Imaginez-vous à 19 ans, sac sur le dos, direction la caserne. On vous loge, on vous nourrit, on vous équipe… mais quand arrive la première paie, surprise : certains touchent à peine de quoi s’acheter un kebab, d’autres repartent avec un salaire qui fait pâlir un jeune cadre parisien. En Europe, le service militaire obligatoire (ou son retour en force) n’a jamais été aussi clivant – et les écarts de rémunération sont tout simplement hallucinants.
Un grand écart salarial qui en dit long sur nos sociétés
Franchement, quand on m’a parlé pour la première fois de 9 euros mensuels pour un conscrit grec, j’ai cru à une blague. Puis j’ai vérifié. Non, ce n’est pas une erreur. 8,80 € précisément pour un simple soldat. À l’opposé, le Danemark propose près de 1 900 €. Entre les deux ? Un continent qui se cherche, entre pays neutres richissimes et nations aux portes de la Russie qui n’ont plus le luxe de lésiner sur la défense.
Les pays qui n’ont jamais vraiment arrêté
Certains États n’ont jamais cédé à la mode de la suspension post-Guerre froide. La Finlande, par exemple. Là-bas, presque tous les garçons passent entre six et douze mois sous les drapeaux. La paie ? Ridiculement basse au début : 6,10 € par jour. Oui, par jour. Ça monte un peu avec le temps, jusqu’à 14 € après presque un an. Autrement dit, on est loin du jackpot, mais personne ne se plaint trop : c’est devenu une étape quasi sacrée de la vie finlandaise, un peu comme le bac chez nous.
En Norvège, l’approche est différente. Depuis 2013, les femmes sont concernées aussi – première armée au monde à imposer la mixité totale. Résultat ? Seuls les plus motivés et les mieux notés sont retenus (environ 15 % d’une classe d’âge). Conséquence logique : la rémunération suit. On parle de sommes qui permettent de vivre décemment, même à Oslo où tout coûte un rein.
La Grèce, elle, reste dans la symbolique minimaliste : 8,80 € pour un soldat célibataire, jusqu’à 140 € si tu as déjà deux enfants (ce qui arrive parfois, oui). C’est presque une allocation « café-clopes ». Pourtant, personne ne songe à augmenter : l’idée, c’est le devoir plus que le métier.
Ceux qui ont remis le bleu de chauffe… par nécessité
La Lituanie a été la première à appuyer sur le bouton « retour en arrière » dès 2015. Neuf mois tirés au sort, 300 à 600 € selon que tu sois volontaire ou non. La Lettonie a suivi, la Suède aussi – cette dernière avec une approche très… suédoise : on te paie environ 400 €, mais l’égalité est totale et personne ne fait semblant de râler.
« On ne fait pas ça pour l’argent, mais pour que le pays reste défendable. »
– Un jeune conscrit suédois interrogé récemment
Et puis il y a le Danemark, champion toutes catégories. Onze mois désormais, femmes incluses, et une paie qui frise les 1 900 € mensuels. Autant dire qu’on est presque dans les standards d’un premier emploi qualifié. Le message est clair : on a besoin de vous, et on est prêts à payer le prix.
Les futurs entrants : l’argent comme argument massue
L’Allemagne prépare le grand retour – enfin, une version light, volontaire, mais ambitieuse. Objectif 20 000 jeunes par an dès 2026. Et pour remplir les rangs ? Un salaire d’entrée à 2 600 € brut. Oui, vous avez bien lu. C’est plus que beaucoup de contrats en alternance. L’idée est simple : face au manque criant de recrues, la Bundeswehr sort le chéquier.
La Belgique n’est pas en reste : 2 000 € net environ pour un engagement volontaire d’un an. La Roumanie, elle, propose une formule courte (quatre mois) avec une prime finale de 2 500 €. On passe clairement d’une logique de devoir à une logique de marché du travail.
Et la France dans tout ça ?
Chez nous, on reste sur une formule 100 % volontaire, dix mois, 800 € brut mensuels (hors primes), logé-nourri-blanchi. C’est correct sans être fou. Surtout, ça reste en-dessous de ce que certains voisins proposent déjà pour des formats similaires. Est-ce suffisant pour attirer 3 000 jeunes la première année, comme annoncé ? On verra. Ce qui est sûr, c’est que le curseur français se situe pile dans la moyenne basse européenne – ni radin comme la Grèce, ni généreux comme Copenhague.
Moi, ce qui me frappe, c’est à quel point l’argent devient l’argument numéro un là où la fibre patriotique ne suffit plus. Quand un pays doit sortir 2 600 € pour convaincre un jeune de porter l’uniforme six mois, c’est qu’on a changé d’époque.
Un tableau qui résume tout
| Pays | Durée | Rémunération mensuelle | Statut |
| Grèce | 9-12 mois | 8,80 à 140 € | Obligatoire (hommes) |
| Finlande | 6-12 mois | 180 à 425 € env. | Obligatoire (hommes) |
| Norvège | 12 mois | Élevé (non précisé officiellement) | Obligatoire mixte sélective |
| Danemark | 11 mois | ≈ 1 900 € | Obligatoire mixte |
| Suisse | 9 mois env. | ≈ 2 200 € (74 CHF/jour) | Obligatoire (hommes) |
| Suède | 9-15 mois | ≈ 400 € | Obligatoire mixte sélective |
| Lettonie | 11 mois | 300 à 600 € | Obligatoire (hommes) |
| Allemagne (projet 2026) | Volontaire | 2 600 € brut | Volontaire |
| France (2026) | 10 mois | 800 € brut | Volontaire |
Regardez ce tableau deux secondes. On passe du simple au presque trentuple en fonction des frontières. C’est presque comique si ce n’était pas aussi sérieux.
Ce que ça dit de nous, en vrai
Derrière les euros, il y a une question de fond : qu’est-ce qu’on est prêts à offrir à nos jeunes pour qu’ils acceptent de risquer leur peau (ou au moins leur confort) ? Certains misent encore sur le sens du devoir et la fierté nationale. D’autres, plus pragmatiques, sortent le carnet de chèques. Les deux fonctionnent… jusqu’à un certain point.
Personnellement, je trouve fascinant de voir l’Allemagne – oui, l’Allemagne – prête à payer 2 600 € pour attirer des volontaires là où, il y a quinze ans, la conscription était obligatoire et quasiment gratuite. Le monde a changé. La guerre en Ukraine a rappelé à tout le monde que la paix européenne n’est pas gravée dans le marbre. Et quand la menace revient, les États redécouvrent que l’idéal ne suffit plus : il faut aussi aligner les zéros sur le bulletin de paie.
Alors, vous signeriez pour combien, vous ? 800 € à la française ? 1 900 à la danoise ? Ou il faudrait atteindre les 2 600 allemands pour vous faire hésiter ? La réponse, finalement, en dit probablement plus long sur notre génération que tous les discours officiels.
Une chose est sûre : le grand retour du service militaire en Europe ne se fera pas avec les mêmes recettes qu’avant-guerre. L’argent est devenu l’argument décisif. Reste à savoir si, le jour où ça chauffera vraiment, les euros suffiront encore à motiver ceux qu’on appellera sous les drapeaux.
