Vous arrive-t-il parfois de vous dire que la politique locale ressemble à un club très fermé où les mêmes visages tournent depuis trente ans ? À Troyes, dans l’Aube, ça fait exactement ça : François Baroin est maire depuis 1995. Trente ans. Et puis, un jour d’octobre 2025, un parfait inconnu balance une bombe : il se présente contre le maire sortant. Pas avec un parti derrière lui, pas avec des millions, juste une page Facebook et une grosse envie de secouer le cocotier. Cet homme, c’est Pierre Philippe. Et franchement, son histoire mérite qu’on s’y arrête cinq minutes.
Un outsider qui débarque sans frapper
Imaginez la scène. Vous êtes Troyen de souche, vous avez 54 ans, vous bossez dans l’immobilier et l’hôtellerie, vous avez élevé vos deux enfants avec des valeurs simples : le travail, la famille, l’écologie. Vous avez même écrit un petit livre touchant sur la reconstruction d’un terrain familial. Et puis un beau matin, vous vous dites : « Tiens, et si je me présentais à la mairie ? »
C’est à peu près ce qui s’est passé pour Pierre Philippe. Rien ne le prédestinait à la politique. Ancien syndicaliste « apolitique », il a même voté Baroin pendant des décennies – il le dit sans détour. Mais quelque chose a craqué. Peut-être les discussions au comptoir, peut-être les réseaux sociaux qui montrent chaque jour des choses qui coincent dans la ville. Toujours est-il qu’en avril 2025, il crée la page « Troyes est à Nous ». Au départ, juste pour discuter, pointer ce qui cloche, partager ce qui fonctionne. Sept mois plus tard, la page devient une liste électorale.
« Pour se faire élire, il faut être connu. Et aujourd’hui, les réseaux sociaux, c’est une force incroyable ! »
Pierre Philippe
Des réseaux sociaux comme arme principale
Il le reconnaît lui-même avec un petit rire : il est plutôt « génération Minitel ». Pourtant, en quelques mois, sa page a réuni des milliers de personnes. Pourquoi ? Parce qu’il parle cash. Pas de langue de bois, pas de communiqué lissé par trois cabinets de com. Il poste une photo d’un trottoir défoncé → 300 commentaires. Il critique une décision du conseil municipal → débat enflammé mais souvent constructif.
Et surtout, il répond. À presque tout le monde. Il organise des cafés-citoyens, rencontre les habitants dans la rue, dans les marchés. Il revendique déjà plus de 600 rencontres personnelles. Dans une ville de 62 000 habitants où tout le monde se connaît plus ou moins, c’est énorme.
Le plus drôle ? Il dit que c’est presque trop facile. Les gens ont envie de parler, envie qu’on les écoute. Et les réseaux sociaux permettent exactement ça, sans passer par les filtres habituels.
Un profil atypique qui plaît… ou dérange
Fils de paysan, études de commerce, expérience parisienne, puis retour aux sources. Investisseur immobilier, propriétaire d’une petite distillerie artisanale (il a 4 000 bouteilles de ratafia et de vodka de pomme de terre qui attendent sagement un acheteur), divorcé, papa de deux enfants de 8 et 11 ans. L’homme est loin du cliché du politicien de carrière.
Il se définit divers droite mais veut une liste liste apolitique. Il discute aussi bien avec la conseillère municipale communiste qu’avec d’anciens adjoints de Baroin. Son credo : « Je prends les idées où elles sont, peu importe l’étiquette. »
- Pas d’étiquette partisane imposée aux colistiers
- Ouverture à toutes les sensibilités
- Objectif : parler des vrais problèmes du quotidien
Les dossiers qui fâchent
Et des problèmes, il en voit partout. Mais il ne se contente pas de critiquer pour critiquer. Il apporte des chiffres, des exemples, solutions alternatives. Voici les sujets qui reviennent le plus souvent dans ses publications et ses rencontres.
1. La subvention de 15 millions pour le centre de formation de l’ESTAC (City Football Group)
Là, il tape fort. Pour lui, donner 15 millions d’argent public (dont 3 millions de la métropole troyenne) à un groupe qui pèse plusieurs milliards, c’est incompréhensible. Surtout quand l’hôpital local est au bord du dépôt de bilan, que les associations peinent à trouver 500 € et que les routes sont défoncées.
« City Group n’attend pas après nous pour construire son centre. Ils font du business, très bien. Mais pourquoi on leur file l’argent des contribuables ? »
2. La gestion de l’argent public en général
C’est son cheval de bataille. Cumul des mandats et des indemnités, doublons entre ville et agglomération, voitures de fonction, cabinets pléthoriques… Il veut tout passer au peigne fin.
Exemple récent qui l’a mis hors de lui : l’école internationale Jules-Guesde, toute neuve, 30 millions d’euros, pendant que d’autres écoles ferment des classes faute d’élèves. « On dépouille Pierre pour habiller Paul », résume-t-il.
3. L’urbanisme et l’écologie
Il pointe du doigt la rénovation de l’avenue du Général-de-Gaulle : « On refait du bitume et du béton comme dans les années 80 alors qu’on sait qu’on va crever de chaud chaque été. Une coulée verte aurait coûté à peine plus cher et aurait changé la vie des habitants. »
Un déclic après un rendez-vous… jamais honoré
Il raconte que sa candidature n’était pas totalement arrêtée jusqu’à début septembre. Un contact avait été pris avec l’équipe municipale pour un rendez-vous avec une adjointe. Rendez-vous confirmé… puis plus aucune nouvelle. « J’ai trouvé ça d’une grossièreté rare », confie-t-il. C’est là que tout s’est cristallisé. Le sentiment que, pour l’équipe en place, un simple citoyen qui pose des questions dérangeantes ne mérite même pas un coup de fil de politesse.
Objectif réel : 1 % ou 30 %, on boira le champagne
Il n’a pas d’objectif chiffré. Vraiment pas. Il répète à qui veut l’entendre : « Qu’on fasse 1 % ou 30 %, le soir du premier tour, on ouvrira une bonne bouteille. » Cette décontraction est à la fois sa force. Pas de pression, juste l’envie de faire bouger les lignes.
Mais soyons honnêtes : battre François Baroin, qui règne sans partage depuis 1995 et reste très populaire, relève de l’exploit. Pourtant, dans les commentaires sous ses publications, on sent une vraie lassitude chez certains électeurs. Le genre de lassitude qui peut créer des surprises quand on s’y attend le moins.
Et puis il y a cette phrase qui revient souvent : « Au bout de trente ans, même les meilleurs finissent par se croire propriétaires de la ville. Pierre Philippe, lui, veut rappeler que la mairie, c’est un service public, pas un château fort.
Et maintenant ?
Sa liste n’est pas encore bouclée. Il continue les rencontres à un rythme effréné. Son programme va se construire au fil des discussions avec les habitants. Il promet de le dévoiler progressivement sur sa page, au fur et à mesure que les idées se précisent.
Une chose est sûre : même s’il ne passe pas au second tour, il aura déjà gagné une chose. Il aura prouvé qu’on peut entrer en politique sans machine partisane, sans millions, juste avec du culot, un smartphone et l’envie d’être écouté.
Dans une démocratie locale qui parfois ronronne, ça fait du bien. Et qui sait… peut-être que Troyes nous réserve une sacrée surprise en mars 2026.
À suivre, évidemment.
