Imaginez un village de cent âmes, une mairie toute simple, une cloche qui sonne encore les heures. En 2020, onze habitants se sont dit « pourquoi pas nous ? » et ont formé une équipe. Ça marche plutôt bien. Et puis arrive 2025, une nouvelle loi tombe : en 2026, même ici, la liste devra être strictement paritaire, alternance homme-femme, pas une tête de plus ou de moins. Soudain, le petit monde tranquille se prend la tête. C’est un peu ça, le choc que vivent des milliers de communes rurales aujourd’hui.
Une loi qui voulait bien faire… mais qui complique tout
Depuis des années, la parité progresse dans les grandes villes, puis dans les communes de plus de 1000 habitants. Logique : plus de candidats potentiels, plus de diversité naturelle. Mais en mai 2025, le législateur a décidé d’étendre la règle stricte aux communes de moins de 1000 habitants. Fini le scrutin majoritaire à l’ancienne où l’on pouvait compléter la liste au fil des mois. Désormais, il faut une liste complète dès le dépôt, avec alternance stricte homme-femme ou femme-homme.
Sur le papier, l’intention est louable. Faire entrer plus de femmes en politique locale, briser le plafond de verre même au niveau du clocher. Sauf que dans la réalité des territoires, on est parfois très loin du compte.
« On a six hommes et cinq femmes, ça fonctionne à merveille depuis cinq ans. Pourquoi devrais-je enlever un gars compétent pour mettre une femme qui n’a pas envie ? »
— Une maire sortante de 72 ans, excédée
Quand la démographie joue contre la loi
Dans beaucoup de villages, la population est vieillissante. Les femmes actives sont souvent déjà très sollicitées : elles tiennent la maison, les petits-enfants, parfois un emploi à trente kilomètres. Ajoutez à cela la charge d’un mandat (réunions le soir, paperasse, responsabilités) et la candidature devient vite un sacrifice.
Un maire d’une commune de 280 habitants m’expliquait récemment : « Sur les 140 habitants en âge de voter, on a 42 % de plus de 75 ans. Les femmes de 40-60 ans, celles qu’on pourrait convaincre, elles sont trois ou quatre… et déjà débordées. »
- Peu de candidates disponibles
- Charge mentale déjà élevée
- Peur de la responsabilité juridique et financière
- Réunions tardives incompatibles avec la vie familiale
Résultat ? Beaucoup préfèrent rester chez elles plutôt que de se retrouver six ans à gérer les conflits de voisinage ou les subventions détournées (si, si, ça arrive même au village).
Le spectre de la liste unique… ou de l’absence de liste
Dans les faits, la plupart des petites communes fonctionnent déjà avec une seule liste. C’est culturel, presque consenti. Mais la nouvelle règle change la donne. Si personne ne parvient à boucler une liste paritaire complète, il n’y aura tout simplement pas d’élection. La préfecture nommera une délégation spéciale. Autrement dit : la démocratie locale suspendue.
J’ai échangé avec plusieurs maires sortants. Beaucoup hésitent à se représenter, non pas par lassitude, mais parce qu’ils ne veulent pas « forcer la main » à des habitants qui n’ont pas envie.
« Je ne vais pas supplier des gens à la sortie de la messe pour qu’ils acceptent de figurer sur ma liste juste pour respecter la parité. Ce serait du chantage affectif. »
Et pourtant, certains le font. Des réunions dans les salles des fêtes qui ressemblent à des speed-dating politiques : « Toi, tu serais d’accord pour être 4e suppléante ? » Ambiance parfois surréaliste.
Les effets pervers déjà visibles
Premier effet : des candidats « poteaux ». Des personnes qui acceptent de figurer sur la liste uniquement pour la compléter, sans jamais venir aux réunions. On en voyait déjà, mais la parité risque d’en multiplier le nombre.
Deuxième effet : la tentation du « coup politique ». Dans certains villages où deux clans s’affrontent depuis toujours, la règle peut devenir une arme. Il suffit qu’un camp décourage discrètement les femmes de l’autre camp pour rendre la liste adverse irrecevable.
Troisième effet, plus insidieux : le sentiment que l’État se mêle de ce qui ne le regarde pas. Un maire me confiait, un peu amer : « À Paris, ils décident, et nous on rame. » La fracture territoire-capitale en prend un coup supplémentaire.
Et si on faisait confiance aux territoires ?
Personne ne nie l’importance d’avoir plus de femmes en politique. D’ailleurs, dans beaucoup de petites communes, les adjointes sont déjà nombreuses et très efficaces. Mais la progression se fait naturellement quand les conditions de vie le permettent.
Forcer la parité par la loi dans des villages où la démographie joue contre peut produire l’effet inverse : décourager tout le monde, hommes compris. Car un homme compétent qui voit qu’on doit le remplacer « pour la parité » peut aussi se dire que, finalement, ça ne vaut plus le coup.
Quelques voix, parmi les élus ruraux, proposent des solutions intermédiaires : parité souple (au moins 40 % de chaque sexe), ou bonus financier pour les communes qui atteignent l’objectif sans y être obligées. Des pistes qui mériteraient d’être explorées avant de tout verrouiller.
2026, l’année de tous les dangers pour la démocratie de proximité
À dix-huit mois du scrutin, l’angoisse monte. Des associations de maires ruraux tirent la sonnette d’alarme. Certaines préfectures commencent à organiser des formations « Comment boucler sa liste paritaire quand on n’a que 87 électeurs ». Le ton est parfois tragicomique.
Ce qui est sûr, c’est que 2026 sera un test grandeur nature. Soit la loi provoque un sursaut civique inattendu et des centaines de femmes se découvrent une vocation. Soit on assiste à une vague de communes sans maire élu, avec tout ce que ça implique : gestion au ralenti, projets bloqués, sentiment d’abandon renforcé.
Franchement, j’ai du mal à parier sur le scénario rose. La politique locale, c’est avant tout du bénévolat, de la passion, du lien. Quand on transforme ça en casse-tête administratif, on risque de tuer la poule aux œufs d’or.
Et vous, dans votre village, comment ça se passe ? La parité stricte vous semble réaliste ou complètement déconnectée ? Les commentaires sont ouverts, j’ai hâte de lire vos retours de terrain.
En attendant, une chose est certaine : la prochaine fois que vous croiserez votre maire au marché, demandez-lui s’il a déjà sa liste pour 2026. Vous risquez d’avoir droit à un soupir qui en dit long.
