Imaginez la scène : il est un peu avant huit heures du matin, les grilles d’une des prisons les plus sécurisées de France s’ouvrent, et un homme condamné pour des faits gravissimes de trafic de stupéfiants sort… librement. Pas d’évasion spectaculaire, pas de commando armé cette fois-ci. Non, juste une autorisation officielle, signée par un juge. Ce lundi 24 novembre 2025, cela s’est réellement produit à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais. Et franchement, ça laisse pas mal de monde sur le carreau.
Une permission de sortie qui passe mal
On va être clair dès le départ : tout est parfaitement légal. Le détenu en question, âgé de 52 ans et libérable en 2029, a obtenu ce qu’on appelle une permission « employeur ». Objectif ? Se rendre à un entretien d’embauche près de Lyon, accompagné par son épouse, avec un billet de TGV pris en charge et l’obligation de revenir avant 21 heures. Rien d’extraordinaire sur le papier… sauf quand on connaît le profil de l’intéressé.
Parce que oui, on ne parle pas d’un petit délinquant. Ce monsieur a un passé lourd : membre influent d’un réseau majeur de trafic de drogue en Seine-Saint-Denis, déjà évadé en 2014 lors d’un transfert médical grâce à un commando armé. Deux semaines de cavale à l’époque. Aujourd’hui, il est placé dans le très fermé quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) de Vendin-le-Vieil, là où l’on enferme les profils jugés les plus dangereux – on y croise par exemple Salah Abdeslam ou Mohamed Amra.
Comment fonctionne vraiment une permission de sortie ?
En France, la loi prévoit que même les condamnés puissent, sous conditions très strictes, quitter temporairement l’enceinte pénitentiaire. L’idée n’est pas de faire un cadeau, mais de préparer la réinsertion. Motifs possibles : maintenir les liens familiaux, passer un examen, ou justement… chercher du travail.
- Le détenu doit justifier précisément son déplacement
- Présenter des garanties de bonne conduite en détention
- Fournir des preuves (convocation, billet, personne qui l’accompagne)
- Prendre en charge lui-même les frais ou prouver qu’il le peut
- Ne pas être en détention provisoire ni sous période de sûreté
En 2019, plus de 71 000 permissions ont ainsi été accordées à près de 28 000 détenus. C’est donc loin d’être exceptionnel. Ce qui change tout ici, c’est le niveau de dangerosité perçu et le symbole envoyé.
Pourquoi le juge a dit oui malgré les avis défavorables
Le directeur de la prison avait donné un avis négatif. Le parquet aussi. Pourtant, le juge de l’application des peines de Béthune a tranché dans l’autre sens, décision confirmée en appel à Douai. En gros, le magistrat a estimé que le comportement du détenu en prison était exemplaire depuis des années et que cette sortie pouvait participer à sa réinsertion.
« La permission est un outil de prévention de la récidive. Sans préparation progressive, on libère des gens après 15 ou 20 ans de prison sans aucun repère. C’est la pire des choses. »
– Un avocat spécialisé en droit pénitentiaire
Et il n’a pas complètement tort. Des études montrent que les sorties encadrées réduisent le risque de récidive. Mais quand le passé judiciaire est aussi chargé, la balance penche rarement du côté de la clémence. Sauf que le juge, lui, regarde le présent et les efforts fournis derrière les barreaux.
Les surveillants pénitentiaires montent au créneau
Du côté des syndicats, c’est la douche froide. L’UFAP UNSa Justice parle d’une décision incompréhensible et déconnectée. Pour eux, autoriser une telle sortie revient à décrédibiliser tout le dispositif ultra-sécurisé mis en place pour ce type de détenus.
Et on les comprend un peu. Quand on passe des années à gérer des profils aussi sensibles, avec fouilles renforcées, isolement, surveillance maximale, voir l’un d’eux prendre le TGV pour un rendez-vous pro, ça fait bizarre. Surtout quand on se souvient qu’il s’est déjà évadé une fois avec armes et explosifs.
« On ne peut pas imposer un régime ultra-renforcé et ensuite appliquer des décisions qui le contredisent frontalement. »
– Communiqué syndical
Le ministre veut déjà changer la loi
La polémique a été tellement forte que le ministre de la Justice est monté au front dès le lendemain. Sans commenter la décision individuelle – il s’en garde bien –, il annonce vouloir créer un régime dérogatoire spécifique pour les gros bonnets du narcotrafic, à l’image de ce qui existe déjà pour les terroristes.
Concrètement : un juge spécialisé, des critères beaucoup plus stricts, voire l’interdiction pure et simple de certaines permissions pour les détenus placés en QLCO. Un projet de loi serait dans les tuyaux pour début 2026.
Certains y voient une réaction politicienne, un os à ronger donné aux syndicats et à l’opinion publique. D’autres estiment que c’est une nécessité face à l’évolution du narcotrafic, de plus en plus structuré, violent et international.
Le dilemme de fond : punir ou réinsérer ?
Derrière l’émotion, il y a une question de société qui revient sans cesse : qu’est-ce qu’on fait de ceux qui ont purgé (ou presque) leur peine ? On les garde dans une bulle jusqu’au dernier jour, puis on les lâche dans la nature sans filet ? Ou on accepte de prendre des risques mesurés pour éviter qu’ils replongent à coup sûr ?
Personnellement, je trouve le débat passionnant. D’un côté, la sécurité publique et le sentiment d’impunité que cela peut provoquer chez les victimes ou les familles. De l’autre, l’idée – parfois naïve, je vous l’accorde – que même les plus dangereux peuvent évoluer. L’histoire pénitentiaire est remplie d’exemples dans les deux sens.
Ce qui est sûr, c’est que ce genre d’affaire met en lumière les limites du système actuel. Entre rigidité et souplesse, la frontière est mince. Et quand ça concerne un narcotrafiquant ayant déjà prouvé qu’il pouvait s’évader, le curseur penche naturellement vers la prudence maximale.
Et maintenant ?
Le détenu est bien rentré à 21 heures, suivi à la trace toute la journée (géolocalisation, contrôles, etc.). L’entretien d’embauche a eu lieu. Rien à signaler. Mais le mal est fait : la polémique a pris, les réseaux sociaux s’enflamment, les plateaux télé enchaînent les débats.
Ce cas isolé va probablement servir de catalyseur pour une réforme plus large. On risque de voir se durcir les conditions pour les détenus les plus sensibles. Peut-être est-ce nécessaire. Peut-être va-t-on trop loin dans la sur-sécurisation et sacrifier la réinsertion sur l’autel de l’émotion.
Une chose est certaine : tant que le narcotrafic continuera à gangrener certains territoires, ces questions reviendront sur la table. Et nous, citoyens, serons toujours partagés entre le besoin de justice et la peur du laxisme.
À suivre, donc. Très attentivement.
