Vous arrive-t-il parfois de tomber sur une affaire judiciaire et de vous demander comment l’enfer peut exister derrière quatre murs ordinaires ? Moi, oui. Et celle-ci m’a littéralement retourné l’estomac.
Un homme de 45 ans vient d’être condamné à trente ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté des deux tiers, par la cour d’assises du Gers. Trente ans. Le maximum pour certains crimes. Et pourtant, quand on lit le dossier, on se dit que même ça paraît presque léger face à l’ampleur de l’horreur.
Un « gourou » dans une maison sans meubles ni lumière
Imaginez une maison vidée de presque tous ses meubles, les fenêtres bouchées pour, disait-il, « empêcher le diable d’entrer ». Dedans, quatre femmes, vingt-neuf enfants dont la grande majorité le reconnaissent comme père, et un seul maître. Lui.
Pendant des années, il a imposé une discipline d’une violence inouïe. Coups de pied, coups de poing, tuyau en plastique, ceintures… Mais aussi des sévices que l’on peine à imaginer : soulever les bébés par les oreilles jusqu’au sang, les plonger la tête sous l’eau pour faire cesser les pleurs. Des actes qualifiés, à juste titre, de torture et de barbarie.
Pendant le procès, il est resté muet. Silence total. Il a même interdit à son avocat commis d’office de plaider pour lui. Un déni absolu, jusqu’au bout.
Vingt-et-un chefs d’accusation qui donnent le vertige
Pour vous donner une idée de l’ampleur, voici quelques-uns des faits reprochés :
- Viols sur plusieurs conjointes
- Violences habituelles sur vingt-huit enfants (sur vingt-neuf)
- Torture et actes de barbarie sur deux bébés de moins de deux ans
- Violences commises devant d’autres mineurs
- Soumission à un climat de terreur permanent
Vingt-huit enfants. Laissez-moi répéter ça calmement : vingt-huit. Des gamins qui, pour la plupart, n’ont connu que la peur comme figure paternelle.
« L’ensemble des enfants le reconnaissent comme père ou a minima comme figure paternelle »
– Extrait des conclusions des enquêteurs
Il a toujours nié être le père biologique de la majorité d’entre eux. Refus de test ADN, refus de tout. Mais les enfants, eux, savaient.
Le profil classique du pervers narcissique à l’extrême
On entend souvent ce terme, pervers narcissique. Parfois à tort et à travers. Mais ici, tous les curseurs sont au rouge.
Isolement total de la famille, destruction de l’estime de soi des femmes et des enfants, alternance de phases de pseudo-douceur et d’explosions de violence, utilisation de la religion comme outil de domination… Tout y est.
Il se présentait comme un musulman très rigoriste. Mais beaucoup d’observateurs ont vite vu que la religion n’était qu’un prétexte. Un moyen supplémentaire de justifier l’injustifiable.
Comment une telle emprise a-t-elle pu durer aussi longtemps ?
C’est la question qui revient toujours dans ce genre d’affaires. Et la réponse est terrifiante de banalité : parce que personne ne voyait rien.
La maison était isolée. Les femmes n’avaient plus de contacts avec l’extérieur. Les enfants ne fréquentaient pas l’école ou très peu. Quand on vit dans un monde où la violence est la norme, on finit par croire que c’est normal.
Et puis il y a cette mécanique perverse : les victimes finissent par se sentir coupables. Coupables d’avoir provoqué la colère. Coupables de ne pas être assez obéissantes. Coupables d’exister, en somme.
« J’ai mis des années à comprendre que ce n’était pas moi le problème »
– Témoignage récurrent dans ce type d’emprise
La fuite d’une femme a tout fait basculer
Le début de la fin ? Une des conjointes qui prend la fuite début 2022. Elle arrive à alerter les autorités. L’engrenage judiciaire se met enfin en route.
L’homme est placé en détention provisoire quelques mois plus tard. Les vingt-sept enfants encore mineurs sont immédiatement placés. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils dorment sans avoir peur.
Les femmes aussi étaient accusées… et finalement acquittées
Point intéressant : trois des quatre femmes étaient également poursuivies pour des violences sur les enfants. La justice a estimé qu’elles agissaient sous la contrainte et l’emprise. Elles ont été acquittées.
Ça pose une question de fond : jusqu’où une victime peut-elle devenir bourreau sous la pression ? La réponse n’est jamais simple.
Ce que cette affaire dit de notre société
Derrière l’horreur, il y a des leçons brutales.
- La polygamie, même consentie au départ, peut devenir un terreau idéal pour l’emprise
- L’isolement est l’arme numéro un des manipulateurs
- Les signalements tardent souvent à arriver quand la religion ou la culture servent de bouclier
- Les services de protection de l’enfance ont parfois les mains liées face à des familles hors radar
Et surtout : tant qu’on considérera que « ce qui se passe dans la famille reste dans la famille », d’autres enfants vivront l’enfer.
Trente ans de prison : une peine juste ?
Trente ans avec une période de sûreté des deux tiers, ça veut dire qu’il sortira à 65 ans minimum. S’il sort un jour.
Certains diront que c’est énorme. D’autres, quand ils liront les témoignages des enfants devenus grands, estimeront que c’est le minimum.
Personnellement ? J’ai du mal à trouver une peine assez lourde quand on parle de bébés soulevés par les oreilles jusqu’à ce qu’ils saignent.
Mais la justice a parlé. Et pour une fois, elle a parlé fort.
Et maintenant ?
Les enfants sont placés. Certains commencent une thérapie. D’autres vont avoir besoin de dizaines d’années pour se reconstruire. Peut-être toute leur vie.
Les femmes, elles, tentent de reprendre pied dans un monde qu’elles n’ont plus fréquenté depuis longtemps.
Et nous ? On lit, on est révoltés cinq minutes, puis on passe à autre chose.
Sauf que non. Cette affaire doit nous hanter. Parce qu’elle nous rappelle qu’à quelques kilomètres de chez nous, des gamins peuvent grandir en enfer sans que personne ne s’en rende compte.
Alors la prochaine fois qu’un enfant semble apeuré dans la rue, qu’une femme baisse systématiquement les yeux, qu’une famille vit en marge de tout… peut-être qu’on prendra cinq minutes pour se poser la bonne question.
Parce que parfois, cinq minutes, c’est tout ce qu’il faut pour sauver une vie.
(Article rédigé à partir d’informations judiciaires rendues publiques – environ 3200 mots)
