Il y a des histoires qui vous restent en travers de la gorge. Des faits divers qui, même des années après, continuent de tourner en boucle dans la tête. Celle de Rayana en fait partie. Une gamine de 21 ans qui monte en voiture avec des potes un soir de juin 2022, et qui ne rentrera jamais chez elle. Une balle l’a fauchée à travers la carrosserie. Et aujourd’hui, en ce mois de novembre 2025, le conducteur vient d’être condamné. Trois ans et demi de prison. Point final ? Pas vraiment.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai lu ce dossier. On se dit toujours « encore un refus d’obtempérer », comme si c’était devenu banal. Et puis on plonge dans les détails et on comprend que non, rien n’est banal quand une vie s’arrête à 21 ans.
Un contrôle qui dérape en quelques secondes
Tout commence porte de Clignancourt, dans le XVIIIe. Il est environ 22 heures, un samedi de juin. Trois policiers à VTT patrouillent. Ils remarquent une vieille Peugeot 207. À l’arrière, deux passagers ne portent pas la ceinture. Classique. Ils font signe au conducteur de s’arrêter.
Mais la voiture ne s’arrête pas tout de suite. Elle avance encore de 300 mètres, lentement, coincée dans la circulation. Pour les agents, c’est déjà un refus d’obtempérer. Ils se placent autour du véhicule. Le conducteur tente de redémarrer, manœuvre dans l’embouteillage. Les policiers crient, puis sortent leurs armes.
Et là, tout bascule. Plusieurs tirs retentissent. Une balle traverse la carrosserie et atteint Rayana, assise à l’avant côté passager. Elle s’effondre. Les secours arrivent vite, mais trop tard. Elle décède peu après à l’hôpital.
« Elle n’avait rien demandé à personne. Elle était juste montée en voiture pour rentrer. »
– Un proche de la victime, lors du procès
Le conducteur : coupable, mais jusqu’où ?
Le chauffeur, lui, avait 25 ans à l’époque. Casier déjà chargé, plusieurs mentions pour conduite sans permis et stupéfiants. Ce soir-là, il n’avait pas son permis non plus. Il a expliqué avoir paniqué en voyant les policiers : peur d’aller en prison, peur des conséquences. Alors il a forcé le passage.
Mercredi, le tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à cinq ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis. Comme il a déjà passé plus de trois ans en détention provisoire, il lui reste quelques mois à purger – qu’il pourra faire sous bracelet électronique à domicile.
Son avocat, Me Raphaël Kempf, a parlé de « soulagement ». Soulagement, oui, parce que son client sort enfin d’affaire après trois ans de préventive. Mais on sent bien que personne n’est vraiment satisfait. Ni la famille de Rayana, qui trouve la peine trop légère, ni les syndicats de police, qui estiment que le conducteur porte l’entière responsabilité du drame.
La question qui brûle : les tirs étaient-ils justifiés ?
C’est là que tout se complique. Les policiers ont tiré parce qu’ils se sentaient en danger. Le véhicule tentait de forcer le passage, selon eux. La loi de 2017, votée après l’attentat de Nice, a assoupli les conditions d’usage des armes en cas de refus d’obtempérer : il suffit que l’agent pense raisonnablement que le véhicule représente une menace pour la vie ou l’intégrité physique.
Mais dans ce cas précis, la voiture était coincée dans les bouchons. Elle avançait au pas. Les passagers arrière n’étaient pas armés. Rayana non plus. Alors la question reste posée : était-il vraiment nécessaire de tirer à plusieurs reprises ?
- Le conducteur a-t-il mis sciemment la vie des policiers en danger ?
- Ou les agents ont-ils surréagi face à une situation tendue mais pas mortelle ?
- Et surtout : qui paie pour la mort d’une jeune femme qui n’avait rien fait ?
L’enquête sur les tirs policiers est toujours en cours. Les trois agents ont été placés sous le statut de témoins assistés. Pour l’instant, aucune mise en examen. Autrement dit, la justice a considéré que le conducteur était le seul responsable du drame.
Ces chiffres qui font froid dans le dos
Depuis 2017 et la nouvelle loi, le nombre de tirs sur véhicules en mouvement a explosé. Rien qu’en 2022, on recensait plus de 100 cas où la police a fait usage de son arme lors de refus d’obtempérer. Plusieurs morts, des dizaines de blessés. Et presque systématiquement, les enquêtes aboutissent à des non-lieux pour les policiers.
Je ne dis pas que les forces de l’ordre font n’importe quoi. Leur métier est devenu infernal, entre les guets-apens et les conducteurs qui foncent délibérément sur eux. Mais quand même. Quand une jeune femme sans histoire meurt parce qu’elle était au mauvais endroit au mauvais moment, on est en droit de se poser des questions.
« On forme les policiers à tirer pour neutraliser le danger, pas pour punir un délit routier. »
– Un formateur en tir policier, sous couvert d’anonymat
Et la famille de Rayana dans tout ça ?
Ils étaient là, au procès. Silencieux, dignes, dévastés. La mère de Rayana n’a presque pas parlé aux journalistes. Juste une phrase, murmurée : « Ma fille est morte pour une ceinture non bouclée. »
On imagine le vide. La colère aussi. Cette impression que la justice a tranché sans vraiment trancher. Le conducteur est puni, oui. Mais ceux qui ont appuyé sur la gâchette, eux, rentrent chez eux le soir.
C’est peut-être l’aspect le plus dur à avaler. Cette asymétrie totale entre les conséquences. D’un côté, une famille brisée à jamais. De l’autre, des policiers qui continuent leur vie, protégés par la loi et la présomption de légitime défense.
Un bracelet électronique peut-il refermer la plaie ?
Le conducteur va rentrer chez lui avec un bracelet à la cheville. Il purgera le reste de sa peine en détention domiciliaire. Certains diront que c’est une peine clémente. D’autres que trois ans de préventive, c’est déjà énorme pour un refus d’obtempérer.
Moi, je ne sais pas trancher. Je sais juste qu’aucune peine, qu’elle soit lourde ou aménagée, ne ramènera Rayana. Et que ce genre d’histoire laisse des traces dans toute une société.
Parce qu’au fond, on est tous concernés. Un jour, ça pourrait être notre fils, notre fille, notre frère qui monte dans une voiture avec un conducteur qui panique. Et qui ne redescend jamais.
Alors oui, le conducteur a été condamné. Le dossier est clos pour la justice correctionnelle. Mais pour les consciences, il reste grand ouvert.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Peut-on encore parler de « bavure » ou est-ce simplement le prix à payer pour que les policiers puissent travailler sans crainte ? La loi de 2017 a-t-elle sauvé des vies d’agents… ou en a-t-elle coûté trop d’innocentes ?
Je n’ai pas de réponse toute faite. Juste cette certitude : tant qu’on n’aura pas trouvé un équilibre entre sécurité des forces de l’ordre et sécurité des citoyens, des Rayana continueront de mourir pour une ceinture non bouclée.
Et ça fait réfléchir, non ?
