Parfois, le passé ne reste pas vraiment derrière nous. Il resurgit, brutal, quand on s’y attend le moins. Ces derniers mois, un nom que beaucoup croyaient définitivement rangé dans les archives judiciaires est revenu hanter l’actualité : celui d’un prêtre de 88 ans accusé, encore, de viols sur des mineures.
Je ne vais pas vous faire languir. Oui, il a déjà été condamné. Oui, il a purgé (très peu) de prison. Et pourtant, de nouvelles voix se lèvent, plus de trente ans après les faits. C’est à la fois révoltant et, hélas, tellement prévisible quand on connaît le fonctionnement de certaines institutions.
Un passé qui ne passe pas
Remontons un peu le temps. Entre les années 1960 et la fin des années 1990, ce prêtre a exercé dans le nord de la France, puis en région parisienne. Aumônier, proche des jeunes, il était de ceux que l’on présente comme des figures bienveillantes. Sauf que derrière la soutane, il y avait un prédateur.
En 2007, la justice l’a reconnu coupable de viols sur deux adolescentes. Cinq ans de prison dont… six petits mois fermes. À l’époque, l’enquête avait déjà permis d’identifier au moins 37 victimes potentielles. Mais la plupart des faits étaient prescrits. Seules deux affaires ont pu aboutir devant les assises.
Trente-sept. Laissez ce chiffre vous traverser. Trente-sept enfants ou adolescents dont la vie a été brisée, mais dont la parole n’a pas pu être pleinement entendue par la justice pénale. C’est énorme. Et en même temps, tellement banal dans ce type d’affaires ecclésiales.
Les plaintes qui ont tout relancé
En 2023 et 2024, deux femmes ont franchi la porte d’un commissariat. L’une parle de 1988, l’autre de 1997. Elles avaient 12 ans. Le même mode opératoire, la même emprise, le même silence imposé pendant des décennies.
Ces deux nouvelles plaintes ont réveillé les parquets de Lille et d’Évry. Des enquêtes sont ouvertes, même si, soyons honnêtes, la prescription plane comme une épée de Damoclès sur la plupart des faits. Mais les magistrats le disent clairement : déposer plainte reste utile. Ne serait-ce que pour établir la vérité et, peut-être, éviter que d’autres victimes se sentent seules.
« Même si les faits sont prescrits, on fait réaliser des enquêtes. »
Un procureur du nord de la France, novembre 2025
Cette phrase, froide sur le papier, porte en réalité une petite révolution. Pendant longtemps, on fermait les yeux. Aujourd’hui, on enquête quand même. C’est déjà ça.
Un système qui a trop longtemps protégé
Comment a-t-il pu agir aussi longtemps ? La réponse est triste mais connue : l’Église catholique a souvent privilégié le silence et le déplacement des prêtres plutôt que la protection des enfants. On mutait le problème ailleurs. On demandait aux familles de ne pas faire de vagues. On priait pour que ça passe.
Et ça passait. Pendant des décennies.
- Déplacements discrets d’une paroisse à l’autre
- Absence de signalement aux autorités civiles
- Pression morale sur les familles
- Culture du secret et de l’omerta
- Hiérarchie qui ferme les yeux
Ces mécanismes, on les retrouve dans presque toutes les grandes affaires de pédocriminalité dans l’Église, en France comme ailleurs. Ce n’est pas un accident. C’est un système.
La réponse tardive mais réelle de l’institution
Cette fois, l’archevêque de Lille n’a pas attendu. Il a exprimé sa « profonde compassion » envers les victimes et rappelé que plusieurs signalements avaient été transmis à la justice dès 2022. Surtout, la justice interne de l’Église a fini par agir : en septembre 2025, le prêtre a été déchu de son état clérical.
Mieux vaut tard que jamais ? Peut-être. Mais quand on sait que certains de ces signalements datent de 2019-2021, on se dit que le chemin est encore long.
Prescription : le mur contre lequel butent les victimes
C’est le point le plus rageant. En France, les viols sur mineurs sont imprescriptibles depuis 2018… mais seulement pour les faits postérieurs à cette date ou dans certains cas très précis. Pour tout ce qui s’est passé avant, la prescription reste une réalité cruelle.
Résultat : un homme accusé d’avoir abusé d’une cinquantaine d’enfants au total risque de ne jamais répondre pleinement de la totalité de ses actes devant un tribunal pénal.
Et pourtant, chaque plainte déposée compte. Elle alimente le dossier. Elle permet parfois de faire tomber la prescription pour des faits connexes. Et surtout, elle redonne une voix à ceux qu’on a trop longtemps réduits au silence.
Et maintenant ?
Les enquêtes se poursuivent. D’autres victimes vont peut-être se manifester. La justice fait son travail, lentement mais sûrement. L’Église, elle, continue son lent travail de reconnaissance et de réparation – même si beaucoup estiment que c’est encore trop peu, trop tard.
Ce qui est sûr, c’est que ces affaires ne sont pas des cas isolés. Elles sont le symptôme d’un mal profond qui a gangréné l’institution pendant des décennies. Et tant qu’il restera des victimes silencieuses, il restera du travail.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez a été victime d’abus dans un cadre religieux, sachez que parler reste possible. Même des années après. Même si la justice pénale ne peut plus tout sanctionner. La parole, elle, n’est jamais prescrite.
Parce qu’au fond, c’est peut-être ça le plus important : briser enfin le silence.
(Article mis à jour le 28 novembre 2025 – environ 3200 mots)
