Il y a des affaires qui vous collent à la peau longtemps après avoir fermé le dossier. Celle d’Arthur, 19 ans à peine, lynché et laissé pour mort en pleine rue un soir d’été 2021, en fait partie. Quatre ans plus tard, le procès qui s’est tenu à Évry-Courcouronnes vient de s’achever sur une réquisition lourde : 22 ans de réclusion criminelle. Et pourtant, rien n’était simple dans cette histoire de vengeance qui a viré au drame.
Une nuit d’été qui a basculé dans l’horreur
Reprenons depuis le début, parce que c’est important de comprendre comment on en est arrivé là. Juillet 2021, Sainte-Geneviève-des-Bois, une commune tranquille de l’Essonne que beaucoup imaginent loin des clichés de banlieue difficile. Pourtant, comme dans tant d’endroits, il existe des rivalités de quartier qui couvent parfois pendant des mois.
Six mois plus tôt, la maison d’Arthur avait brûlé. Un incendie criminel, dans un contexte de tensions entre jeunes de Sainte-Geneviève et ceux de Saint-Michel-sur-Orge. Pour Arthur et ses amis, pas de doute : c’était un message. Et un message, ça se répond.
Le 16 juillet, Arthur et son pote Amine, 18 ans, décident d’aller « faire passer un message » à leur tour. Leur cible ? José M., 26 ans à l’époque, connu dans le coin. Ce qu’ils ignoraient peut-être, c’est que la réponse allait être définitive.
La version de l’accusé : « J’ai été braqué »
Devant les assises, José M. n’a jamais varié. Oui, il a porté les coups. Oui, Arthur est mort sous ces coups. Mais non, il n’avait pas le choix.
« Quand quelqu’un vous braque, c’est difficile d’être de son côté »
– José M., à la barre
Selon lui, Arthur et Amine sont arrivés armés, déterminés à en découdre. Une arme factice ou réelle ? Les débats n’ont jamais totalement tranché. Toujours est-il que la situation a dégénéré en quelques minutes. Coups de poing, coups de pied, humiliation filmée… Arthur s’effondre. Il ne se relèvera pas.
Ce qui frappe, c’est que personne ne semble avoir voulu cette issue. Ni vraiment les victimes venues « juste » intimider, ni l’accusé qui assure avoir agi pour sauver sa peau. Et pourtant, un jeune de 19 ans est mort.
Un procès sous tension extrême
Quatre jours d’audience. Quatre jours où la température n’a fait que monter. Familles, amis, connaissances… tout le monde était là. Et quand les nerfs sont à vif, ça finit par péter.
Jeudi, deux bagarres éclatent carrément dans l’enceinte du tribunal. Des coups de chaise, des cris, une centaine de policiers mobilisés en urgence. Le président finit par prononcer le huis clos, chose rare aux assises. Même les journalistes doivent sortir.
- Renforcement massif de la sécurité dès le lendemain
- Contrôles renforcés à l’entrée
- Fouilles systématiques
- Présence visible des forces de l’ordre dans tout le palais
Franchement, on a rarement vu un procès aussi explosif. Ça en dit long sur la charge émotionnelle qui entoure cette affaire.
La réquisition : 22 ans, un signal fort
Vendredi après-midi, l’avocat général prend la parole. Le ton est grave. Il requiert 22 ans de réclusion criminelle pour meurtre et tentative de meurtre sur Amine.
Pourquoi 22 ans ? Parce que même si la légitime défense a été évoquée, les faits sont accablants :
- Achardement sur une victime déjà au sol
- Coups portés alors qu’Arthur ne représentait plus de menace
- Humiliation filmée, diffusée ensuite
- Absence de secours immédiat
Pour le parquet, on est loin de la simple riposte. On est dans l’excès, dans la volonté de punir à son tour. Et ça, la justice ne peut pas l’accepter.
Les rixes entre quartiers : un fléau qui ne recule pas
Soyons honnêtes : cette affaire n’est pas isolée. En Île-de-France, les rixes interquartiers font régulièrement la une. Des jeunes, parfois très jeunes, qui se battent pour un regard, un territoire, une réputation. Et de temps en temps, ça finit mal. Très mal.
Ce qui est terrifiant, c’est la banalisation. On se donne rendez-vous, on filme, on diffuse sur Snapchat. Comme si la violence était devenue un spectacle. Arthur en a fait les frais. D’autres avant lui. D’autres après, malheureusement.
Et pourtant, chaque fois, on se dit « plus jamais ». Chaque fois, on parle de prévention, de médiation, d’éducation. Mais sur le terrain, les moyens manquent souvent. Les éducateurs de rue font ce qu’ils peuvent. Les associations aussi. Mais face à la spirale, c’est compliqué.
Que retenir de tout ça ?
À l’heure où j’écris ces lignes, le verdict n’est pas encore tombé. Les jurés délibèrent. Peut-être que José M. écopera des 22 ans requis. Peut-être moins. Peut-être plus, qui sait.
Mais au-delà de la peine, il reste une certitude : un jeune de 19 ans ne rentrera jamais chez lui. Une mère pleure son fils. Des amis grandiront avec ce vide. Et quelque part, dans un autre quartier, un autre jeune se dit peut-être qu’il faut « venger » à son tour.
C’est ça, le vrai drame. Pas seulement ce qui s’est passé cette nuit-là à Sainte-Geneviève-des-Bois. Mais tout ce qui a rendu possible cette nuit-là.
Parfois, en sortant d’un tribunal, on se demande si la justice arrive vraiment à apaiser quoi que ce soit. Dans cette affaire, j’en doute. La sentence, quelle qu’elle soit, ne ramènera pas Arthur. Elle calmera peut-être certains esprits. Ou pas.
Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est que ces histoires nous obligent à regarder en face une réalité qu’on préférerait ignorer. Celle de jeunes qui grandissent avec la conviction que la violence est la seule réponse possible. Et tant qu’on n’aura pas cassé ce cercle, d’autres Arthur paieront le prix fort.
Triste constat, je sais. Mais parfois, il faut appeler les choses par leur nom.
