Imaginez : vous êtes à 180 km/h sur une piste à peine plus large que votre voiture, des rochers acérés de chaque côté, une crête qui vous cache totalement ce qui arrive ensuite et aucune possibilité de s’écarter en cas de problème. C’est exactement le cocktail que plusieurs pilotes de pointe refusent d’avaler ce week-end en Arabie Saoudite.
Et quand c’est Sébastien Ogier – huit fois champion du monde et toujours aussi tranchant à 41 ans – qui monte au créneau, on a plutôt intérêt à écouter.
Un secteur de trois kilomètres qui fait l’unanimité… contre lui
Le Rallye d’Arabie Saoudite 2025 est la toute dernière manche du championnat WRC, celle qui va sacrer le champion. Trois pilotes Toyota se tiennent en trois points : Elfyn Evans mène avec 272 points, Ogier suit à 269 et Kalle Rovanperä reste en embuscade à 248. Autant dire que chaque seconde, chaque erreur, chaque abandon peut tout changer.
Mais avant même le départ, l’attention s’est focalisée sur la fin de la spéciale 11 (et son second passage, la 14). Trois petits kilomètres qui concentrent tout ce qu’un pilote déteste :
- Une piste tellement étroite que les deux roues extérieures flirtent en permanence avec le vide ou les cailloux
- Des champs de pierres prêtes à déchiqueter pneus et suspensions
- Des virages en aveugle après des bosses où l’on vole littéralement sans savoir où l’on va retomber
- Zéro dégagement : en cas de sortie, c’est le mur de rocher direct
« C’est dangereux parce qu’il y a trois kilomètres où il y a vraiment juste la place de la voiture. Un champ de pierres partout, des crêtes, des virages en aveugle… Si tu as un problème, tu n’as nulle part où t’arrêter. »
Sébastien Ogier
Quand les pilotes font bloc… et que personne ne bouge
Ce qui frappe, c’est l’unanimité. Ce n’est pas un caprice d’Oger. Thierry Neuville, le champion en titre chez Hyundai, a dit exactement la même chose quelques minutes plus tard. Les pilotes Toyota, Hyundai, même certains privés : tout le paddock est d’accord pour dire que ces trois kilomètres n’ont rien à faire dans un rallye moderne.
La solution proposée ? Tout simplement les neutraliser ou les couper. Trois kilomètres sur une spéciale de plus de 30, ça ne change rien au spectacle ni au classement, mais ça retire un risque énorme.
Mais pour l’instant, silence radio du côté de la direction de course. « On n’a pas été écoutés », regrettait Ogier mercredi soir, l’air sincèrement dépité.
La sécurité en rallye : des progrès immenses… et des rechutes
Le WRC a fait des bonds de géant en matière de sécurité depuis vingt ans. Arceaux renforcés, HANS, combinaisons ignifugées plus performantes, cellules de survie incroyables… On a vu des accidents hallucinants où les pilotes sortaient presque indemnes.
Mais il reste un point noir : le tracé lui-même. Et là, c’est parfois la course à celui qui proposera le terrain le plus « authentique », le plus extrême pour faire parler de l’épreuve.
L’Arabie Saoudite, nouvelle venue au calendrier WRC, veut visiblement marquer les esprits. Le pays organise déjà le Dakar et plusieurs manches de Formule E ou d’Extreme E. Le message est clair : ici, on ne fait pas semblant, c’est du vrai sport mécanique hardcore.
Sauf que le rallye moderne, ce n’est plus les années 80 où l’on envoyait les Groupe B dans des chemins de chèvres sans aucune reconnaissance. Aujourd’hui, les pilotes ont des notes ultra-précises, des reconnaissances limitées, et surtout une responsabilité collective vis-à-vis de la sécurité.
Pourquoi ces trois kilomètres posent autant problème
Allons dans le détail, parce que c’est important de comprendre pourquoi tout le monde s’inquiète.
D’abord l’étroitesse. Sur les vidéos onboard des reconnaissances, on voit clairement que dans certains passages, les murs de rocher d’un côté, ravin de l’autre, et à peine la largeur d’une WRC entre les deux. Un léger écart de trajectoire et c’est fini.
Ensuite les pierres. Pas des petits cailloux, non : des blocs tranchants qui dépassent parfois de 30-40 cm. Une crevaison à 160 km/h là-dedans, et même les pneus renforcés actuels ne tiennent pas toujours.
Enfin la visibilité. Les crêtes successives font que les pilotes arrivent en aveugle dans des virages serrés. Dans les notes, ça donne des phrases comme « Gauche 3 long caché crête, attention rocher intérieur ! ». Sauf que quand tu arrives lancé, tu n’as pas le temps de lever le pied si la note n’est pas parfaite.
« On était tous unanimes : on enlève trois kilomètres, ça ne change rien à la course, et on minimise les risques. Malheureusement, pour l’instant, on n’a pas été entendus. »
Sébastien Ogier
Un titre mondial en jeu : la pression maximale
Ce qui rend la situation encore plus tendue, c’est l’enjeu sportif. On arrive à la dernière manche avec trois pilotes séparés de 24 points maximum. Chaque point de spéciale, chaque bonification de Power Stage compte double.
Dans ces conditions, prendre des risques fous pour grappiller trois ou quatre secondes peut paraître tentant. Surtout quand tu joues le titre. Et c’est exactement ce que personne ne veut voir : un pilote qui se met en danger parce que la piste ne laisse pas le choix.
J’ai suivi le WRC depuis plus de vingt ans, et je peux vous dire que les plus grands champions sont souvent ceux qui savent parfois lever le pied quand c’est inutilement dangereux. Ogier l’a prouvé mille fois. Alors quand lui dit « là, c’est trop », on peut lui faire confiance.
Que peut-il se passer maintenant ?
Plusieurs scénarios possibles d’ici vendredi matin :
- La direction de course cède et neutralise le secteur (solution la plus sage)
- Les pilotes décident collectivement de lever le pied massivement dans ces trois kilomètres (message fort, déjà vu par le passé)
- Les organisateurs campent sur leurs positions… et on croise les doigts pour que rien n’arrive
Personne n’a envie de revivre les drames du passé. Le rallye a déjà payé un trop lourd tribut. Et franchement, un titre mondial décidé dans un hôpital, ça n’intéresse personne.
Le sport automobile reste l’un des plus beaux spectacles du monde quand le risque est maîtrisé. Là, on est en train de flirter avec la ligne rouge. Espérons que la raison l’emporte avant qu’il ne soit trop tard.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Un organisateur doit-il toujours privilégier le spectacle au détriment de la sécurité quand tous les pilotes tirent la sonnette d’alarme ?
Je serai devant les chronos ce week-end, le cœur un peu serré. Parce que oui, on veut du suspense pour le titre… mais on veut surtout que tout le monde rentre à la maison.
