Vous souvenez-vous de ce soir de juillet 2024 où la gauche exultait parce qu’elle avait réussi à priver Macron d’une majorité absolue ? On parlait déjà de « Nouveau Front Populaire ressuscité », d’union sacrée contre l’extrême droite. Dix-sept mois plus tard, la même famille politique se déchire en direct à l’Assemblée, et cette fois, ça sent la fin définitive.
Franchement, je n’aurais jamais cru que ça irait aussi vite. À mi-chemin du marathon budgétaire 2026, le spectacle est pathétique : d’un côté des socialistes qui paradent avec leurs « avancées concrètes », de l’autre des Insoumis qui promettent l’apocalypse si on ne fait pas tomber le gouvernement tout de suite. Entre les deux ? Plus rien. Un vide sidéral.
Un point de rupture qui n’a plus rien de surprenant
En réalité, les signaux étaient là depuis longtemps. Souvenez-vous des européennes 2024 : déjà, les listes séparées. Puis la campagne législative, où l’accord de dernière minute ressemblait plus à un pacte de non-agression qu’à une vraie fusion des projets. On s’était dit « tant qu’on gagne, on tiendra ». Eh bien non. Gagner des sièges ne suffit pas quand on n’a plus la moindre idée commune sur la façon de les utiliser.
Aujourd’hui, la différence de stratégie est criante.
Les socialistes misent sur le compromis responsable
Du côté du Parti socialiste, on assume totalement la posture de « force « républicaine et de gouvernement ». L’objectif ? Obtenir des mesures concrètes plutôt que de jouer les révolutionnaires de salon. Et ils ont des résultats à brandir :
- Revalorisation plus forte qu’annoncée des petites retraites agricoles
- Gel de la hausse de la taxe foncière pour les résidences principales
- Maintien de certains crédits pour l’hôpital public
- Renforcement des moyens pour la justice et la police de proximité
Pour eux, c’est du pain béni. Ils peuvent rentrer dans leurs circonscriptions la tête haute et dire : « Regardez, sans nous vous n’auriez rien eu du tout. » C’est la vieille recette mitterrandienne : on râle, on négocie dans l’ombre, et on finit par arracher des miettes qui font quand même plaisir aux électeurs.
On ne fait pas la révolution dans l’opposition, on prépare le retour au pouvoir.
Un député socialiste expérimenté, en off
LFI veut la rupture immédiate et les élections anticipées
À l’opposé, les Insoumis vivent dans un monde binaire : ou on fait tomber le gouvernement tout de suite, ou on est complice du « coup d’État social » macroniste. Point. Pas de demi-mesure. Leur obsession ? La motion de censure transpartisane (avec le RN s’il le faut) pour provoquer la dissolution et retourner aux urnes.
Leur argument massue : « Chaque compromis repousse la possibilité d’une vraie politique de gauche. » Ils accusent ouvertement les socialistes de « collaborer » avec la majorité relative pour faire passer un budget d’austérité déguisée. Le mot « trahison » revient dans toutes les bouches, jusqu’aux réseaux sociaux où certains cadres LFI n’hésitent plus à traiter leurs ex-alliés de « sociaux-traîtres » ou pire.
Le problème, c’est que cette posture jusqu’au-boutiste les isole de plus en plus. Même les écologistes et les communistes commencent à prendre leurs distances, préférant parfois voter les amendements socialistes plutôt que de suivre la ligne mélenchoniste.
Le vote sur les recettes : une union de façade
Dans les prochaines heures, PS et LFI vont voter ensemble le rejet de la partie « recettes » du budget. Victoire commune ? Pas vraiment. Les socialistes le font pour obtenir encore plus de concessions en deuxième lecture. Les Insoumis, eux, espèrent que ce rejet forcera la main du gouvernement et déclenchera la crise institutionnelle tant attendue.
C’est l’illustration parfaite du fossé : même quand ils votent pareil, ils ne le font pas pour les mêmes raisons. Un peu comme un couple qui signe les papiers du divorce en disant tous les deux « c’est mieux comme ça », mais l’un parce qu’il a trouvé l’âme sœur ailleurs et l’autre parce qu’il veut garder la maison.
Les conséquences électorales déjà visibles
Dans les fédérations, c’est la panique. Les élus locaux socialistes ne veulent plus apparaître aux côtés d’élus LFI dans les manifestations. Les Insoumis, eux, préparent déjà les législatives partielles et les municipales 2026 en solo. À Paris, la guerre est déclarée : une figure importante de LFI a même déclaré publiquement qu’il ne fallait surtout pas qu’un socialiste soit maire en 2026.
Du côté des électeurs, les sondages (même si on sait ce qu’ils valent) montrent une chute libre du vote « gauche unie ». Beaucoup d’anciens électeurs NFP disent aujourd’hui qu’ils voteront utile dès le premier tour… mais pour qui ? Bonne question.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
À ce stade, j’en vois trois, et aucun n’est joyeux pour la gauche.
- Le scénario du pourrissement
Chacun continue sa route séparément jusqu’aux prochaines législatives (2027 au plus tard). La gauche arrive divisée et se fait laminer. - Le scénario de la dissolution immédiate
LFI réussit à convaincre une partie du RN et quelques LR de voter la censure. Retour aux urnes en mars 2026. Là encore, la division profite à Macron ou à l’extrême droite. - Le scénario du nouveau cartel (peu probable)
Les communistes et les écologistes parviennent à recréer un mini-front sans LFI ni PS majoritaire. Ça ressemble furieusement à la gauche des années 90… et on sait comment ça s’est terminé.
Personnellement, je penche pour le premier. Trop d’ego, trop de rancœur. La haine est trop forte pour qu’on se rabiboche avant longtemps.
Ce que cette rupture dit de la gauche française
Ce qui me frappe le plus, c’est à quel point cette crise révèle une fracture générationnelle et culturelle bien plus profonde qu’une simple querelle de stratégie.
D’un côté, une gauche « de gouvernement », héritière de Jaurès et Mitterrand, qui croit encore que le pouvoir s’use mais se prend. De l’autre, une gauche « de témoignage », héritière de la LCR et du mouvement altermondialiste, qui pense que le système est pourri et qu’il faut tout faire péter pour le reconstruire.
Entre les deux, il n’y a plus de pont. Et tant qu’on n’aura pas réglé cette question existentielle – est-ce qu’on veut gouverner ce pays ou le faire exploser ? –, on tournera en rond.
Triste constat pour ceux qui, comme moi, ont cru un instant que le sursaut de 2024 pouvait déboucher sur quelque chose de durable.
La gauche française n’est pas morte. Mais elle est en soins intensifs. Et pour l’instant, les médecins se disputent sur le traitement à suivre.
