Vous est-il déjà arrivé d’attendre trois, six, neuf mois qu’un client daigne vous payer une facture ? Imaginez que ce client soit l’un des grands magasins les plus mythiques de Paris et que cette facture représente plusieurs mois de salaire pour vos équipes. C’est le cauchemar que vivent aujourd’hui des dizaines de petites et moyennes entreprises qui travaillaient avec le BHV Marais.
Le BHV promet le paradis… pour dans quatre mois
Fin novembre 2025, la direction a envoyé un mail à ses 3 000 fournisseurs. Ton presque triomphant : à partir de mars 2026, tout le monde sera payé le jour même des ventes grâce à un système de « commission-vente instantanée ». Superbe nouvelle sur le papier. Sauf que nous sommes en novembre 2025 et que des millions d’euros d’arriérés dorment toujours dans les caisses (ou l’absence de caisses) du grand magasin de la rue de Rivoli.
En clair : on vous propose une solution magnifique… mais dans quatre mois. D’ici là, débrouillez-vous.
Quand 7 millions d’euros d’impayés pèsent sur la survie des petits
Le chiffre circule dans les couloirs du BHV et parmi les avocats spécialisés : environ 7 millions d’euros de factures non réglées. Pour un grand groupe, c’est ennuyeux. Pour une PME de dix ou vingt salariés, c’est souvent la mort assurée.
« J’ai dû licencier trois personnes sur le corner BHV et vendre des parts de ma société pour payer les indemniser. Aujourd’hui, je me demande si je vais pouvoir garder les autres. »
Un patron de corner mode, sous couvert d’anonymat
Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois ces dernières semaines. Et à chaque fois, même ton résigné, même colère contenue.
L’histoire d’Emdé, ou comment le BHV a failli tuer une entreprise centenaire
Prenez l’exemple d’Emdé, spécialisée dans l’encadrement sur mesure et la décoration haut de gamme, présente au BHV depuis 2011. L’entreprise sortait tout juste d’un redressement judiciaire quand les retards ont commencé à s’accumuler – jusqu’à sept mois.
Résultat ? Impossible de payer la TVA d’août. Le dirigeant, Cédric Dhalluin, a dû négocier un échéancier avec le Trésor public. Puis saisir le tribunal de commerce. Verdict début novembre : le BHV doit payer immédiatement 150 000 € sur les près de 300 000 réclamés. À l’heure où j’écris ces lignes, il attend toujours la seconde moitié.
Et pourtant, Emdé doit rembourser 240 000 € par an à ses créanciers jusqu’à la fin 2025. Vous faites le calcul : sans cet argent, c’est la liquidation assurée.
« On était enfin sortis la tête de l’eau… et là, nouveau coup derrière la nuque. Si la fréquentation ne remonte pas vite, on va devoir restructurer. Traduction : licencier à Paris, et on n’aura nulle part où replacer les équipes. »
12 000 € qui mettent une micro-entreprise en danger
Sandrine Nagy, 56 ans, dirige seule Une Bulle d’Évent, une petite structure d’animation événementielle. Elle a réalisé trois prestations dans deux centres commerciaux du même groupe (Okabé et SQY Ouest). Factures envoyées, prestations validées… et toujours rien sur le compte bancaire.
12 000 €. Pour une multinationale, c’est une note de frais. Pour Sandrine, c’est la possibilité de payer ses intermittents, ses charges, son loyer professionnel. Elle m’a confié, la voix tremblante :
« Je n’ai pas encore fait une croix dessus, mais franchement… je ne me fais pas d’illusions. Je ne reverrai peut-être jamais cet argent. »
Elle a arrêté de prendre des contrats avec ce groupe. Trop risqué. Et elle n’est pas la seule.
Les grandes marques partent, les petites n’ont pas le choix
Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé du départ des marques de luxe. Les raisons officielles ? Protéger leur image face à l’arrivée très médiatisée d’une enseigne ultra low-cost. Mais en off, tous évoquent aussi les impayés.
La différence ? Dior ou Chanel peuvent se permettre de claquer la porte et faire le buzz. Une PME qui réalise 30 ou 40 % de son chiffre dans le BHV, elle, reste. Parce qu’elle n’a pas les reins assez solides pour déménager en urgence un corner entier.
- Les grandes marques partent → communication maîtrisée, perte supportable
- Les PME restent → silence radio, risque de dépôt de bilan
C’est violent, mais c’est la réalité du terrain.
Depuis le rachat en 2023 par la Société des Grands Magasins (SGM), le BHV traverse une zone de turbulences financières. Refonte du modèle économique, arrivée massive de nouvelles enseignes à commission, baisse de fréquentation… Tout cela a visiblement asséché la trésorerie.
Conséquence : les fournisseurs sont devenus la variable d’ajustement. On décale les paiements de 30, 60, 90 jours… puis plus du tout. Classique dans les périodes difficiles, mais rarement à cette échelle dans un magasin aussi emblématique.
Que dit la loi… et pourquoi elle ne suffit pas toujours
En France, le délai de paiement légal entre entreprises est de 60 jours maximum (ou 45 jours fin de mois). Au-delà, des pénalités de retard courent (environ 10 à 15 % par an).
Mais quand votre débiteur est un grand groupe et que vous êtes une PME, aller en justice coûte cher et prend du temps. Beaucoup préfèrent attendre… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
| Situation | Conséquences pour la PME |
| Retard 3 mois | Tension trésorerie |
| Retard 6 mois | Impossibilité de payer fournisseurs ou salaires |
| Retard 9 mois + | Redressement ou liquidation judiciaire |
Et là, même si vous gagnez au tribunal, il sera souvent trop tard pour sauver l’entreprise.
Vers une prise de conscience plus large ?
L’affaire commence à faire du bruit. Certains fournisseurs envisagent des actions collectives. Des élus parisiens s’émeuvent. La Médiation des entreprises a été saisie plusieurs reprises.
Mais pour l’instant, la seule réponse officielle reste cette promesse de paiement instantané… en mars 2026. Entre-temps, combien de petites entreprises françaises auront mis la clé sous la porte ?
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est le contraste. D’un côté, un grand magasin historique qui veut se réinventer à marche forcée. De l’autre, des entrepreneurs qui ont cru en ce lieu mythique et qui risquent aujourd’hui de tout perdre à cause de lui.
Paris sans ses PME créatives, sans ses corners tenus par des passionnés, perdrait beaucoup de son âme. Espérons que la solution arrive avant qu’il ne soit trop tard.
Et vous, avez-vous déjà été confronté à des retards de paiement qui ont mis votre entreprise en danger ? Les commentaires sont ouverts.
