Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu parler du « gaz hilarant » ? Moi, c’était il y a quelques années, lors d’une soirée entre amis. On en riait presque, comme d’une mode passagère un peu stupide mais inoffensive. Aujourd’hui, quand je passe devant certains établissements de santé, je mesure à quel point on s’est tous trompés.
Des jeunes qui marchaient normalement il y a six mois arrivent désormais en fauteuil. D’autres tremblent tellement qu’ils ne peuvent plus tenir une fourchette. Et derrière chaque cas, presque toujours la même cause : le protoxyde d’azote.
Quand le fou rire devient cauchemar
Il suffit de taper « protoxyde d’azote » sur certains réseaux pour tomber sur des vidéos de gamins hilares, le visage collé à un ballon. Trente secondes de rush euphorisant. Ce qu’on ne voit pas, c’est la suite. Celle qui se joue des mois plus tard dans les couloirs des services de neurologie.
Un directeur de clinique de la grande couronne parisienne en a assez vu. Chaque matin, il ramasse des dizaines de cartouches vides devant son établissement. Chaque semaine, il accueille de nouveaux patients dont les jambes ne répondent plus. Un jour, il a craqué. Il a créé l’association Stop Ballons. Objectif : faire comprendre aux ados que le rire peut coûter très cher.
Comment une crème fouettée a fini dans les soirées
À la base, le protoxyde d’azote (N₂O) n’a rien d’une drogue de rue. On le trouve dans les siphons de crème fouettée, en médecine pour anesthésier, en compétition automobile pour booster les moteurs. Problème : les cartouches de 8 grammes made in China se vendent désormais à l’unité sur internet ou dans certaines boutiques, parfois moins cher qu’un paquet de cigarettes.
Le mode opératoire est enfantin : on vide la cartouche dans un ballon, on inhale profondément, on bloque sa respiration quelques secondes. L’effet ? Une déconnexion brutale, des éclats de rire incontrôlables, parfois des hallucinations. Quinze à trente secondes de planage intense. Et puis ça redescend.
Ce que beaucoup ignorent, c’est que chaque inhalation prive le cerveau d’oxygène. À haute dose et répétée, le protoxyde inactive la vitamine B12. Sans B12, les gaines de myéline qui protègent les nerfs se détruisent. Résultat : fourmillements, perte de sensibilité, paralysie progressive. Et parfois, c’est irréversible.
Des séquelles qui font froid dans le dos
Dans les couloirs des cliniques, les histoires se ressemblent toutes. Un jeune homme de 25 ans qui ne sent plus ses pieds après un été à « faire des ballons » tous les week-ends. Une lycéenne qui tombe dans les escaliers parce que ses jambes ne la portent plus. Un autre qui tremble si fort qu’il doit être alimenté par sonde.
- Paralysie des membres inférieurs (la plus fréquente)
- Troubles de l’équilibre façon « marche d’ivrogne » permanente
- Incontinence urinaire et fécale dans les cas graves
- Douleurs neuropathiques insupportables
- Atteinte des nerfs des mains (impossibilité d’écrire ou de boutonner un vêtre
Et puis il y a les morts. Pas directement par overdose respiratoire – même si ça arrive – mais par accident. Un étudiant qui prend le volant après plusieurs ballons et percute mortellement un piéton. Une jeune fille retrouvée inanimée chez elle, entourée de trente bonbonnes vides.
« On croit que c’est anodin parce que c’est légal et que tout le monde le fait. Moi aussi j’ai pensé ça. Aujourd’hui je suis en fauteuil et je sais que je ne remarcherai probablement jamais. »
– Un jeune patient de 23 ans
Pourquoi les jeunes plongent-ils dedans ?
La réponse est à la fois simple et terrifiante : accessibilité + banalisation + effet immédiat.
Quand tu as 16 ans et que tu peux commander 50 cartouches livrées en 24h pour le prix de deux menus burger, la tentation est énorme. Sur TikTok ou Snapchat, les vidéos de « proto challenge » pullulent. On y voit des ados s’écrouler de rire, jamais les conséquences.
Ajoutez à ça le contexte post-Covid : des jeunes qui ont pris l’habitude de consommer seuls ou en tout petit comité, souvent dans leur chambre. Le ballon devient alors un anxiolytique express, un moyen d’échapper quelques secondes à l’angoisse ambiante.
Une législation en retard d’une guerre
Depuis 2021, la vente aux mineurs est interdite en France. Superbe sur le papier. Dans les faits ? N’importe qui peut commander en ligne avec une carte prépayée, ou se faire livrer par un majeur. Les plateformes de e-commerce ferment les yeux, les livreurs aussi.
Certains pays comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ont carrément interdit la possession pour usage récréatif. En France, on reste sur une interdiction de vente aux mineurs qui ressemble plus à un vœu pieux qu’à une mesure efficace.
Et pendant ce temps, les neurologues sonnent l’alarme : les consultations pour lésions liées au protoxyde ont été multipliées par dix en cinq ans.
Stop Ballons : une initiative qui part du terrain
C’est dans ce contexte qu’est née l’association Stop Ballons. Son fondateur ne vient pas du monde associatif classique. C’est un chef d’entreprise, propriétaire de plusieurs cliniques, qui voit arriver les victimes au quotidien.
Son idée : parler le langage des jeunes. Pas de morale à deux balles, pas de discours culpabilisant. Juste des témoignages bruts, des vidéos choc tournées avec d’anciens consommateurs paralysés, des interventions dans les lycées où on montre les IRM avant/après.
Il veut aussi faire pression pour une vraie régulation : traçabilité des cartouches, sanctions lourdes pour les sites qui livrent sans contrôle, destruction systématique des stocks saisis.
Que peut-on faire, concrètement ?
Si vous êtes parent, prof, éducateur, ou simplement un adulte qui côtoie des ados, voici quelques pistes qui marchent vraiment :
- Parler sans juger – les jeunes se braquent dès qu’on leur fait la leçon
- Montrer des témoignages de pairs (les vidéos de Stop Ballons sont particulièrement efficaces)
- Expliquer le mécanisme biologique simplement : « Tu prives ton cerveau d’oxygène à chaque ballon, c’est comme si tu l’étranglais doucement »
- Surveiller les commandes suspectes (les packs de 50 ou 100 cartouches, ça ne passe pas inaperçu)
- Signaler les vendeurs en ligne qui ne vérifient pas l’âge
Et surtout, ne jamais minimiser. Dire « c’est juste du proto » équivaut à dire « c’est juste de l’alcool » à quelqu’un qui fait des coma éthyliques tous les week-ends.
Le rire dure trente secondes. Les conséquences, elles, peuvent durer toute une vie.
Alors la prochaine fois que vous croiserez un groupe d’ados avec des ballons colorés à la sortie d’un parc, peut-être que vous vous souviendrez de cet article. Et peut-être que vous trouverez le courage de leur parler. Parce que parfois, quelques mots peuvent éviter des années en fauteuil roulant.
Le combat ne fait que commencer. Mais il était temps.
