Vous êtes déjà allé voter dans un village de 250 âmes ? Moi oui. On se gare devant la mairie-école-salle-des-fêtes, on serre trois mains, on glisse son bulletin dans une urne qui date de Mathusalem et on repart avec l’impression d’avoir participé à quelque chose d’intime, presque familial. Eh bien cette petite cérémonie tranquille risque de disparaître en mars 2026 si on ne trouve pas assez de femmes prêtes à figurer sur les listes.
Parce que oui, la loi a décidé que l’égalité, c’est bien, mais que l’égalité partout et tout de suite, c’est encore mieux. Résultat : même les communes de moins de 1 000 habitants (et il y en a plus de 30 000 en France) devront présenter des listes strictement paritaires avec alternance homme-femme. Sur le papier, c’est magnifique. Dans la vraie vie, c’est la panique.
Quand la loi oublie la réalité des territoires
J’ai passé ces derniers jours à téléphoner à des maires de tout petits villages. Le même refrain revient : « Je veux bien la parité, mais il faut qu’il y ait des candidates ! » Et là, ça coince sévère.
Dans certains coins, les femmes actives travaillent à 50 km, rentrent tard, gèrent les enfants, les courses, les parents âgés… S’engager six ans au conseil municipal avec des réunions le vendredi soir à 21 h, très peu pour elles. D’autres, tout simplement, n’ont jamais imaginé qu’on pouvait faire de la politique locale quand on n’est « que » mère au foyer ou agricultrice.
« J’ai déjà du mal à trouver 11 personnes motivées, alors si en plus il en faut six femmes… je ne sais pas comment on va faire »
– Un maire d’une commune de 420 habitants que j’ai eu au téléphone hier
Pourquoi ça bloque autant chez les femmes ?
Posons la question sans détour : est-ce que les femmes ont simplement moins envie que les hommes de faire de la politique locale ? Pas si simple.
- Le temps : entre le boulot, les enfants et la maison, le soir elles sont souvent lessivées.
- La confiance : beaucoup se disent « je ne suis pas assez compétente », alors que les hommes, eux, foncent parfois avec trois fois moins de bagage.
- La charge mentale : organiser la garde des enfants quand il y a réunion, trouver qui va nourrir les bêtes si on est agricultrice… c’est elles qui anticipent tout.
- Le regard des autres : dans un village, tout se sait. Être la seule femme au conseil peut intimider.
Résultat ? Dans pas mal d’endroits, les maires actuels avouent qu’ils ont déjà deux ou trois femmes solides… mais pas six, sept ou huit selon la taille de la commune. Et sans le nombre exact, pas de liste déposée. Point final.
Les scénarios catastrophe qui se dessinent
Alors que va-t-il se passer si on n’y arrive pas ? Plusieurs hypothèses circulent, et aucune n’est joyeuse.
- Des listes incomplètes refusées en préfecture → pas d’élection → désignation d’une délégation spéciale par l’État (trois personnes nommées qui gèrent les affaires courantes sans vrai pouvoir).
- Des maires sortants qui jettent l’éponge et laissent le village sans candidat du tout.
- Des listes « bidon » avec des femmes inscrites contre leur gré ou qui démissionneront dès le lendemain de l’élection (oui, ça s’est déjà vu).
L’aspect le plus inquiétant, c’est que personne ne sait vraiment combien de communes sont menacées. Les estimations vont de quelques centaines à… plusieurs milliers. Autant dire qu’on risque d’assister à un big bang de la démocratie de proximité.
Et pourtant, quand elles y vont, elles cartonnent
Petite parenthèse qui fait du bien : là où des femmes ont sauté le pas lors des précédents scrutins, elles sont souvent devenues les moteurs de leur conseil municipal.
J’ai en tête cette maire d’un village de 180 habitants dans la Creuse : elle a pris la suite de son prédécesseur il y a six ans, seule femme sur la liste au départ. Aujourd’hui, cinq conseillères sur onze. Elles ont monté une épicerie associative, rénové la salle des fêtes, créé un festival de musique l’été. Le village revit. Comme quoi, quand on leur fait une place, elles la prennent… et elles transforment tout.
« Les femmes ne se jettent pas toutes seules dans l’arène. Il faut aller les chercher, leur expliquer que leur regard quotidien sur la vie du village est précisément ce qui manque au conseil. »
– Une adjointe que j’ai interviewée récemment
Comment débloquer la situation d’ici mars 2026 ?
On est à quatre mois du dépôt des listes. Il y a urgence, mais il y a aussi des pistes concrètes.
- Aller chercher les femmes une par une : café, porte-à-porte, explication patiente que non, il ne faut pas un doctorat pour gérer les chemins ruraux.
- Mettre en avant les horaires aménagés : certaines communes testent déjà les réunions en visio ou le samedi matin.
- Former et rassurer : stages d’un week-end « Découvrir le mandat de conseiller municipal » spécialement pour les femmes (ça existe déjà dans plusieurs départements).
- Jouer la carte du tandem : proposer à une femme hésitante de rentrer avec une copine, ça rassure.
- Valoriser celles qui sont déjà là : les mettre en avant dans le journal municipal, sur les réseaux, pour créer l’envie.
Et si on ratait le coche ?
Franchement, je ne veux même pas imaginer des villages entiers gérés par des délégations spéciales pendant six ans. Ce serait la mort douce de la démocratie de proximité. On parle de communes où les élus décident si on refait le city-stade ou si on garde l’école ouverte. Sans conseil municipal élu, c’est l’État qui décide à distance. Autant dire que le city-stade peut attendre.
Alors oui, la parité partout est un objectif noble. Mais imposer la même règle à une ville de 300 000 habitants et à un hameau de 80 âmes, sans période transitoire, sans accompagnement massif, c’est prendre le risque de casser quelque chose qui fonctionnait, même imparfaitement.
La vraie question, au fond, n’est pas « est-ce qu’on veut plus de femmes en politique ? » (évidemment que oui). La question est : comment on fait pour que la loi serve l’égalité sans tuer la démocratie locale ? Parce que là, on joue à pile ou face avec des milliers de villages.
En attendant, si vous êtes une femme et que vous habitez un petit village, levez la main. Quelqu’un va forcément venir vous chercher. Et qui sait, peut-être que c’est vous qui allez changer la vie de votre commune.
Parce qu’au final, la parité, ce n’est pas juste cocher des cases sur une liste. C’est faire entrer enfin la moitié de l’humanité dans les décisions qui concernent tout le monde.
Et ça, ça vaut bien quelques soirées de réunion le vendredi soir, non ?
