Il y a quelques matins, en traversant la Beauce à l’aube, j’ai freiné net sur la petite route. Un chant que je n’avais plus entendu depuis des années résonnait au-dessus des champs : celui, cristallin et interminable, de l’alouette des champs. Pas une, mais plusieurs. Et puis, sur le bord du chemin, une perdrix qui traversait tranquillement avec sa ribambelle de poussins. Franchement, j’ai eu le sourire jusqu’aux oreilles. Parce que oui, quelque chose est en train de changer dans nos campagnes.
On parle beaucoup de collapse de la biodiversité, de « silence des oiseaux » et de champs devenus déserts. Et puis, presque sans prévenir, une étude sort et nous dit l’inverse : les populations d’oiseaux typiques des milieux agricoles repartent à la hausse en France. Et le facteur principal ? L’interdiction, il y a quatre ans, des néonicotinoïdes, ces insecticides qu’on appelait autrefois les « tueurs d’abeilles ». Alors, vrai espoir ou simple rebond temporaire ? Allons voir ça de plus près.
Un retour que personne n’osait espérer si vite
Quand la France a interdit les néonicotinoïdes en 2018 (avec une application totale en 2020 après les dernières dérogations), beaucoup d’agriculteurs ont crié au casse-tête technique. D’un autre côté, les associations de protection de la nature ont salué une victoire historique. Mais personne, absolument personne, n’imaginait voir des effets aussi rapides sur les oiseaux des champs.
Et pourtant. Une étude toute récente, publiée dans une revue scientifique internationale sérieuse, a analysé les données de suivi ornithologique sur plusieurs milliers de points d’écoute à travers le territoire. Résultat ? Entre 2020 et 2024, les populations d’alouettes des champs ont augmenté en moyenne de 12 à 18 % selon les régions. Les perdrix grises affichent +21 % dans certaines plaines céréalières. Quant au bruant jaune, cet oiseau couleur soleil qu’on voyait de moins en moins, il signe un timide mais réel +9 %.
Ces chiffres, je les ai lus deux fois. Parce qu’en vingt-cinq ans de balades naturalistes, j’avais plutôt l’habitude des courbes qui plongent. Là, on a une vraie inversion de tendance. Et ça fait du bien.
Pourquoi les néonicotinoïdes étaient-ils si dévastateurs ?
Pour comprendre, il faut revenir à la façon dont fonctionnent ces molécules. Contrairement aux anciens insecticides qui restaient en surface, les néonicotinoïdes sont dits systémiques : la plante absorbe le produit par la graine enrobée, et le poison se retrouve dans toutes les parties de la plante, y compris le pollen et le nectar. Résultat : même à doses infimes, ils restent actifs très longtemps dans l’environnement.
Les abeilles et les bourdons en ont fait les frais en premier, on le sait. Mais les oiseaux ? Eux ne mangent pas directement les graines enrobées (sauf accident). Le problème, c’est la cascade alimentaire. Moins d’insectes = moins de nourriture pour les poussins d’alouettes, de perdrix ou de bruants qui, les premières semaines de vie, ont besoin d’une ration massive de protéines animales.
« Un couple d’alouettes doit rapporter plusieurs milliers d’invertébrés par jour à ses petits. Quand la biomasse d’insectes chute de 70-80 %, c’est simple : les nichées meurent de faim. »
– Un ornithologue spécialisé en milieux agricoles
Et c’est exactement ce qui se passait. Des études antérieures avaient déjà montré que dans les zones traitées aux néonicotinoïdes, le poids moyen des poussins à l’envol était en baisse sensible. Moins lourd = moins de chances de survivre à l’hiver.
Quatre ans sans néonic : que s’est-il vraiment passé dans les champs ?
L’arrêt brutal de ces molécules a forcé tout le monde à se réorganiser. Les semenciers ont remis sur le marché des graines non enrobées. Les agriculteurs ont ressorti les bons vieux traitements de rattrapage (moins pratiques, plus chers, mais bien moins toxiques pour la faune). Et surtout, la pression sur les insectes a diminué d’un coup.
