Il pleuvait dru ce vendredi de novembre devant l’Hôtel de Ville, et pourtant ils étaient plusieurs centaines à être venus écouter le discours. Quatre ans jour pour jour après la création de la police municipale parisienne, la maire sortante a voulu marquer le coup. Mais entre les lignes, on sentait surtout un parfum d’au revoir et, surtout, une question qui brûle toutes les lèvres : est-ce que ces 4 000 agents suffisent vraiment à rendre Paris plus sûre ?
Une police municipale géante… mais encore limitée
Quand on parle chiffres, Paris peut bomber le torse : avec environ 4 000 agents (chiffre prévu fin 2025), la capitale possède de loin la plus grande police municipale de France. Nice, qui fut longtemps la référence, tourne autour de 550 agents. Lyon, 400. Même Marseille n’en aligne « que » 500. Paris joue donc dans une tout autre catégorie.
Mais la taille ne fait pas tout. Et c’est là que le bât blesse. Aujourd’hui, ces agents verbalisent beaucoup (stationnement, propreté, étalages sauvages), assurent une présence rassurante dans les rues et participent à la sécurisation des grands événements. En revanche, ils n’ont pas le droit de porter une arme létale (sauf une poignée en expérimentation), n’ont pas accès à certains fichiers sensibles et, surtout, n’interviennent quasiment jamais sur les gros délits – trafic de drogue, vols violents, violences conjugales en flagrant délit – qui restent le domaine exclusif de la police nationale.
Résultat ? Beaucoup de Parisiens ont le sentiment que la « PM » fait surtout office de police de la petite incivilité, pendant que les vrais problèmes de sécurité continuent de gangrener certains quartiers. Et ça, à quatre mois des municipales, ça pèse lourd dans le débat.
L’armement, le sujet qui divise encore
Armer ou pas ? Voilà la question shakespearienne qui revient à chaque campagne depuis 2014. À l’époque, déjà, la droite réclamait des revolvers pour les agents. Anne Hidalgo avait toujours refusé, arguant que Paris n’était pas Bogotá et qu’une police de proximité devait rester… proximité.
Mais le vent tourne. Même dans le camp progressiste, on commence à entendre des voix plus nuancées. Et surtout, les candidats putatifs pour 2026 ont tous, ou presque, intégré l’armement dans leur programme.
- Rachida Dati promet un armement généralisé dès le premier jour.
- Les Républicains veulent aller encore plus loin avec des brigades motorisées armées.
- Même certains socialistes réalistes reconnaissent qu’une expérimentation élargie ne serait pas absurde.
Les arguments des pro-armement sont simples : face à des délinquants de plus en plus violents (couteaux, parfois armes à feu), un agent qui n’a que sa matraque et son gaz lacrymo fait figure de cible facile. Un policier municipal niçois me confiait récemment : « Depuis qu’on est armés, on sent que les mecs y réfléchissent à deux fois avant de nous chercher. » À Paris, on en est encore loin.
Mieux payer pour mieux recruter
L’autre gros dossier, c’est la rémunération. Actuellement, un agent débutant à Paris touche environ 1 900 € net, primes comprises. C’est correct, mais loin d’être mirobolant quand on connaît le coût de la vie dans la capitale et le stress du métier.
Conséquence : turnover important, difficulté à recruter des profils expérimentés (beaucoup viennent de la police nationale ou de la gendarmerie en reconversion), et parfois un sentiment d’être les « parents pauvres » de la sécurité.
« On demande à ces agents d’être sur le terrain 7 jours sur 7, de nuit comme de jour, et on les paye à peine plus qu’un vigile de supermarché. C’est pas sérieux. »
Un haut gradé de la police nationale, en off
Tous les candidats s’accordent donc sur un point : il faudra augmenter significativement les salaires et créer une vraie grille indiciaire attractive. Certains parlent même d’une prime « risque Paris » de 400 à 600 € mensuels. Ça commence à faire une différence.
Vers des brigades spécialisées : la vraie révolution ?
L’idée qui monte, et qui pourrait faire consensus, c’est la création de brigades thématiques. Fini le policier municipal « touche-à-tout » qui verbalise un scooter à 10 h et ramasse un SDF ivre à 23 h.
Plusieurs modèles circulent :
- Une brigade anti-crack dédiée aux secteurs Rosa Parks, Stalingrad, Porte de la Chapelle.
- Une brigade de nuit renforcée avec pouvoirs étendus (contrôle d’identité, palpation) pour les sorties de boîte et les secteurs chauds.
- Une unité motorisée (motos ou scooters électriques) capable d’intervenir rapidement dans tout Paris.
- Une brigade environnement spécialisée dans la lutte contre les dépôts sauvages et les incivilités « vertes ».
- Une cellule investigation légère capable de faire des enquêtes de proximité (tapages, revendeurs de cigarettes, etc.).
Cette spécialisation permettrait non seulement d’être plus efficace, mais aussi de rendre le métier plus attractif. Un jeune agent qui rêve d’action choisirait la brigade de nuit ; un autre, plus sensible aux questions écologiques opterait pour l’unité environnement.
Le nerf de la guerre : le transfert de compétences
Tout cela reste cependant lettre morte tant que l’État ne lâche pas un peu de pouvoir. Aujourd’hui, la police municipale dépend à 100 % de la maire, mais ses compétences sont encadrées par la loi. Pour aller plus loin (contrôle d’identité systématique, accès au fichier des personnes recherchées, perquisitions administratives anti-terrorisme, etc.), il faudra négocier durement avec l’Intérieur.
Or, Beauvau a toujours été très réticent à donner trop de pouvoir aux polices municipales, surtout dans la capitale. Peur de la concurrence ? Volonté de garder le monopole de la « grande » sécurité ? Les deux sans doute.
Mais les temps changent. Avec la montée des violences et la pression politique, même à gauche, on sent que le prochain gouvernement – quel qu’il soit – sera obligé de bouger. Paris pourrait devenir le laboratoire d’une nouvelle police municipale « à la française », à mi-chemin entre la proximité à l’espagnole et l’efficacité à l’italienne.
Et les Parisiens, qu’en pensent-ils vraiment ?
Les sondages sont clairs : plus de 70 % des habitants souhaitent une police municipale armée et plus musclée. Même dans les arrondissements historiquement à gauche (18e, 19e, 20e), la sécurité est devenue la première préoccupation, loin devant l’écologie ou le logement.
J’ai discuté avec une commerçante de la rue de la Roquette : « Avant j’étais contre les armes, mais quand tu te fais braquer deux fois en six mois et que les municipaux ne peuvent même pas poursuivre les voleurs… tu changes d’avis. »
Le ras-le-bol est palpable. Et il transcende les clivages politiques traditionnels.
2026, l’année de tous les possibles
Ce qui est fascinant, c’est que pour une fois, droite, centre et une partie de la gauche semblent d’accord sur le diagnostic : la police municipale doit monter en puissance. Reste à savoir qui aura le courage politique de le faire vraiment.
Parce que derrière les discours, il y a le budget (armer 4 000 agents, les former, les payer plus, ça coûte cher), il y a la formation (on ne s’improvise pas porteur d’arme), et il y a surtout la philosophie : veut-on d’une police municipale qui fait peur ou d’une police qui rassure ?
La réponse, on l’aura en mars 2026. En attendant, les agents continuent de patrouiller sous la pluie, avec ou sans revolver à la ceinture, mais avec la certitude qu’ils sont au cœur du prochain grand débat parisien.
Et quelque part, c’est déjà une petite révolution.
