Imaginez un instant. Vous êtes pilote ukrainien, vous décollez dans un vieux MiG fatigué, et soudain, à l’horizon, vous savez que dans quelques années, votre cockpit sera celui d’un Rafale flambant neuf. C’est un peu le sentiment qui flotte depuis l’annonce faite à Paris : une « déclaration d’intention » pour livrer une centaine de ces bijoux technologiques à Kiev. Mais derrière l’effet d’annonce, une question brutale : à quoi cela sert-il vraiment, aujourd’hui ?
Je vais être franc : quand j’ai vu le chiffre de 100 appareils, j’ai d’abord pensé « enfin ». Puis j’ai regardé le calendrier de production… et là, la douche froide. On parle d’une livraison qui s’étalera probablement jusqu’au milieu des années 2030. Autant dire que ces Rafale ne voleront pas au-dessus de Pokrovsk cet hiver. Alors pourquoi signer maintenant ? C’est là que tout devient intéressant.
Un contrat qui regarde déjà l’après-guerre
Le vrai sujet, ce n’est pas la guerre d’aujourd’hui. C’est celle que personne ne veut revoir demain.
L’idée est simple, presque brutale dans sa logique : transformer l’Ukraine en forteresse volante. Un pays qui, une fois la paix signée (ou imposée), sera tellement coûteux à réattaquer que même le plus déterminé des voisins y réfléchira à deux fois. On appelle ça, dans les cercles militaires, la stratégie du « porc-épic ». Des piquants partout, tellement nombreux que personne n’a envie de mordre.
Pourquoi le Rafale change tout (même s’il arrive tard)
Commençons par ce que ces avions apportent concrètement. Le Rafale n’est pas juste « mieux » que les F-16 ou les Mirage 2000 actuellement en service en Ukraine. Il est dans une autre catégorie.
- Portée des missiles air-air : plus de 150 km avec le Meteor (contre environ 70 km pour les meilleurs missiles actuels ukrainiens)
- Capacité à tirer des missiles de croisière Scalp-EG ou Storm Shadow à très basse altitude, de nuit, par tous les temps
- Système de guerre électronique Spectra qui rend l’avion quasi-indétectable par les défenses russes actuelles
- Possibilité d’emporter simultanément des armements air-air, air-sol et des pods de reconnaissance – une polyvalence rare
En clair : avec une flotte de Rafale, l’Ukraine pourrait interdire purement et simplement l’espace aérien à plusieurs centaines de kilomètres de ses frontières. Les fameuses bombes planantes russes qui rasent actuellement les villes du Donbass ? Elles deviendraient beaucoup plus compliquées à employer.
« Un seul Rafale en patrouille suffit à forcer les Su-35 russes à rester à distance. Imaginez-en une centaine. »
– Un ancien pilote de l’armée de l’air, aujourd’hui consultant
Le précédent Gripen : l’Ukraine veut diversifier à tout prix
Il y a un mois à peine, Kiev signait le même type de déclaration pour des Gripen suédois. 100 à 150 appareils. Là encore, livraison dans la décennie. Le message est clair : l’Ukraine ne veut plus dépendre d’un seul fournisseur – ni américain, ni européen d’ailleurs.
En combinant Rafale et Gripen, elle se donne les moyens d’une flotte moderne, interopérable mais surtout non-alignée sur un seul camp. C’est une forme d’indépendance stratégique. Et ça, croyez-moi, ça pèse dans les négociations futures avec Moscou.
Le calendrier qui fait mal
Maintenant, soyons honnêtes : ça fait mal au cœur.
Pokrovsk est en train de tomber. Les villes du Donbass continuent de recevoir des centaines de bombes planantes chaque jour. Les F-16 livrés cet été font ce qu’ils peuvent, mais ils sont trop peu nombreux et leurs missiles ne portent pas assez loin pour vraiment changer la donne.
Des experts militaires le disent sans détour : si une escadrille de Rafale avait été opérationnelle dès 2024, la ligne de front serait très probablement stabilisée depuis longtemps. Les pertes civiles seraient moindres. Peut-être même que certaines villes tiendraient encore.
Mais la réalité industrielle est implacable. Les chaînes de production tournent déjà à plein régime pour équiper plusieurs pays. Les 100 Rafale ukrainiens, s’ils se concrétisent, sortiront probablement des usines vers 2032-2035. C’est la dure loi de l’industrie de défense.
Et si c’était précisément le but ?
Et là, une idée un peu cynique me traverse l’esprit – mais elle tient la route.
En annonçant ces contrats maintenant, à grand renfort de communication, on envoie un message direct à Moscou : « Même si tu gagnes du terrain aujourd’hui, dans dix ans, tu devras affronter une armée de l’air ukrainienne parmi les plus puissantes d’Europe. Est-ce que ça vaut vraiment le coup de tout miser maintenant ? »
C’est une forme de dissuasion par l’avenir. Un pari que la guerre ne durera pas dix ans – ou qu’elle se terminera par un accord qui laissera à l’Ukraine le temps de se rééquiper massivement.
Combien ça coûte vraiment ?
On parle d’environ 15 milliards d’euros pour les 100 Rafale avec armements, formation et maintenance. C’est énorme. Mais dans le contexte, c’est presque une bonne affaire.
- Le prix unitaire d’un Rafale à l’export est actuellement autour de 100-120 millions d’euros (tout compris)
- L’Ukraine bénéficierait probablement d’un prix « politique » plus bas
- Les coûts de formation et de maintenance sur 30 ans représentent souvent le double du prix d’achat
Mais surtout : qui va payer ? L’Ukraine n’a clairement pas ces moyens aujourd’hui. On imagine donc un montage financier complexe : crédits exports garantis, aides européennes, peut-être une partie prise en charge par les actifs russes gelés. Rien n’est simple.
Ce que ça dit de l’Europe de la défense
Il y a un aspect qu’on oublie souvent : ce contrat, s’il aboutit, serait le plus gros jamais signé pour le Rafale. Plus important que l’Inde, que l’Égypte, que les Émirats.
Pour l’industrie française, c’est une bouffée d’oxygène énorme. Pour l’Europe toute entière, c’est la preuve qu’on peut encore construire une défense commune… même si c’est par la bande, en armant un pays tiers.
Et puis il y a cette image : des Rafale aux couleurs ukrainiennes dans le ciel européen. Dix ans après le début de la guerre. C’est presque un symbole de résilience.
Et demain ?
Personne ne sait comment cette guerre finira. Mais une chose est sûre : l’Ukraine d’après-guerre ne sera plus jamais la même. Elle aura appris la leçon. Elle ne fera plus confiance à des garanties papier. Elle voudra des dents.
Les Rafale, les Gripen, les futurs systèmes de défense antiaérienne, les drones de combat… tout cela dessine le portrait d’un pays qui se prépare à ne plus jamais être une proie facile.
Est-ce que ça suffira ? Probablement pas tout seul. Il faudra aussi une armée de terre renforcée, des réserves, une économie de guerre capable de tenir le choc. Mais c’est un début. Un début sacrément impressionnant.
Alors oui, ces 100 Rafale n’aideront pas à sauver Pokrovsk cet hiver. Ils ne stopperont pas les missiles russes demain matin. Mais dans dix ans, quand un général quelque part regardera une carte et se demandera s’il vaut le coup de relancer l’offensive… il verra peut-être ces points bleus et jaunes sur son écran radar.
Et peut-être, juste peut-être, qu’il hésitera.
C’est déjà beaucoup.
