Vous vous souvenez sans doute de ces images : un ancien chef de l’État qui franchit le portail d’une prison, entouré de caméras. Cela s’est produit il y a quelques mois à peine. Et pourtant, quand la plus haute juridiction française vient de confirmer une nouvelle condamnation à de la prison ferme, on apprend que l’intéressé ne remettra probablement pas les pieds en cellule. Drôle de justice, non ? C’est exactement ce qui arrive avec l’affaire Bygmalion et Nicolas Sarkozy.
Alors oui, le pourvoi a été rejeté. Oui, la peine est désormais définitive : un an d’emprisonnement, dont six mois ferme. Mais dans les faits, tout est déjà prévu pour que cette partie ferme ne se traduise jamais par une incarcération classique. C’est presque devenu une habitude, et ça mérite qu’on s’y arrête un peu.
Une condamnation définitive… qui change (presque) rien au quotidien
Quand on entend « six mois de prison ferme » pour un ancien président de la République, l’imagination collective part immédiatement vers les cellules, les matons, le bruit des clés. Sauf que la réalité du droit français, surtout pour les peines courtes et pour les personnes de plus de 70 ans, est bien différente. Et là, on touche à quelque chose de profondément français : l’art de l’aménagement de peine.
Dès l’arrêt de la cour d’appel, les juges avaient déjà tranché : pas question d’une exécution classique de la partie ferme. Le dispositif était clair, l’aménagement était acté. La Cour de cassation n’a fait que confirmer cette décision. Résultat ? Nicolas Sarkozy va bel et bien être convoqué devant un juge d’application des peines, mais pas pour qu’on lui choisisse une cellule.
Le bracelet électronique, déjà-vu qui pourrait revenir
Reprenons le film des événements. On a tous en tête l’épisode du bracelet électronique dans une autre affaire, celle des écoutes. Deux mois après la décision définitive, l’ancien président s’était retrouvé avec ce boîtier à la cheville et des horaires stricts de sortie – entre 8h et 20h ou 21h30 selon les jours. Franchement, on avait presque oublié que c’était une première historique pour un ancien chef de l’État.
Puis, trois mois plus tard, nouveau tournant : grâce à son âge (70 ans cette année) et à son comportement jugé irréprochable, le voilà admis à la libération conditionnelle. Le bracelet saute, les contraintes horaires aussi. Il reste juste quelques obligations classiques : demander l’autorisation pour les longs séjours à l’étranger, accepter les visites du service pénitentiaire d’insertion et de probation… La routine, quoi.
« Il n’a pas vocation à retourner en prison dans cette affaire »
– Un professeur de droit pénal qui suit le dossier de près
Cette phrase résume tout. Les spécialistes sont unanimes : pour une peine d’un an avec six mois ferme, chez une personne de cet âge et sans antécédent d’incarcération longue, l’enfermement pur et simple n’est tout simplement pas envisagé.
Pourquoi la prison n’est (presque) jamais automatique
Il faut comprendre un principe clé du droit français : depuis 2004 et surtout depuis la loi de 2009, les peines de moins de deux ans (et même parfois plus) peuvent – et doivent souvent – être aménagées ab initio. C’est-à-dire dès le départ. Le but ? Éviter la surpopulation carcérale et favoriser la réinsertion.
- Peines inférieures à deux ans : aménagement quasi-systématique
- Personnes de plus de 70 ans : priorité absolue à l’aménagement
- Absence de risque de récidive : argument supplémentaire
- Première incarcération ou courte durée : quasi jamais d’exécution classique
Dans le cas qui nous occupe, tous les critères sont cochés. Parfois, j’ai l’impression que certains commentateurs oublient simplement comment fonctionne le système. On crie au scandale, on parle de « justice à deux vitesses », mais en réalité, des milliers de Français bénéficient chaque année du même traitement. La différence ? Eux ne font pas la une.
Et si le bracelet revient… ce sera pour combien de temps ?
Imaginons le scénario le plus probable. Le juge d’application des peines va examiner le dossier – déjà bien fourni – et très vraisemblablement reconduire un placement sous bracelet électronique pour les six mois ferme. Peut-être même moins, si on tient compte du temps déjà « purgé » sous contrainte dans l’autre affaire.
Ensuite ? Comme la dernière fois, une demande de libération conditionnelle pourra intervenir rapidement. L’âge joue, la santé aussi (même si on n’en parle jamais officiellement), et le comportement pendant la période sous bracelet sera déterminant. En clair : quelques mois avec le boîtier, puis retour à une liberté quasi totale, avec juste quelques obligations résiduelles.
Ce qui est fascinant, c’est la mécanique presque huilée de tout ça. On condamne ferme, on fait appel à l’émotion, puis la machine judiciaire se remet en route et applique tranquillement les textes. Et pourtant, à chaque étape, ça fait scandale.
L’effet cumulé des affaires : jusqu’où ira-t-on ?
Maintenant, posons la vraie question qui agite les observateurs : avec plusieurs condamnations qui s’accumulent, est-ce que ça change quelque chose ? Pour l’instant, non. Chaque peine s’exécute séparément, avec son propre aménagement. Mais à partir d’un certain seuil – que les juristes appellent le « quantum global » – un juge pourrait décider de revoir l’ensemble des modalités.
Est-ce que ça arrivera ? Franchement, j’en doute. Les magistrats savent très bien qu’on entre là dans une zone où le symbolique prend le pas sur le juridique. Et personne n’a envie d’être celui ou celle qui remettra un ancien président en prison pour quelques mois, surtout à 70 ans passés.
La justice française a toujours su distinguer la symbolique de l’exécution réelle de la peine quand il s’agit de hautes personnalités.
C’est une phrase que j’entends souvent dans les couloirs des facultés de droit. Et force est de constater qu’elle reste d’actualité.
Ce que ça dit de notre rapport à la justice
Au-delà du cas personnel, il y a quelque chose de plus profond. On condamne, on confirme, on rejette les pourvois… et au final, la sanction effective reste symbolique. Est-ce choquant ? Ça dépend de quel côté on se place.
D’un côté, il y a ceux qui crient à l’impunité. De l’autre, ceux qui rappellent que la prison n’est pas la seule forme de sanction et que le droit doit s’appliquer de manière humaine. Personnellement, je trouve que le débat est sain. Ce qui l’est moins, c’est quand on caricature : non, il n’y a pas de « privilège présidentiel » écrit noir sur blanc dans le code pénal.
Mais il y a des règles qui s’appliquent à tout le monde – l’âge, la durée de la peine, l’absence de dangerosité – et qui, mécaniquement, produisent le même résultat pour des milliers de condamnés chaque année. La seule différence, c’est la lumière des projecteurs.
Et demain ?
Dans quelques semaines, la convocation arrivera. Le juge prendra sa décision – presque certainement un bracelet ou une semi-liberté. Puis viendra probablement la libération conditionnelle. Et la vie continuera, entre conférences à l’étranger (avec autorisation), écriture de livres et batailles judiciaires restantes.
Car oui, il reste d’autres dossiers. Et c’est peut-être là que tout se jouera vraiment. Pour l’affaire Bygmalion, en revanche, l’histoire semble déjà écrite : une condamnation définitive, oui. Une nouvelle incarcération, non.
Comme quoi, en droit pénal français, les apparences sont parfois trompeuses. Et c’est peut-être ça, finalement, la vraie leçon de cette affaire qui n’en finit pas de rebondir.
