Imaginez-vous le dimanche matin, ce rituel presque sacré : traverser les allées colorées d’un marché couvert, sentir l’odeur du poulet rôti, écouter les commerçants qui vous appellent par votre prénom. À Saint-Maur-des-Fossés, ce petit plaisir hebdomadaire manque cruellement à des milliers d’habitants depuis trop longtemps.
Deux des halles les plus emblématiques de la ville, celles de La Varenne et d’Adamville, restent portes closes. Ce qui devait être une simple rénovation censée redonner un coup de jeune avant la fin de l’année s’est transformé en véritable saga. Et la nouvelle est tombée : il faudra attendre le printemps 2026 pour revoir ces lieux vibrer à nouveau.
Quand la patience des habitants est mise à rude épreuve
Dans cette commune du Val-de-Marne souvent citée en exemple pour sa qualité de vie, les marchés ne sont pas qu’un lieu d’approvisionnement. Ils sont le cœur battant des quartiers. Certains dimanches, jusqu’à 15 000 personnes se pressent sous les halles d’Adamville ou de La Varenne. C’est dire l’attente.
Et pourtant, les mois passent, les saisons aussi, et les échafaudages sont toujours là. Les riverains croisent chaque jour ces structures métalliques qui cachent les belles verrières rénovées. « On nous avait promis l’automne, puis l’hiver… maintenant c’est le printemps prochain », soupire une habituée que j’ai croisée l’autre jour devant les grilles.
Des travaux plus complexes que prévu
Officiellement, deux raisons principales expliquent ce report interminable.
- Des découvertes techniques une fois les anciens matériaux retirés : structures à renforcer, installations électriques à refaire entièrement, normes antisismiques à appliquer plus sévèrement que prévu.
- Des exigences de sécurité renforcées, notamment sur la capacité d’évacuation en cas d’incendie et la solidité des nouvelles charpentes.
En clair, quand on a commencé à gratter, on s’est rendu compte que les bâtiments, même s’ils paraissaient solides, avaient besoin d’une cure de jouvence bien plus profonde. Quitte à tout refaire, autant le faire dans les règles de l’art, même si ça prend plus de temps.
« Mieux vaut un chantier long mais sûr qu’une halle qui rouvre trop vite et pose problème plus tard »
– Un responsable technique municipal, sous couvert d’anonymat
Les commerçants entre colère et résignation
Pour les forains et commerçants, c’est une tout autre musique. Beaucoup ont dû se réinstaller en extérieur, sur des places moins pratiques, avec moins de visibilité. L’hiver approche, et vendre des primeurs sous la pluie quand on avait l’habitude d’un couvert bien chauffé, ça change la donne.
Certains ont carrément perdu une partie de leur clientèle fidèle, celle qui venait précisément pour l’ambiance des halles. « Les gens font leurs courses plus vite dehors, ils discutent moins, ils achètent moins », m’a confié un poissonnier qui exerce depuis trente ans dans le quartier.
Et puis il y a la question financière. Même si la mairie a mis en place des aides et des reports de redevance, le manque à gagner est réel. Un boucher m’a montré ses chiffres : moins 35 % de chiffre d’affaires certains week-ends. Difficile de tenir comme ça éternellement.
Un calendrier qui tombe mal… très mal
On ne va pas se mentir : le timing est catastrophique pour l’équipe municipale actuelle. Les élections municipales approchent à grands pas, et ces halles fermées sont devenues le symbole parfait des « promesses non tenues » pour l’opposition.
Difficile de faire campagne sur le thème « une ville qui avance » quand deux équipements majeurs sont en chantier depuis des mois avec des délais qui s’allongent comme un jour sans pain. Chaque meeting, chaque tract risque de revenir sur ce dossier brûlant.
Je ne suis pas là pour faire de la politique, mais force est de constater que le sujet revient dans toutes les conversations de quartier. Entre ceux qui comprennent les impératifs techniques et ceux qui crient au fiasco de gestion, le débat est lancé.
Et les habitants dans tout ça ?
Pour le quotidien, l’impact est bien réel. Prenez les personnes âgées du quartier de La Varenne : certaines mettaient un point d’honneur à faire leur marché à pied, sans prendre la voiture. Aujourd’hui, elles doivent aller plus loin ou se rabattre sur les petits commerces de bouche, souvent plus chers.
Les jeunes parents, eux, regrettent ce lieu de socialisation. Les halles, c’était aussi l’endroit où l’on croisait les voisins, où les enfants pouvaient courir un peu pendant que les parents finissaient leurs courses. Aujourd’hui, c’est plus compliqué.
- Moins de lien social spontané
- Davantage de trajets en voiture vers d’autres communes
- Une impression que le quartier perd un peu de son âme
Ce qui nous attend au printemps 2026
Mais arrêtons-nous deux minutes sur le positif, parce qu’il y en a. Les plans des nouvelles halles font rêver : plus de lumière naturelle, des matériaux nobles, une meilleure accessibilité, des espaces plus fonctionnels pour les commerçants.
On parle même d’espaces de convivialité supplémentaires, de zones ombragées pour l’été, d’une meilleure gestion des déchets. Bref, si tout se passe comme prévu, Saint-Maur aura deux bijoux modernes qui respecteront le cachet historique des lieux.
Et puis soyons honnêtes : dans dix ans, personne ne se souviendra des six mois de retard si le résultat est à la hauteur. C’est souvent comme ça avec les travaux publics. On peste pendant la phase chantier, on applaudit à l’inauguration.
En attendant, comment s’organiser ?
En pratique, les autres marchés de la ville tournent à plein régime. Celui du centre-ville, ceux des quartiers plus excentrés absorbent une partie de la clientèle. Certains commerçants historiques ont même trouvé des solutions créatives : livraisons à domicile, stands éphémères, présence renforcée sur les réseaux sociaux.
La mairie, elle, communique régulièrement sur l’avancement des travaux. Des visites de chantier sont organisées pour les riverains et les commerçants. Transparence oblige.
Moi ce qui me frappe, c’est cette capacité de résilience. Malgré les galères, malgré les tensions, la vie continue. Les habitudes se réinventent. Et quelque part, c’est aussi ça, la force d’une ville comme Saint-Maur : des habitants attachés à leurs commerçants, des commerçants attachés à leurs clients, et une attente commune pour un avenir qui sente bon le pain frais et les discussions de comptoir.
Printemps 2026. Notez la date. Ce sera peut-être un peu plus tard que prévu, mais quand les grilles s’ouvriront enfin, je parie que la fête sera belle.
En attendant, on prend son mal en patience. Et on se console avec les autres marchés de la ville, qui, eux, n’ont pas perdu une miette de leur âme.
