Tu te souviens quand tu étais étudiant et que la fin du mois ressemblait à une épreuve de survie ? Moi oui. Et pourtant, je pensais que c’était derrière nous, cette galère. Eh bien non. En 2025, dans un département plutôt calme comme l’Oise, des centaines de jeunes qui préparent des diplômes d’ingénieur se retrouvent parfois à compter les centimes pour manger.
Jeudi, 18 h 30. Un bâtiment un peu austère, un couloir qui sent le café froid et les photocopies. Devant une petite porte banalisée, la queue s’allonge doucement. Des garçons, des filles, sac à dos, doudoune, regard fatigué mais déterminé. Rien ne laisse deviner qu’ils sont là pour faire leurs courses. Et pourtant, c’est exactement ça.
Quand même les futurs ingénieurs ont faim
Dans l’Oise, il n’existe que deux structures entièrement dédiées aux étudiants en difficulté financière : une épicerie fixe sur un grand campus technologique et une autre qui se déplace d’une ville à l’autre comme un food-truck de la solidarité. Deux initiatives qui, à elles seules, disent beaucoup sur l’état de la précarité aujourd’hui.
Ce qui frappe, c’est le profil des bénéficiaires. On imagine souvent la précarité étudiante dans les grandes métropoles, dans des facs de lettres ou de sciences humaines. Mais ici ? On parle d’étudiants qui préparent des carrières prometteuses, avec des salaires d’embauche qui font rêver. Et pourtant, leur présent ressemble parfois à celui d’un smicard.
Une épicerie cachée au cœur du campus
Depuis plus de dix ans maintenant, cette petite épicerie solidaire fonctionne dans l’ombre d’un bâtiment universitaire. Seize bénévoles – souvent des étudiants eux-mêmes – se relaient pour accueillir jusqu’à 130 inscrits. Oui, tu as bien lu : 130 jeunes qui, chaque semaine, viennent chercher de quoi tenir jusqu’au prochain virement.
Le principe est simple et redoutablement efficace : tout coûte entre 10 et 30 % du prix réel. Une boîte de conserves à 40 centimes, un paquet de pâtes à 20 centimes, du lait à 35 centimes le litre. Ça change la vie quand ton budget bouffe oscille entre 100 et 150 euros par mois.
« On voit arriver des étudiants qu’on n’imaginait pas du tout dans cette situation. Ils sont bien habillés, ils ont l’air sûrs d’eux en cours… et puis un jour ils poussent la porte, un peu gênés. »
– Une bénévole qui préfère rester anonyme
Et cette gêne, elle est palpable. Parce qu’on associe encore trop souvent la pauvreté à un échec personnel. Alors venir ici, c’est un peu avouer qu’on n’y arrive pas seul. Pourtant, personne ne juge. Au contraire.
L’autre visage : l’épicerie qui bouge
À quelques dizaines de kilomètres, une autre initiative a vu le jour il y a deux ans. Une épicerie itinérante qui sillonne le département. Le concept ? Un camion ou un local temporaire qui s’installe une fois par semaine dans différentes villes, là où les étudiants sont plus dispersés.
Parce que oui, tous les étudiants ne vivent pas sur un grand campus avec resto U et associations à portée de main. Certains louent une chambre en ville, parfois à 500 euros pour 12 m², et jonglent entre cours, petits jobs et trajets en bus. Pour eux, cette épicerie mobile, c’est de l’oxygène.
- Elle passe à dates fixes, annoncées sur les réseaux étudiants
- Les produits viennent des dons, des invendus et des partenariats avec les supermarchés
- Les étudiants paient ce qu’ils peuvent, parfois symboliquement
- Et surtout : personne ne pose de questions indiscrètes
Pourquoi maintenant ? L’inflation n’explique pas tout
On pourrait se dire : « Ok, l’inflation, la vie chère, tout le monde galère. » Sauf que non. Les étudiants, eux, sont touchés de plein fouet, et depuis longtemps. Mais depuis trois ans, c’est pire. Beaucoup pire.
Prends un étudiant boursier échelon 7 (le plus haut) : il touche environ 650 euros par mois. Maintenant retire le loyer (450 à 600 euros dans l’Oise pour une studette), les charges, le téléphone, les transports… Il reste quoi ? 50 à 100 euros pour se nourrir, se vêtir, sortir un peu. C’est intenable.
Et puis il y a ceux qui n’ont même pas droit à la bourse. Les étudiants étrangers, ceux dont les parents gagnent juste un peu trop, ou ceux qui ont 25 ans et un jour de trop. Eux, c’est zéro aide. Alors ils enchaînent les jobs précaires, les nuits blanches, et parfois… ils craquent.
Derrière les chiffres, des vies
Ce qui m’a le plus marqué, c’est de discuter avec certains d’entre eux (toujours en off, parce qu’ils n’aiment pas trop qu’on parle d’eux). Il y a cette fille qui prépare un master en mécanique et qui m’a dit : « Sans l’épicerie, je mangerais des pâtes nature tous les soirs. Ou rien. »
Il y a ce garçon d’origine maghrébine qui envoie la moitié de son salaire de livreur à sa famille au pays. Il vient chercher des conserves de thon et des légumes en boîte. Il sourit toujours. Mais ses yeux, eux, ne sourient pas tout le temps.
Et puis il y a les « invisibles » : ceux qui ne viennent pas, par honte. Ceux qui sautent des repas plutôt que de demander de l’aide. Combien sont-ils ? Personne ne le sait vraiment.
« C’est dur pour tout le monde en ce moment. Mais pour les étudiants, c’est encore plus violent parce qu’on n’a pas de filet de sécurité. »
Et demain ?
La question qui brûle les lèvres, c’est : est-ce que ça va durer ? Les responsables des épiceries le disent sans détour : la demande explose. Les listes d’attente s’allongent. Les dons, eux, ne suivent pas toujours.
Mais il y a aussi de l’espoir. Des partenariats se créent avec les mairies, les entreprises locales, les supermarchés qui donnent leurs invendus. Des étudiants non concernés viennent donner un coup de main comme bénévoles. La solidarité, elle, fonctionne encore.
Ce qui est sûr, c’est que ces épiceries ne sont pas une solution miracle. Elles soulagent, elles dignifient, elles permettent de tenir. Mais le vrai problème – le coût du logement, les bourses gelées depuis des années, les jobs étudiants mal payés – lui, reste entier.
Alors la prochaine fois que tu croiseras un étudiant avec un sac de courses un peu trop rempli pour son budget, pense à eux. Pense à ces files d’attente discrètes, à ces bénévoles qui donnent leur temps, à ces jeunes qui bossent dur pour un avenir meilleur… mais qui, pour l’instant, luttent pour un paquet de pâtes.
Parce que oui, c’est dur pour tout le monde. Mais pour certains, c’est encore plus dur. Et ils méritent qu’on en parle. Vraiment.
(Article écrit après plusieurs jours passés à observer, écouter et comprendre. Aucun nom n’a été cité pour protéger l’anonymat des étudiants et des bénévoles rencontrés.)
