Il y a des matins où l’on sent que quelque chose d’important se passe. Ce jeudi-là, à Bayonne, l’air sentait le sel de l’Adour et l’excitation contenue. Devant un bâtiment que beaucoup croyaient condamné à rester éternellement en travaux, une file d’attente s’allongeait déjà à 9 h 30. Des retraités bayonnais, des Espagnols de passage, des Belges en road-trip… Tous là pour la même raison : voir renaître ce qu’on appelle ici, avec une pointe de fierté locale, le petit Louvre du Sud-Ouest.
Quatorze ans. Quatorze longues années que les portes étaient closes pour cause de vétusté. Et puis, enfin, la réouverture tant attendue du musée Bonnat-Helleu. Franchement, quand on sait ce qu’il cache derrière ses murs, on se dit : il était temps !
Un chantier pharaonique devenu réalité
Près de 30 millions d’euros. C’est le chiffre fait tourner la tête. Mais quand on pénètre aujourd’hui dans le musée, on comprend immédiatement où est passé chaque centime. L’entrée, autrefois étriquée, s’ouvre désormais sur un hall lumineux où le bois clair dialogue avec la pierre ancienne. On sent tout de suite que l’on n’est plus dans le musée un peu vieillot dont certains gardaient le souvenir.
Le jeune directeur, Barthélémy Etchegoyen Glama – oui, à 33 ans il dirige déjà l’un des plus beaux musées de province –, ne cache pas sa satisfaction :
« On est passés de 1 200 m² à 2 500 m² d’exposition permanente. Vingt-deux salles rien que pour la collection, et 7 000 m² au total avec les réserves, la cafétéria, les espaces pédagogiques… C’est une métamorphose complète. »
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la métamorphose est réussie. Les volumes sont généreux, la lumière naturelle magnifiée par d’immenses verrières, et la circulation fluide. On se promène sans jamais se sentir oppressé, même quand la foule commence à arriver.
Une collection qui fait pâlir bien des capitales
Alors oui, Bayonne n’est pas Paris. Mais quand on voit les noms accrochés aux cimaises, on se pose la question : qui a vraiment besoin d’aller au Louvre quand on a ça à deux heures de Bordeaux ?
Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Goya, Ingres, Delacroix, Degas… Et je n’ai cité que les plus connus. Le musée Bonnat-Helleu possède la plus importante collection déposée par le Louvre en province. Un statut dont peu de gens ont conscience hors du Pays basque.
Comment est-ce arrivé ? Tout simplement parce que Léon Bonnat, enfant du pays devenu portraitiste star du Tout-Paris au XIXe siècle, a légué à sa mort en 1922 sa collection personnelle à la ville… à condition qu’elle reste à Bayonne pour toujours. Un coup de génie patrimonial. Quelques décennies plus tard, la fille de Paul Helleu, autre peintre bayonnais célèbre, a suivi l’exemple. Résultat : 7 000 œuvres, de l’Antiquité au XXe siècle.
- Sculptures grecques et romaines
- Terres cuites de la Renaissance italienne
- Peintures flamandes et hollandaises du Siècle d’or
- Tableaux académiques français du XIXe
- Esquisses préparatoires par centaines (un trésor rarement montré ailleurs)
Et tout ça, restauré à 95 %. Les couleurs ont retrouvé leur éclat d’origine, les vernis jaunis ont disparu. C’est simple : certains tableaux semblent avoir été peints hier.
La Baigneuse d’Ingres, star incontestée
Il y a une œuvre que tout le monde veut voir en premier. Elle trône dans une salle dédiée, éclairée comme une diva : la Baigneuse Valpinçon de Jean-Auguste-Dominique Ingres. À Bayonne, on l’appelle tout simplement « notre Joconde ».
Et franchement, elle le mérite. Le dos nu, la draperie blanche, la lumière tamisée… Tout est parfait. Après restauration, les carnations sont redevenues incroyablement vivantes. On reste planté devant, hypnotisé. J’ai surpris une visiteuse qui murmurait : « On dirait qu’elle va tourner la tête… »
« C’est une vraie richesse pour Bayonne. Enfin, on va peut-être parler de la ville pour autre chose que les fêtes ou le jambon ! »
– Nahia, visiteuse bayonnaise
Elle a raison. Cette baigneuse, c’est un peu le symbole du renouveau culturel du Pays basque.
Un parcours pensé pour tout le monde
Ce qui m’a particulièrement plu, c’est la volonté d’accessibilité. Le musée ne s’adresse pas seulement aux amateurs éclairés. Le parcours mélange les époques et les techniques de façon très fluide. Un vase grec antique côtoie une esquisse de Goya, un bronze romain répond à un pastel de Degas.
C’est audacieux, mais ça fonctionne. On ne s’ennuie jamais. Et surtout, on comprend mieux les liens entre les époques.
Petit détail qui change tout : certains tableaux sont accrochés à 1,55 m du sol. Pourquoi ? Pour être à hauteur d’enfant ou de personne en fauteuil. Un geste simple, mais qui dit beaucoup de la philosophie du lieu.
Il y a même une salle tactile avec des reproductions en relief pour les malvoyants. Et des cartels en gros caractères, en basque, en espagnol… Bref, on sent que l’on a voulu que tout le monde se sente chez soi.
La sécurité au cœur des préoccupations
Évidemment, avec de telles œuvres, la question de la sécurité se pose. Surtout après les récents événements dans certains grands musées parisiens. Le directeur est clair :
« On a anticipé les menaces depuis longtemps. Les systèmes sont à la pointe, surveillance 24 h/24, vitrages anti-effraction, alarmes… On n’a pas attendu les drames pour se poser la question. »
Rassurant. Parce que voir un Rembrandt ou un Rubens abîmé par un acte stupide, très peu pour nous.
Et maintenant ?
L’objectif affiché : 60 000 à 80 000 visiteurs par an. Ambitieux ? Peut-être pas tant que ça quand on voit l’engouement dès le premier jour. Les cars de touristes espagnols étaient déjà là, les Belges et les Bordelais aussi.
Ce qui est certain, c’est que le musée Bonnat-Helleu a tout pour devenir une étape incontournable du tourisme culturel dans le Sud-Ouest. Entre océan, montagne et gastronomie, voilà maintenant une raison supplémentaire de faire escale à Bayonne.
Personnellement, j’ai déjà prévu d’y retourner. Tranquillement, un jour de semaine, pour profiter du silence et me perdre à nouveau devant cette Baigneuse qui semble respirer. Parce que oui, il y a des lieux qui vous happent. Et celui-ci en fait définitivement partie.
Alors si vous passez dans le coin, ne cherchez plus d’excuse. Le petit Louvre basque vous attend. Et croyez-moi, il a grandi.
PS : La cafétéria donne sur les toits de Bayonne. Le café y est bon, la vue imprenable. Autre bonne raison de prolonger la visite…
