’elle avait perdu une classe entière en deux ans. « On avait l’habitude d’avoir 28 enfants par classe, maintenant on est à 18 ou 19. C’est agréable pour les enseignants, mais ça pose la question de la viabilité de l’établissement. » Elle n’a pas tort.
- Coût exorbitant des mètres carrés à Paris → familles poussées vers la petite couronne
- Appartements souvent trop petits pour accueillir un deuxième ou troisième enfant
- Écoles privées ou sous contrat qui captent une partie des effectifs restants
- Exode vers les zones périurbaines où le cadre de vie est jugé plus adapté
Un réseau scolaire hors norme
Paris, c’est 626 écoles publiques pour 340 000 habitants intra-muros. Faites le calcul : c’est un ratio complètement dingue comparé au reste de la France. À titre de comparaison, Lyon, qui fait pourtant partie des grandes villes françaises, a environ une école pour 2 000 habitants. À Paris, on est à une école pour… 550 habitants. Autant dire qu’on pourrait presque avoir une école par immeuble dans certains quartiers.
Ce maillage ultra-fin date d’une époque où Paris comptait bien plus d’enfants. Il était justifié. Aujourd’hui, il devient un poids financier colossal. Chaque école, même à moitié vide, a besoin d’un directeur, d’agents d’entretien, de chauffage, de cantine, de frais de fonctionnement. Multipliez ça par plusieurs dizaines d’établissements sous-occupés et vous obtenez des dizaines de millions d’euros qui partent en fumée chaque année.
« Un réseau exceptionnellement dense » qui n’est plus adapté à la réalité démographique actuelle.
Extrait du rapport officiel débattu au Conseil de Paris
Combien ça coûte de garder une école ouverte ?
Pour vous donner une idée, maintenir une petite école maternelle de 100 élèves coûte environ 1,5 à 2 millions d’euros par an en fonctionnement (personnel non enseignant, cantine, énergie, entretien). Une école élémentaire plus grande, c’est facilement le double. Quand l’établissement descend sous les 70-80 élèves, le coût par enfant devient astronomique.
Et là, je ne parle même pas des investissements : toitures à refaire, mise aux normes accessibilité, rénovation énergétique… Des travaux souvent reportés parce que la mairie n’a plus les moyens, mais qui finissent toujours par arriver.
Les arguments des défenseurs du tout-ouvert
Évidemment, tout le monde n’est pas d’accord pour fermer des écoles. Et je comprends pourquoi. Une école, ce n’est pas qu’un bâtiment avec des tableaux noirs. C’est le cœur battant d’un quartier. C’est là que les enfants du coin se rencontrent, que les parents discutent à la sortie, que se tisse le lien social.
Dans certains arrondissements populaires, fermer une école peut signifier que les gamins devront faire 20 minutes de trajet à pied ou en bus. Pour une mère seule qui travaille tôt, c’est parfois mission impossible. Sans parler du risque de voir les familles restantes fuir encore plus vite si le service public se dégrade.
- Proximité immédiate pour les tout-petits (maternelle)
- Lien social et mixité dans les quartiers
- Signal négatif envoyé aux familles avec enfants
- Risque d’accélérer l’exode des classes moyennes
Et si on regroupait plutôt que de fermer ?
Une solution intermédiaire commence à émerger : regrouper plusieurs petites écoles sur un seul site plus grand, mieux équipé, avec des locaux modernes. On garde le même nombre d’enfants accueillis, mais on rationalise les coûts. Certains y voient la quadrature du cercle.
L’avantage ? On peut créer des pôles d’excellence : plus de place pour une bibliothèque digne de ce nom, une vraie salle de sport, un réfectoire lumineux, des classes spécialisées. L’inconvénient ? Il faut accepter que son école de quartier disparaisse pour laisser place à un établissement un peu plus loin.
Dans le 18e ou le 19e, où la démographie reste dynamique, ça peut passer. Dans le 6e ou le 7e, où il reste à peine assez d’enfants pour remplir une ou deux écoles par arrondissement… c’est une autre histoire.
Ce qui s’est passé ailleurs en France
Paris n’est pas la première grande ville à se poser la question. À Lille, Strasbourg ou Bordeaux, des mairies de tous bords politiques ont déjà fermé des écoles ces dernières années. Parfois dans la douleur, avec des parents qui occupent les locaux. Parfois dans une relative discrétion.
À chaque fois, le même scénario : on commence par nier le problème, puis on commande des études, puis on propose des regroupements, et enfin on ferme. Paris est juste en retard d’une guerre, parce que la question est ultra-sensible politiquement.
Un sujet qui cristallise tout
Ce débat sur les écoles, c’est en réalité un concentré de tout ce qui déchire Paris aujourd’hui :
- La ville trop chère qui chasse ses familles
- Le budget municipal sous tension permanente
- Le service public qu’on veut universel mais qu’on n’a plus les moyens de financer partout pareil
- La fracture entre arrondissements riches (où il n’y a presque plus d’enfants) et arrondissements populaires (où la pression scolaire reste forte)
Derrière les fermetures d’écoles, c’est toute la question du modèle parisien qui est posée. Veut-on encore une ville où on peut élever des enfants sans être millionnaire ? Ou accepte-t-on doucement de devenir une cité-musée pour bobos et touristes ? La réponse qu’on apportera à cette question des écoles en dira long sur l’avenir qu’on se choisit.
Personnellement, je trouve qu’on marche sur la tête quand on doit choisir entre garder une école ouverte ou financer des pistes cyclables. Mais c’est bien là qu’on en est arrivés. Et vous, vous en pensez quoi ? Les commentaires sont ouverts.
En attendant, le rapport est sur la table. Les élus parisiens ont promis de l’étudier « avec attention ». Traduction : on va gagner du temps. Mais la démographie, elle, ne fait pas de pause. Et chaque année qui passe sans décision rendra la pilule encore plus dure à avaler le jour où il faudra bien trancher.
Paris, ville-lumière, ville-musée, ville sans enfants ? L’histoire s’écrit peut-être en ce moment même, dans des salles de classe à moitié vides.
