Vous est-il déjà arrivé de regarder une cagette de tomates avec suspicion ? Moi, franchement, jamais. Jusqu’à ce que j’apprenne qu’une simple livraison de légumes en provenance d’Espagne pouvait cacher l’une des plus grosses saisies de l’année sur les routes du Sud.
Dans la nuit du 20 au 21 novembre, au péage d’Arles, les douaniers ont vécu ce genre de moment où l’on se dit que la réalité dépasse parfois la fiction la plus rocambolesque.
Quand les légumes masquent des millions d’euros de drogue
Minuit passé. L’autoroute A54 est calme. Une fourgonnette immatriculée en France se présente au péage. Rien d’anormal à première vue. Le conducteur présente des papiers en règle : transport de fruits et légumes frais depuis l’Andalousie vers un grossiste marseillais. Classique.
Mais les agents de la brigade des douanes de Marseille, habitués à ces trajets nocturnes, décident de creuser. Un contrôle un peu plus poussé, l’intervention d’une équipe cynophile, et là… le décor change complètement.
Derrière une façade impeccable de cagettes bien rangées, les douaniers découvrent des sacs-poubelles et cinq grosses valises rigides, le genre de bagages que l’on associe immédiatement au trafic de résine de cannabis en provenance du Maroc.
Un bilan qui donne le vertige
Après plusieurs heures de déchargement, le chiffre tombe : 329,32 kg de résine de cannabis et 27,18 kg de cocaïne. Au total, plus de 356 kilos de stupéfiants. Sur le marché noir, cela représente une valeur estimée à plus de quatre millions d’euros.
Pour vous donner une idée, c’est l’équivalent de ce que certains réseaux mettent plusieurs mois à faire transiter. En une seule nuit, une équipe de douaniers a mis un coup d’arrêt brutal à une livraison qui aurait alimenté des mois de revente dans la région marseillaise.
- 404 cagettes de fruits et légumes (oui, elles étaient bien réelles)
- Des dizaines de pains de résine soigneusement emballés
- Des paquets de cocaïne conditionnés pour la revente
- Cinq « valises marocaines » typiques du trafic
La technique du « rideau de légumes »
Ce n’est pas la première fois que les trafiquants utilisent ce stratagème, loin de là. On l’appelle parfois le rideau de légumes ou le go-fast alimentaire. L’idée est simple : noyer la marchandise illicite dans une cargaison légitime et odorante. Les tomates, les poivrons, les melons ont une odeur forte qui peut gêner les chiens dressés à détecter les stupéfiants.
Mais cette nuit-là, le chien n’a pas été perturbé longtemps. Quelques minutes ont suffi pour qu’il marque violemment l’arrière du véhicule. Et là, plus de doute possible.
Les trafiquants redoublent d’imagination, mais nos équipes et nos chiens sont formés pour déjouer ces camouflages de plus en plus sophistiqués.
– Un responsable douanier expérimenté
Le conducteur dépassé par les événements
Interrogé sur l’aire de repos, l’homme au volant tombe rapidement des nues. Il répète qu’il ne transporte que des légumes, qu’il est simplement rémunéré pour effectuer la livraison. Classique défense du « mulet » qui ignore tout, ou presque.
Placé en retenue douanière – l’équivalent de la garde à vue côté douanes – il n’a pas su expliquer la présence de la drogue. Comparution immédiate, demande de délai, et finalement placement en détention provisoire en attendant son procès prévu pour janvier.
On peut se demander s’il était vraiment le cerveau de l’opération ou juste un rouage remplaçable. L’enquête de l’Office antistupéfiants (Ofast) de Marseille va tenter de remonter la filière.
Et les légumes dans tout ça ?
Il y a une petite touche d’humanité qui m’a particulièrement marqué dans cette affaire. Une fois la drogue extraite, les 404 cagettes de fruits et légumes parfaitement consommables ont été remises aux Restos du Cœur. En pleine campagne hivernale, ces produits frais ont pu être redistribués à des familles dans le besoin.
C’est un détail qui fait sourire jaune : des tomates qui devaient financer le crime ont fini dans les assiettes de personnes qui luttent pour joindre les deux bouts. Il y a une forme de justice poétique là-dedans, non ?
Marseille, plaque tournante malgré elle
On ne va pas se mentir : quand on parle de grosse saisie en direction de Marseille, personne n’est vraiment surpris. La cité phocéenne reste, malgré tous les efforts déployés, un point de chute privilégié pour les réseaux qui viennent d’Espagne ou du Maghreb.
La proximité géographique, les autoroutes directes, le port… tout concourt à faire de la région PACA une zone à très haut risque. Et pourtant, les chiffres des saisies sont en constante augmentation, preuve que les forces de l’ordre serrent la vis.
Cette prise d’Arles n’est qu’un exemple parmi d’autres. Chaque semaine ou presque, on entend parler de dizaines, voire centaines de kilos interceptés sur l’A7, l’A9 ou l’A54.
L’éternelle guerre contre les go-fast
Le modèle économique du go-fast – charger à fond, rouler vite, livrer vite – reste incroyablement rentable pour les organisations criminelles. Un seul trajet réussi peut rapporter des centaines de milliers d’euros de bénéfice.
Même avec un risque élevé d’interception, le jeu en vaut la chandelle pour eux. Et c’est là tout le drame : tant qu’il y aura une demande massive sur le territoire français, il y aura des candidats pour prendre le volant.
Ce qui change, c’est la réponse des autorités : coordination renforcée entre douanes, police, gendarmerie, utilisation de plus en plus fréquente des chiens, des scanners mobiles, des contrôles inopinés la nuit… Le filet se resserre.
Et nous, dans tout ça ?
Derrière les chiffres impressionnants, il y a une réalité plus sombre. Cette drogue était destinée à être écoulée dans nos villes, nos quartiers, parfois jusqu’aux lycées. Chaque kilo saisi, c’est potentiellement des vies préservées de l’addiction, des règlements de comptes évités, des familles qui ne basculeront pas dans le deuil.
On a tendance à voir ces saisies comme des victoires statistiques. Elles le sont, bien sûr. Mais elles sont aussi le signe que le problème reste immense. Et que la lutte, elle, est quotidienne, acharnée, souvent dans l’ombre.
La prochaine fois que vous croiserez une fourgonnette de primeurs sur l’autoroute, vous y penserez peut-être deux secondes. Moi, en tout cas, c’est sûr.
(Article basé sur des faits rapportés fin novembre 2025 – les quantités et modalités ont été vérifiées auprès des sources officielles douanières)
