Imaginez un peu : vous êtes en vacances, plage de sable blanc, cocotiers, cocktails… et soudain, au large, un ballet d’hélicoptères et de vedettes rapides qui foncent sur un bateau suspect. Ce n’est pas une scène de série Netflix, c’est ce qui vient de se passer au large du Costa Rica. Plus de quatre tonnes de cocaïne pures saisies en une seule opération. Franchement, quand on entend ça, on se dit que le cliché du petit pays tranquille en prend un sacré coup.
Une prise exceptionnelle qui en dit long sur la nouvelle réalité costaricienne
Cette opération conjointe entre les forces costariciennes et les garde-côtes américains a été qualifiée d’« historique » par les autorités locales. Et pour cause : quatre mille kilos de cocaïne, ça représente une valeur de rue qui donne le vertige – plusieurs centaines de millions de dollars. Deux Colombiens arrêtés, un semi-submersible intercepté… le scénario classique, mais à une échelle rarement vue dans cette zone.
Ce qui m’impressionne le plus, ce n’est pas tant le volume (même si c’est énorme), c’est le symbole. Le Costa Rica, ce pays qu’on nous vendait comme l’exception heureuse d’Amérique centrale – pas d’armée, écolo, souriant – est en train de basculer dans une violence qu’on croyait réservée au Honduras ou au Salvador.
Des chiffres qui font froid dans le dos
Regardez plutôt :
- Entre 2022 et 2024 : 81 tonnes de drogue saisies sur le territoire.
- 2024 : un taux de 16,6 homicides pour 100 000 habitants – plus du double de la moyenne mondiale.
- Des règlements de comptes quotidiens, des tueurs à gages à moto, des massacres dans les bars… ça ne ressemble plus à la « Pura Vida » qu’on nous promettait.
Je me souviens encore, il y a dix ans, on pouvait laisser sa porte ouverte à San José sans trop de soucis. Aujourd’hui ? Les quartiers populaires ressemblent à des zones de guerre par endroits. Et ce n’est pas une exagération de journaliste en quête de sensationnel.
Pourquoi le Costa Rica est-il devenu une plaque tournante ?
La réponse est à la fois simple et terrifiante : la géographie. Coincé entre les deux plus gros producteurs de cocaïne (Colombie, Pérou) et le plus gros consommateur (États-Unis), le pays est idéalement placé. Quand le Mexique est devenu trop dangereux et trop surveillé, les cartels ont déplacé leurs routes. Le Pacifique costaricien, avec ses côtes découpées et ses milliers de kilomètres de jungle, est devenu l’autoroute parfaite.
Ajoutez à cela la corruption – oui, même là-bas – et vous avez la recette parfaite. Récemment, un ancien ministre de la Sécurité et un ex-juge se sont retrouvés dans le viseur de la justice américaine pour complicité de trafic. Quand les gardiens du temple trempent dans le business, on comprend mieux pourquoi ça dérape.
« Le Costa Rica n’est plus un pays de transit, c’est devenu un pays de stockage et de redistribution. »
Un haut responsable antidrogue, sous couvert d’anonymat
Cette phrase, entendue lors d’un briefing il y a quelques mois, m’avait marqué. On passe d’un pays où la drogue « passait » à un pays où elle s’installe. Les entrepôts se multiplient dans les zones franches, les conteneurs restent plus longtemps dans les ports, les narco-avions atterrissent sur des pistes clandestines… tout un écosystème se met en place.
L’opération du Pacifique : comment ça s’est passé ?
D’après les informations qui filtrent, tout a commencé avec un renseignement américain. Un de ces fameux semi-submersibles – ces engins mi-sous-marin mi-bateau que les narcos adorent – avait été repéré à plusieurs centaines de milles des côtes. Direction plein nord, chargement lourd.
Les garde-côtes US ont alerté leurs homologues costariciens. Plusieurs jours de surveillance aérienne, des hélicoptères, des avions de patrouille maritime… et puis l’assaut. Les images (quand elles seront déclassifiées) promettent d’être spectaculaires : des commandos qui sautent sur le pont, des ballots éventrés, de la poudre blanche partout.
Ce qui est intéressant, c’est que cette opération tombe à un moment où Washington est sous le feu des critiques. On leur reproche parfois d’ouvrir le feu un peu trop vite sur des bateaux suspects. Là, avec une saisie aussi massive et une collaboration parfaite, c’est un joli retour de bâton diplomatique.
Et maintenant ? Les limites d’une victoire symbolique
Quatre tonnes, c’est énorme. Mais soyons honnêtes : c’est une goutte d’eau dans l’océan (sans mauvais jeu de mots). Les experts estiment que seulement 10 à 15 % de la cocaïne qui transite est interceptée. Le reste arrive à bon port – aux États-Unis, en Europe, et même de plus en plus en Afrique de l’Ouest.
- Les cartels ont les moyens : un semi-submersible coûte entre 1 et 2 millions de dollars. Perdre une cargaison ? C’est embêtant, mais ils en construisent dix autres.
- Les routes s’adaptent en permanence : demain, ce sera peut-être le Guatemala ou le Panama qui prendront le relais.
- La demande, elle, ne faiblit pas. Tant que l’Europe et les États-Unis consommeront, il y aura des volontaires pour prendre le risque.
Le vrai défi pour le Costa Rica, ce n’est pas seulement de saisir plus de drogue. C’est de couper les racines du problème : pauvreté dans certaines régions, corruption, manque de moyens policiers, justice débordée. Sans ça, chaque saisie record ne sera qu’un feu de paille médiatique.
Un avertissement pour toute l’Amérique centrale ?
Ce qui arrive au Costa Rica devrait faire réfléchir les pays voisins. Le Nicaragua, le Panama, le Honduras… tous sont sur la même trajectoire si rien n’est fait. L’argent de la drogue corrompt tout : police, politique, justice, et même le tissu social. Des gamins de 14 ans deviennent sicaires parce que ça paie mieux que n’importe quel autre job.
On voit déjà les mêmes symptômes ailleurs : des ports saturés, des zones franches qui servent de plaques tournantes, des politiciens qui ferment les yeux. Le Costa Rica avait une avance – pas d’armée, une image positive, un tourisme florissant. S’il tombe, les autres n’ont aucune chance.
La question que je me pose, et que tout le monde devrait se poser : jusqu’où cette violence va-t-elle monter avant qu’on trouve une vraie solution ? Parce que saisir quatre tonnes, c’est bien. Mais empêcher que quatre-vingts autres passent, c’est mieux.
En attendant, la prochaine fois que vous irez au Costa Rica – et j’espère que vous irez, parce que c’est toujours un pays magnifique – regardez un peu plus attentivement les plages au crépuscule. Qui sait ce qui se passe au large, là où les lumières des bateaux de pêche se mélangent parfois à d’autres lueurs, plus discrètes, plus dangereuses.
La « Pura Vida », elle existe encore. Mais elle se bat tous les jours pour survivre.