- Retrait quasi-total des imidacloprides, clothianidine et thiaméthoxame des parcelles de grandes cultures
- Rebond rapide des populations de coléoptères, de punaises et de petits papillons dans les champs
- Augmentation mesurable de la biomasse d’invertébrés dès la deuxième année
- Meilleure réussite des nichées d’oiseaux granivores et insectivores
Ce qui est fascinant, c’est la vitesse. On pensait qu’il faudrait dix ou quinze ans pour voir un vrai retournement. En réalité, la nature a répondu beaucoup plus vite qu’on ne l’imaginait. Comme si elle n’attendait que ça.
Toutes les régions profitent-elles du même rebond ?
Pas tout à fait. Les plus gros gagnants sont les grandes plaines céréalières du Bassin parisien, de la Champagne et du Centre-Val de Loire, là où l’usage des néonicotinoïdes était le plus intensif sur betterave et céréales à paille. Dans certaines zones de Picardie ou de l’Aube, les comptages font état de progressions à deux chiffres pour l’alouette et la perdrix.
En revanche, dans les zones déjà plus diversifiées (bocages de l’Ouest, coteaux calcaires du Sud), l’effet est moins spectaculaire – simplement parce que la situation n’y était pas aussi catastrophique au départ. Mais même là, les ornithologues notent une stabilisation bienvenue.
Et les agriculteurs dans tout ça ?
C’est la question qui revient toujours. Oui, il y a eu des difficultés, surtout sur betterave sucrière où le puceron vert était le cauchemar numéro un. Certains ont dû réapprendre à surveiller leurs parcelles, à intervenir au bon moment avec d’autres produits. Mais beaucoup témoignent aussi d’une certaine satisfaction.
« Au début j’étais sceptique, je te le cache pas. Mais aujourd’hui je retrouve des coccinelles, des carabes, et même des perdrix qui couvent dans mes champs. Ça fait plaisir à voir. »
– Un céréalier de l’Eure
Et puis il y a les aides publiques, les MAE (mesures agro-environnementales), les crédits carbone… Tout un écosystème de primes qui récompense désormais ceux qui laissent de l’herbe dans leurs parcelles ou qui réduisent les intrants. Bref, la transition n’a pas été indolore, mais elle est en marche.
Ce que ça nous dit sur notre capacité à réparer
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est le message d’espoir. On a trop souvent l’impression que tout est foutu, que la sixième extinction est inéluctable. Et puis un jour, on retire une seule famille de molécules toxiques, et boum : la vie reprend ses droits à une vitesse folle.
Ça ne veut pas dire que tout est réglé, loin de là. Le glyphosate est toujours là, l’artificialisation des sols continue, le réchauffement climatique pèse sur les dates de migration. Mais ça prouve une chose essentielle : quand on arrête de taper sur la nature avec un marteau-piqueur, elle est capable de se remettre debout plus vite qu’on ne le pense.
Les alouettes qui chantent à nouveau dans nos campagnes, ce n’est pas juste une bonne nouvelle pour les ornithologues. C’est la preuve que des décisions politiques fortes, prises au bon moment, peuvent avoir un impact concret et mesurable. Et ça, franchement, ça redonne du baume au cœur.
Et demain ?
Les chercheurs sont prudents : il faudra encore plusieurs années pour confirmer que la tendance est durable. Mais tous s’accordent sur un point : si on continue à réduire la pression chimique et à restaurer des habitats (haies, bandes enherbées, jachères fleuries), les oiseaux des champs peuvent redevenir ordinaires. Pas juste des souvenirs de cartes postales.
La prochaine fois que vous traverserez la campagne au printemps, baissez un peu la vitre. Écoutez. Vous entendrez peut-être, comme moi l’autre matin, ce chant qui monte haut dans le ciel. Et vous saurez que, parfois, les bonnes nouvelles existent aussi.
Alors oui, la bataille est loin d’être gagnée. Mais pour une fois, on a le droit de lever les yeux et de sourire en entendant une alouette. Parce qu’elle est revenue. Et c’est déjà énorme.
