Vous êtes-vous déjà demandé combien de personnes peuvent vivre sur un bout de terre de 374 kilomètres carrés ? À Mayotte, cette question apparemment anodine est devenue un véritable serpent de mer politique. Des années qu’on se dispute sur le nombre exact d’habitants. Et là, en cette fin novembre 2025, l’État sort l’artillerie lourde : un recensement total, maison par maison, bidonville par bidonville. Rien que ça.
Franchement, quand on lit les chiffres officiels – un peu plus de 320 000 habitants – et qu’on les compare aux estimations de certains élus locaux qui tablent sur 500 000, on se dit qu’il y a comme un gap. Et ce n’est pas qu’une querelle de chiffres : derrière, il y a des écoles bondées, des hôpitaux saturés, des dotations de l’État jugées insuffisantes. Bref, la vie quotidienne.
Un recensement pas comme les autres
Début des opérations : ce jeudi. Fin prévue : le 10 janvier 2026. 700 agents recenseurs vont sillonner l’archipel, grimper les collines, longer les plages, entrer dans les quartiers où, soyons honnêtes, beaucoup d’agents de l’État ne mettent jamais les pieds d’habitude. L’objectif est clair : plus un seul kilomètre carré oublié.
Ce qui rend l’opération hors norme ? Plusieurs choses.
- Le terrain est ultra-complexe : 40 % de la population vivrait dans des habitats informels.
- Le cyclone Chido, il y a presque un an, a tout bouleversé : maisons détruites, familles déplacées, cartes obsolètes.
- La méthode choisie : du porte-à-porte quasi systématique, parce que le recensement en ligne, ici, c’est mission impossible pour une grande partie des habitants.
Pourquoi maintenant ? Le cyclone a tout accéléré
Revenons un instant en arrière. Décembre 2024. Chido frappe de plein fouet. Toitures envolées, écoles rasées, réseau électrique à zéro. Dans l’urgence, le gouvernement doit estimer les besoins : combien de tôles, de kits alimentaires, de places en hébergement d’urgence ? Impossible sans chiffres fiables.
Et là, patatras : les estimations divergent tellement que certains responsables reprennent publiquement le chiffre de 500 000 habitants. Tollé. L’institut statistique reste sur ses positions : 321 000 au 1er janvier 2024. La polémique enfle. Résultat ? On décide d’un recensement exceptionnel, prévu dans la loi de refondation votée dans la foulée du cyclone.
« Aucun kilomètre carré n’a été oublié »
– Le directeur général de l’institut statistique, fier du travail accompli
Des bidonvilles enfin cartographiés
Ce qui m’a le plus marqué dans les préparatifs, c’est le travail titanesque de cartographie réalisé entre avril et août 2025. Des équipes ont parcouru l’île mètre par mètre, repéré chaque case en tôle, chaque abri de fortune. Plus de 65 000 logements identifiés, validés ensuite par les mairies. Un boulot de dingue.
Parce que soyons clairs : à Mayotte, une grande partie de la population échappe aux radars classiques. Quartiers spontanés, constructions sans permis, arrivées continues depuis les Comores voisines… Tout ça rend le comptage infernal. Cette fois, on a décidé de ne plus fermer les yeux.
700 agents dans les starting-blocks
700, c’est énorme pour un territoire aussi petit. Mais quand on sait qu’il faut parfois marcher des heures pour atteindre certaines habitations, qu’il pleut des trombes d’eau en cette saison, et que la confiance n’est pas toujours au rendez-vous, on comprend mieux.
Les agents seront recrutés localement pour la plupart. Ça change tout : ils connaissent le terrain, parlent shimaore ou kibushi quand il faut, savent comment aborder les familles. L’idée n’est pas d’effrayer mais de compter, tout simplement.
- Ils disposeront de tablettes sécurisées.
- Les questionnaires porteront sur la composition du foyer, les nationalités, les conditions de logement.
- Tout sera géolocalisé pour éviter les doublons.
Les précédents recensements : pourquoi ça coinçait
Le dernier vrai recensement complet datait de 2017. Entre-temps, on était passé à la méthode « en continu » comme en métropole : chaque année, on compte un cinquième du territoire et on extrapole. Sauf que ça ne marche pas vraiment ici. Trop de mouvements de population, trop d’habitats invisibles.
Résultat ? Les élus locaux criaient à la sous-estimation chronique. Et ils n’avaient pas forcément tort sur le ressenti : quand vous avez 50 élèves par classe et des listes d’attente interminables à l’hôpital, vous vous fichez un peu des extrapolations statistiques.
J’ai souvenir d’un maire qui m’avait dit, il y a quelques années : « Venez compter vous-même dans mon village, vous verrez qu’on est bien plus que ce que disent les papiers. » Eh bien cette fois, on y va.
Et après ? Ce que les chiffres vont changer
Premiers résultats globaux attendus à l’été 2026, publication officielle fin 2026. Et là, ça va faire du bruit, quel que soit le résultat.
Si on reste autour de 320-350 000 habitants, certains vont hurler à la manipulation. Si on dépasse largement les 400 000, voire les 450 000, l’État devra revoir toute sa copie : dotations financières, nombre de fonctionnaires, places scolaires, capacité hospitalière… Tout.
Et puis il y a la question migratoire, qu’on ne pourra plus esquiver. On sait déjà que près de la moitié des habitants actuels (selon les chiffres officiels) ne sont pas de nationalité française. Le nouveau recensement donnera des données précises sur les origines, les durées de séjour, les conditions de vie. Des données explosives politiquement.
Un coût faramineux, mais nécessaire ?
Deux millions d’euros rien que pour l’institut statistique, plus les salaires des agents pris en charge par les communes. C’est énorme. Mais quand on voit les conséquences d’une sous-estimation (ou d’une surestimation) sur la vie des gens, on se dit que ça vaut peut-être le coup.
Et puis il y a ce sentiment – partagé par beaucoup – que Mayotte mérite enfin qu’on la regarde en face, sans œillères. Pas juste comme un problème migratoire ou un territoire sinistré, mais comme une réalité humaine complexe qui a droit à des chiffres justes.
Mon avis après avoir suivi le dossier depuis des années
Je vais être honnête : je pense que le chiffre final sera plus élevé que les 321 000 officiels, mais probablement pas à 500 000 non plus. Peut-être autour de 400 000 ? On verra. Ce qui est sûr, c’est que ce recensement va marquer un tournant. Parce qu’on ne pourra plus dire « on ne savait pas ».
Et quelque part, c’est aussi une forme de reconnaissance : reconnaître que Mayotte existe dans toute sa complexité, avec ses bidonvilles immenses, ses enfants qui marchent des kilomètres pour aller à l’école, ses familles qui se battent tous les jours.
Alors oui, 700 agents pendant six semaines, ça peut paraître démesuré. Mais quand il s’agit de compter chaque habitant d’un département français qu’on a trop souvent oublié, je trouve ça plutôt… normal.
Rendez-vous à l’été 2026 pour les premiers chiffres. Et là, on en reparlera. Longuement.
(Article mis à jour le 25 novembre 2025 – suivi en continu)
