Imaginez la scène. Vous êtes joueur professionnel, vous venez d’Afrique pour jouer en Asie, le public vous acclame… et soudain, une partie de la tribune se met à imiter des cris de singe à chaque fois que vous touchez le ballon. C’est malheureusement ce qui est arrivé fin octobre à Frank Acheampong, attaquant ghanéen du Henan FC, lors d’un déplacement à Chengdu. Et cette fois, les autorités chinoises n’ont pas laissé passer.
Quand le racisme sort (enfin) du silence dans le football chinois
Franchement, ça fait bizarre de parler de racisme dans le foot chinois quand, il y a encore quelques années, le sujet semblait presque tabou. Pourtant, les vidéos ont tourné en boucle sur les réseaux, impossibles à ignorer. Des supporters qui singent, qui font des doigts d’honneur ciblés, et tout ça filmé en direct. Résultat : une sanction exemplaire tombée il y a quelques jours seulement.
Le Chengdu Rongcheng FC écope de 500 000 yuans, soit environ 61 000 euros d’amende, une fermeture partielle de tribune pour le prochain match à domicile, et deux supporters identifiés se retrouvent avec une interdiction de stade d’un an. C’est du jamais-vu, ou presque, à ce niveau en Chine.
Que s’est-il réellement passé ce soir-là ?
On jouait l’avant-dernière journée de Chinese Super League. Le Henan se déplace à Chengdu, un match sans énorme enjeu au classement mais avec une ambiance déjà chaude. Frank Acheampong, connu pour sa vitesse et ses dribbles, commence à faire parler la poudre. Et là, dans un virage, ça part en vrille.
Les images sont sans équivoque : cris de singe, gestes obscènes, le tout dirigé exclusivement vers le joueur ghanéen. Pas envers ses coéquipiers chinois ou brésiliens, non, uniquement lui. Le message est clair, et il est dégueulasse.
« Au nom des supporters de Chengdu, je te présente mes excuses. Je suis désolé, mec. »
Message laissé par un supporter chinois sous une publication du joueur
Ce commentaire, écrit en anglais sous une photo d’Acheampong, montre que tout le monde n’était pas d’accord avec ces agissements. Et c’est peut-être ça le plus intéressant : la réaction immédiate des réseaux sociaux chinois, où des milliers d’internautes ont dénoncé ces comportements.
Des sanctions lourdes… mais historiques
500 000 yuans, ça peut paraître énorme pour un club chinois de milieu de tableau. En réalité, c’est le minimum légal prévu par le règlement de la fédération en cas de discrimination raciale avérée. Et pourtant, pendant longtemps, on avait plutôt l’habitude de voir des amendes symboliques ou des communiqués lisses.
- Amende de 61 000 € pour le club
- Fermeture partielle d’une tribune pour un match
- Deux supporters identifiés et interdits de stade 12 mois
- Détention administrative pour les deux auteurs (plusieurs jours)
Ce qui change surtout, c’est la rapidité et la fermeté. Les deux hommes, âgés de 37 et 41 ans, ont été interpellés dès la fin du match. En Chine, la détention administrative, ça ne rigole pas. Et l’interdiction de stade d’un an, c’est du concret.
Le football chinois veut-il vraiment changer ?
Je vais être honnête : j’ai suivi la Chinese Super League pendant des années, et ce genre d’incidents, on en entendait parler sous le manteau, jamais officiellement. Les joueurs africains ou sud-américains se plaignaient souvent dans le privé, mais rarement publiquement, par peur de représailles ou de perdre leur contrat.
Au début des années 2010, quand la Chine dépensait des centaines de millions pour attirer les stars, le racisme dans les stades existait déjà. Mais tant que l’argent coulait, on fermait les yeux. Aujourd’hui, avec la crise économique et la volonté de redorer l’image du football national, les choses bougent.
Cette sanction envoie un message clair : on ne tolère plus. Et ce n’est pas un hasard si elle tombe maintenant, à l’approche de la Coupe d’Asie 2027 que la Chine veut organiser dans de bonnes conditions.
Et ailleurs en Asie, où en est-on ?
Parce qu’on va se le dire, la Chine n’est pas la seule concernée. En Corée du Sud, en Indonésie, en Malaisie, des joueurs africains ou noirs ont déjà rapporté des incidents similaires. Parfois pires. Ce qui change en Chine, c’est la capacité des autorités à identifier rapidement les auteurs grâce à la reconnaissance faciale dans les stades, oui, ça existe là-bas.
En Europe, on a mis des années à mettre en place des sanctions individuelles. En Chine, ils l’ont fait en quelques jours. C’est presque effrayant d’efficacité.
Les joueurs africains, ces oubliés du rêve chinois
Frank Acheampong n’est pas un inconnu. Il a joué à Anderlecht, il connaît les stades européens. Il sait ce qu’est le racisme. Mais il l’a dit lui-même après le match : en Chine, c’était la première fois qu’il vivait ça de manière aussi directe et massive.
Et pourtant, des joueurs comme lui, il y en a des dizaines en Chinese Super League. Des Ghanéens, des Ivoiriens, des Camerounais, attirés par des salaires confortables mais qui parfois déchantent face à la réalité du quotidien et des stades.
« Je suis venu pour jouer au foot, pas pour être traité comme un animal. »
Un joueur africain anonyme en CSL, propos recueillis en 2023
Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois. Et à chaque fois, elle fait mal.
Vers une tolérance zéro réelle ?
Ce qui est encourageant, c’est que la fédération chinoise a rappelé noir sur blanc les sanctions possibles : amende minimum de 500 000 yuans, fermeture de tribunes, matchs à huis clos. Et maintenant, ils appliquent.
Mais soyons réalistes : une amende et deux interdictions de stade, ça ne va pas éradiquer le racisme du jour au lendemain. Par contre, ça pose un précédent. Et dans un pays où l’exemplarité compte énormément, ça peut faire bouger les lignes plus vite qu’on ne le pense.
Je me souviens encore quand Shanghai Shenhua avait été sanctionné pour des banderoles racistes il y a quelques années. À l’époque, c’était presque passé inaperçu. Aujourd’hui, impossible. Les réseaux sociaux, les vidéos, la pression internationale : tout a changé.
Et nous, en Europe, on est vraiment exemplaires ?
Avant de jeter la pierre à la Chine, regardons chez nous. Vinicius Jr qui pleure après des insultes racistes à Valence, Moussa Marega qui quitte le terrain à Porto, les bananes jetées sur les joueurs noirs en Italie… On a beau avoir des campagnes magnifiques comme « No To Racism », on est encore très loin du compte.
La différence ? En Europe, on parle beaucoup. En Chine, cette fois, ils ont agi vite et fort. Et si c’était eux qui nous montraient la voie, finalement ?
Ce qui est sûr, c’est que le football mondial est en train de vivre une petite révolution silencieuse. Partout, les supporters comprennent que leurs actes ont des conséquences. Et ça, c’est déjà une immense victoire.
Frank Acheampong, lui, a continué à jouer. Il a même marqué pendant ce match. Et quelque part, c’est la plus belle réponse qu’il pouvait donner.
Le football doit rester un jeu. Un spectacle. Un lieu de communion. Pas une arène où l’on vient déverser sa haine. Espérons que cette sanction chinoise marque le début d’une vraie prise de conscience, partout dans le monde.
