Imaginez-vous, après quatre années de guerre, de bombardements quotidiens et de dizaines de milliers de morts, qu’on vous tende un papier en vous disant : « Signez ici, c’est la paix. » Sauf que ce papier vous demande de céder une partie de votre maison, de désarmer votre famille et de promettre de ne jamais demander protection à vos voisins. Vous signeriez ? Moi non plus. Et pourtant, c’est exactement ce que ressentent des millions d’Ukrainiens en ce moment.
Le plan de cessez-le-feu qui circule depuis quelques jours, négocié dans le dos de Kiev entre Moscou et Washington, a mis le feu aux poudres. On parle d’un document de vingt-huit points qui, pour beaucoup ici, ressemble moins à une proposition de paix qu’à une liste d’exigences de vainqueur.
Une colère qui transcende les clivages politiques
Ce qui frappe d’abord, c’est l’unanimité. D’habitude, en Ukraine, trouver un sujet sur lequel tout le monde est d’accord relève du miracle. Là, non. Du député le plus pro-occidental à l’opposant le plus russophone, tout le monde hurle au scandale.
« Ce n’est pas un plan de paix, c’est une capitulation en bonne et due forme. »
– Un député de la majorité présidentielle, habituellement modéré
Et quand même les modérés perdent leur calme, c’est que quelque chose cloche profondément.
Les trois points qui font bondir Kiev
Parmi les vingt-huit points, trois sortent particulièrement du lot. Ils sont si énormes qu’ils éclipsent presque le reste.
- La cession définitive des portions du Donbass encore sous contrôle ukrainien. Pas de référendum, pas de négociation : on trace la ligne là où sont les troupes russes aujourd’hui et c’est fini.
- Une réduction drastique de l’armée ukrainienne à 600 000 hommes maximum. Pour vous donner une idée, c’est quasiment diviser par deux les effectifs actuels en période de guerre.
- L’abandon irréversible de toute perspective d’adhésion à l’OTAN, avec même une clause de neutralité imposée.
Et le pire ? Aucune contrepartie claire. Pas de calendrier de retrait russe, pas de garanties de sécurité internationales solides, rien sur les prisonniers, rien sur les crimes de guerre. Juste : « Faites ça et peut-être qu’on arrêtera de vous bombarder. »
« Donald Trump a-t-il seulement lu ce document ? »
Cette phrase, je l’ai entendue trois fois en deux jours, prononcée par des gens pourtant très différents. Un président de commission parlementaire, une grand-mère sur le marché, un taxi. Tout le monde se pose la même question.
Parce que, soyons honnêtes, ce plan reprend presque mot pour mot les exigences maximalistes que Moscou brandit depuis 2022. La neutralité, la « démilitarisation », la reconnaissance des « nouvelles réalités territoriales »… On croirait relire les déclarations du Kremlin d’il y a trois ans.
Sauf que, entre-temps, l’Ukraine a tenu bon. Elle a reconquis des territoires, elle a infligé des pertes colossales à l’armée russe, elle a survécu à l’hiver sans électricité. Et maintenant, on lui demande de tout rendre ? Vraiment ?
Sur le terrain, la guerre continue comme si de rien n’était
Pendant qu’on discute de cessez-le-feu à Genève ou ailleurs, les sirènes hurlent toujours à Kiev. Les drones kamikazes tombent toujours sur les immeubles. Les obus continuent de pleuvoir sur le Donbass.
Hier soir encore, un raid a touché un quartier résidentiel. Des familles entières sous les décombres. Et pendant ce temps, on leur parle de « paix » en échange de leur dignité ? Le décalage est violent.
« Ils négocient notre avenir pendant qu’ils nous tuent. C’est ça, leur paix ? »
– Une habitante de Kiev, après une alerte aérienne de quatre heures
Les Européens, grands absents de la table
Autre sujet qui énerve prodigieusement : l’Europe brille par son absence. Ou plutôt, elle est invitée mais comme figurante. Les décisions se prennent entre Russes et Américains, et les Européens découvrent le texte en même temps que les Ukrainiens.
À Bruxelles, on se pince. À Paris, à Berlin, à Varsovie, on répète en boucle que « rien ne peut se faire sans l’Ukraine » et que « l’Europe doit avoir son mot à dire ». Mais dans les faits ? On court derrière le train.
Et pendant ce temps, les pays baltes et la Pologne, qui vivent avec la menace russe au quotidien, s’inquiètent déjà de ce que signifierait une « paix » imposée à l’Ukraine : un précédent dangereux pour eux aussi.
Et maintenant ? Kiev va-t-il plier ?
C’est la grande question. Officiellement, le gouvernement ukrainien reste ferme : pas de concessions territoriales, pas de neutralité imposée, pas de cessez-le-feu sans garanties solides.
Mais la pression est énorme. Économiquement, le pays est exsangue. Militairement, les stocks d’armes et de munitions dépendent presque entièrement de l’aide extérieure. Et si cette aide venait à se tarir brutalement ?
Certains murmurent déjà que, face à un choix entre une paix humiliante et une guerre interminable, une partie de la population pourrait finir par craquer. Pas par envie de capituler, mais par épuisement pur et simple.
Pour l’instant, pourtant, la colère domine. Sur la place de l’Indépendance, les rassemblements se multiplient. Les familles de prisonniers de guerre, oubliées du plan, crient leur désespoir. Les vétérans promettent de reprendre les armes plutôt que d’accepter ça.
Une paix durable ou une pause avant la prochaine guerre ?
Ce qui ressort de toutes les conversations, c’est une certitude : une paix imposée dans ces conditions ne tiendrait pas. Elle serait vécue comme une trahison. Elle nourrirait la haine pour des décennies.
Je me souviens d’un vieux militaire à la retraite qui m’a dit, en buvant son café dans un abri antiaérien : « Si on signe ça, dans dix ans ils reviendront pour le reste. Et là, plus personne ne nous aidera. »
Il a peut-être raison. L’Histoire est pleine d’exemples de paix imposées qui n’ont fait que reporter la guerre suivante.
Alors oui, tout le monde veut la paix. Tout le monde rêve d’arrêter les sirènes, de reconstruire, de revoir ses proches. Mais pas à n’importe quel prix. Pas au prix de l’avenir du pays.
Et en ce moment, à Kiev, la ligne rouge est claire : plutôt mourir debout que vivre à genoux.
On verra si cette détermination tiendra face à la realpolitik. Mais une chose est sûre : ce plan, tel qu’il est, a déjà réussi une chose. Il a rappelé aux Ukrainiens pourquoi ils se battent depuis quatre ans.
Et ça, personne ne pourra le leur enlever.
