Il m’est arrivé, un soir d’insomnie, de scroller pendant des heures les stories d’une créatrice que je suis depuis trois ans. Je connaissais ses goûts en café, le prénom de son chat, ses peurs les plus intimes. À 3 h 17 du matin, j’ai failli lui envoyer un message vocal pour lui dire que tout irait mieux. Et puis je me suis rappelé qu’elle ne sait même pas que j’existe. Cette sensation étrange, un peu douce, un peu honteuse, a désormais un nom officiellement couronné : la relation parasociale. Et en cette fin d’année 2025, elle est partout.
Quand un inconnu devient votre meilleur ami (dans votre tête)
Imaginez : vous ouvrez votre téléphone et, hop, il est là. Il vous parle directement, vous appelle « ma communauté », vous demande comment s’est passée votre journée. Il rit à vos blagues dans les commentaires (bon, ok, il met juste un cœur, mais c’est presque pareil). Petit à petit, sans que vous vous en rendiez compte, il s’installe dans votre quotidien. Vous vous surprenez à penser à lui dans le métro. Vous vous inquiétez quand il ne poste rien pendant deux jours. Vous êtes, techniquement, en relation parasociale.
Le concept n’est pas nouveau – il date des années 1950 – mais il explose aujourd’hui. Les dictionnaires les plus sérieux du monde anglophone l’ont sacré mot de l’année. Pourquoi maintenant ? Parce que jamais nous n’avons eu autant accès à l’intimité (réelle ou fabriquée) de personnes que nous ne croiserons probablement jamais.
D’où ça vient, au juste ?
À l’origine, deux sociologues américains observaient déjà les fans de séries télé qui pleuraient la mort fictive d’un personnage comme s’ils perdaient un proche. Ils ont appelé ça l’illusion de relation intime. À l’époque, c’était la télé. Aujourd’hui, c’est votre poche. Le smartphone a transformé des célébrités en « potes de poche », comme disent certains adolescents avec une lucidité désarmante.
« C’est entretenir une relation avec quelqu’un… qui n’entretient aucune relation avec vous. »
Une psychologue spécialisée dans le numérique
Cette phrase, brutale dans sa simplicité, résume tout. Et elle fait mal quand on la lit à voix haute.
Les mécanismes qui nous piègent
Les créateurs de contenu sont devenus des pros de l’intimité factice. Ils vous regardent dans les yeux (dans la caméra), utilisent votre prénom dans une story, répondent parfois à un commentaire sur dix mille. Le cerveau, ce grand naïf, interprète ces micro-signaux comme de la réciprocité. Résultat : libération de dopamine, sentiment d’appartenance, et hop, vous êtes accro.
- Ils partagent leurs galères → vous vous sentez moins seul
- Ils vous disent « je suis tellement fier de vous » → vous avez l’impression qu’ils vous connaissent
- Ils pleurent en direct → vous avez envie de les consoler
- Ils disparaissent 48 h → vous vous inquiétez vraiment
J’ai vu des amis annuler des sorties parce que « leur » streameuse faisait un live exceptionnel. C’est là que ça devient sérieux.
Le côté sombre : quand l’illusion devient dangereuse
Le plus effrayant ? Cette vulnérabilité est monnayable. Les escrocs l’ont bien compris. Des faux profils de célébrités pullulent, et certaines personnes – souvent isolées, parfois âgées – se font littéralement ruiner. On parle de milliers d’euros envoyés à un « chanteur » ou une « star de télé-réalité » qui aurait soi-disant besoin d’aide. Le cœur avant la raison.
Même sans arnaque, le coût émotionnel est réel. On compare sa vie à la version ultra-filtrée de celle des autres. On développe une dépendance affective à des gens qui, en réalité, gagnent leur vie grâce à notre attention. C’est un échange inégal, et on est toujours le perdant.
Comment savoir si on est dedans (trop) ?
Petit test maison, soyez honnête :
- Vous défendez bec et ongles une personne que vous n’avez jamais rencontrée
- Vous ressentez de la jalousie quand elle parle de ses vrais amis
- Vous avez déjà pleuré en regardant une de ses vidéos
- Vous avez modifié vos habitudes (alimentation, sport, style) pour lui ressembler
- Vous vous sentez personnellement trahi quand elle fait de la pub
Si vous cochez trois cases ou plus… bienvenue dans le club très fourni des parasocialement engagés.
Et les créateurs, dans tout ça ?
Ils savent. Bien sûr qu’ils savent. Certains jouent la carte de l’authenticité maximale parce que ça marche. D’autres, plus rares, posent des limites : « Je ne suis pas votre amie, je suis une créatrice de contenu. » C’est brutal, mais c’est sain.
Personnellement, j’apprécie ceux qui rappellent parfois la frontière. Ça fait moins mal quand on la franchit malgré tout.
Peut-on aimer quelqu’un « pour de faux » sans danger ?
Oui, tant que ça reste léger. Aimer un artiste, vibrer avec un personnage, rigoler aux blagues d’un podcasteur, c’est humain. Le problème commence quand ce lien devient un substitut aux relations réelles. Quand on préfère rester scotché à un live plutôt que d’appeler un vrai ami.
La nuance est fine, mais elle change tout.
Quelques pistes pour garder la tête froide
- Se rappeler régulièrement : « Cette personne ne me connaît pas » (écrire ça sur un post-it si nécessaire)
- Limiter le temps passé sur les réseaux (les statistiques d’écran sont impitoyables)
- Cultiver des relations bidirectionnelles dans la vraie vie
- Ne jamais, jamais envoyer d’argent à quelqu’un qu’on n’a jamais vu en vrai
- Parler de cette sensation bizarre à quelqu’un – vous verrez, tout le monde vit ça
En 2025, être lucide sur les relations parasociales, c’est un peu comme savoir nager quand on vit au bord de l’océan numérique. On peut profiter des vagues, mais il faut connaître les courants.
Parce qu’au fond, le plus beau reste à construire avec ceux qui, eux, connaissent vraiment notre prénom.
Et vous, jusqu’où va votre relation la plus parasociale ? Dites-le moi en commentaire (promis, je lis vraiment, moi).
