Il y a des matins où l’on allume la radio et, sans prévenir, un morceau vous prend aux tripes. Pas le tube formaté que tout le monde passe en boucle, non : quelque chose de rare, de brut, venu d’on ne sait trop où. C’est exactement ce que j’ai ressenti la première fois que je suis tombé sur cette station. Et manifestement, je suis loin d’être le seul.
Parce que, pendant que les grandes radios généralistes perdent des centaines de milliers d’auditeurs, une petite fréquence indépendante vient de réaliser un exploit dont tout le milieu parle : presque doubler son audience en un an. On parle de près d’un million d’oreilles gagnées là où d’autres en laissent filer par paquets. Et le plus fou ? Elle n’a que 32 émetteurs. Trente-deux. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan hertzien français.
Une progression qui défie toutes les logiques du marché
Le chiffre donne le vertige : 970 000 auditeurs quotidiens en moyenne cette saison. L’an dernier à la même période, on était à peine au-dessus de 500 000. Faites le calcul vous-même, ça fait presque +90 % en douze mois. Dans n’importe quel autre secteur, on parlerait de licorne. Ici, on parle simplement d’une radio qui refuse de rentrer dans le rang.
Ce qui rend la performance encore plus impressionnante, c’est le contexte. Le marché global de la radio française est en train de vivre une de ses plus mauvaises rentrées depuis des années. Les grandes chaînes historiques saignent, les musicales perdent du terrain face aux plateformes de streaming. Et pourtant, cette petite station, née au début des années 80 dans l’effervescence post-punk et world, continue de grignoter des parts de marché comme si les règles ne s’appliquaient pas à elle.
Comment expliquer ça ? La réponse est à la fois simple et terriblement compliquée.
Une identité qui ne transige sur rien
Quand on écoute cette radio, on comprend vite qu’on n’est pas sur une fréquence comme les autres. Ici, pas de playlist calibrée pour plaire au plus grand nombre. On passe d’un griot malien à un producteur de Bristol en deux titres, on enchaîne avec du jazz éthiopien des années 70 puis une pépite électro roumaine. C’est déstabilisant au début. Et puis, très vite, addictif.
Ce qui frappe surtout, c’est la liberté de ton. Les animateurs ne se contentent pas de passer des disques : ils parlent, ils débattent, ils prennent position. Et quand je dis prendre position, ce n’est pas juste balancer une petite phrase tiède entre deux pubs. Non, c’est assumer des éditos cash, inviter des voix qu’on n’entend nulle part ailleurs, refuser la langue de bois même quand ça fait grincer des dents.
« On préfère perdre des auditeurs que notre âme. »
Cette phrase, souvent répétée en interne, résume assez bien la philosophie.
Le pari de l’engagement politique assumé
Oui, il y a des polémiques. Régulièrement. Et elles sont rarement anodines. On a vu des annonceurs menacer de retirer leurs campagnes, des auditeurs furieux écrire des mails incendiaires, des articles assassins dans certains médias. Mais à chaque fois, la ligne reste la même : on ne lâche rien.
Ce qui est fascinant, c’est que ces controverses ne freinent pas la progression. Au contraire. Elles semblent même l’accélérer. Comme si une partie du public, lassée des discours lissés et des précautions oratoires permanentes, avait justement soif de cette parole brute, même quand elle dérange.
J’ai discuté récemment avec un auditeur de longue date. Il m’a confié être revenu vers la FM précisément à cause de cette radio. « Avant, j’écoutais uniquement Spotify. Mais là, j’ai besoin d’entendre des gens qui disent vraiment ce qu’ils pensent, même si ça me met parfois mal à l’aise. Au moins, c’est vivant. »
Une couverture technique minimaliste, un impact maximal
Revenons sur ce détail qui tue : 32 émetteurs. Pour vous donner une idée, les grandes radios nationales en ont entre 250 et 650. Autrement dit, cette station couvre à peine quelques grandes villes et leurs périphéries proches. Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux… et puis c’est tout. Partout ailleurs ? Blackout total en FM traditionnelle.
Et pourtant, elle talonne désormais des radios musicales qui diffusent sur tout le territoire. Comment ? Grâce à une présence massive sur le numérique évidemment : application, site web, podcasts, réseaux sociaux. Mais surtout grâce à un bouche-à-oreille devenu viral. Les gens partagent les séquences choc, les découvertes musicales improbables, les coups de gueule qui font mouche.
- Une programmation qui refuse les compromis artistiques
- Des animateurs qui parlent comme ils pensent
- Une ligne éditoriale claire et assumée
- Un public qui se reconnaît dans cette radicalité
- Un effet réseau amplifié par les réseaux sociaux
Ces cinq éléments, combinés, créent une sorte d’alchimie rare dans le paysage médiatique actuel.
Le paradoxe de la polémique qui paie
On pourrait penser qu’en 2025, prendre position de manière aussi franche est un suicide commercial. Tout le monde connaît les histoires d’animateurs sanctionnés, de radios qui reculent face à la pression. Eh bien ici, c’est l’inverse qui se produit.
À chaque controverse, la courbe d’audience fait un bond. Comme si le public, ou du moins une partie significative de celui-ci, attendait précisément ça : qu’un média ose enfin dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ou au contraire, qu’il ose dire des choses que personne n’ose plus dire, même si ça choque.
Il y a quelque chose de profondément générationnel là-dedans. Les moins de 40 ans, particulièrement, semblent rechercher cette authenticité, même quand elle dérange. Ils ont grandi avec les réseaux sociaux, les lives Twitch, les créateurs qui balancent sans filtre. Une radio qui assume ses partis pris, ça leur parle plus que les discours policés des grandes chaînes.
Et maintenant ?
La question qui brûle toutes les lèvres dans le milieu : jusqu’où cela peut-il aller ? Atteindre le million d’auditeurs avec seulement 32 émetteurs, c’est déjà un exploit. Mais ensuite ?
Certains parient sur un essoufflement. Que la nouveauté finira par s’émousser, que les polémiques finiront par lasser, que les annonceurs fuiront pour de bon. D’autres, au contraire, voient dans cette trajectoire le début d’une vraie révolution dans le paysage radiophonique français.
Ce qui est certain, c’est que cette radio a déjà gagné une bataille : celle de la différenciation. Dans un monde où tout se ressemble, où les algorithmes nous enferment dans des bulles de confort, elle propose exactement l’inverse. Un espace de friction, de découverte, de débat. Un endroit où l’on peut être surpris, agacé, émerveillé – parfois tout ça en une seule émission.
Et si c’était précisément ça, le futur de la radio ? Pas forcément plus de fréquences, pas forcément plus de moyens. Juste plus de personnalité. Plus de courage. Plus de vie.
En attendant, une chose est sûre : tant qu’ils continueront à dire « on ne lâchera rien », il y aura toujours plus de monde pour les écouter.
(Article rédigé après de nombreuses écoutes, discussions avec des auditeurs et une immersion totale dans l’univers de cette radio qui, clairement, ne laisse personne indifférent.)
