Vous souvenez-vous des « trois jours » ? Cette fameuse visite médicale où certains tentaient désespérément de faire croire qu’ils étaient fous, trop myopes ou asthmatiques pour échapper à la grande aventure ? Moi, j’ai encore en tête les histoires de mon grand frère qui rentrait en permission avec des yeux brillants et des anecdotes à n’en plus finir. Le service militaire obligatoire, ce rite de passage qui a marqué des générations entières de garçons français jusqu’en 1997, reste gravé dans la mémoire collective comme un mélange improbable de corvées absurdes et de moments inoubliables.
Aujourd’hui, alors qu’on parle à nouveau d’un retour – même partiel et volontaire – de cette expérience, j’ai eu envie de replonger dans ces souvenirs. Pas ceux des livres d’histoire, non. Les vrais. Ceux qui font rire jaune, ceux qui nouent encore la gorge trente ans après.
Quand le service militaire faisait vraiment partie de la vie
Avant 1997, aucun jeune homme de 18 ans n’y coupait. Enfin, presque aucun. Il y avait bien les réformés, les objecteurs de conscience et les fils de bonne famille qui trouvaient parfois la combine parfaite. Mais pour la grande majorité, dix mois (parfois douze à l’époque) sous les drapeaux étaient inévitables. C’était la loi, point barre.
Et pourtant, quand on écoute ceux qui l’ont vécu, on sent immédiatement que ça allait bien au-delà d’une simple obligation légale.
L’impression d’avoir enfin servi à quelque chose
Christophe, 52 ans aujourd’hui, se souvient encore de son affectation à Djibouti en 1993. « J’étais mécanicien naval. On réparait les bateaux, on faisait des missions de surveillance. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression de servir vraiment à quelque chose. Pas juste d’aller en cours ou de faire des petits boulots d’été. Là, on participait à la sécurité du pays, même si on était à l’autre bout du monde. »
« Le soir, on regardait le coucher de soleil sur la mer Rouge, et on se disait qu’on vivait un truc que personne d’autre ne comprendrait jamais. »
Christophe, ancien appelé à Djibouti
Cette sensation d’utilité, beaucoup l’ont ressentie. Même ceux qui ont passé leur temps à nettoyer les chiottes ou à éplucher des patates à s’en user les doigts.
Les amitiés qui traversent le temps
S’il y a bien une chose qui revient dans toutes les bouches, c’est la camaraderie. Cette fraternité immédiate, brutale parfois, mais tellement solide.
Julien, 49 ans, a fait son service au 3e régiment de dragons à Stetten en Allemagne. « On venait de partout. Des banlieues, des campagnes, des grandes villes. Des mecs qu’en temps normal je n’aurais jamais croisés. Et là, pendant dix mois, on a dormi dans le même dortoir, mangé la même tambouille, pleuré sous la pluie pendant les marches de nuit. Aujourd’hui encore, on se voit tous les ans. On a créé un groupe WhatsApp qui s’appelle « Les survivants du 3e ». »
- Ils organisent des week-ends retrouvailles tous les deux ans
- Ils se sont tenus les coudes lors de divorces, de licenciements
- L’un d’eux a même été parrain du fils d’un autre
Ces liens-là, forgés dans la sueur et parfois dans les larmes, ne se défont pas.
Les galères qui font rire… trente ans après
Évidemment, tout n’était pas rose. Loin de là.
Les réveils à 5h30. Les corvées d’épluchage. Les punitions collectives absurdes. Les gradés qui prenaient un peu trop au sérieux leur petit pouvoir. Les nuits en bivouac sous la pluie battante avec un duvet qui ne sèche jamais.
« On a fait 42 km de marche forcée avec 20 kg sur le dos parce qu’un gars avait oublié de dire « mon capitaine » au lieu de « chef ». On l’a maudit pendant des années… et aujourd’hui on en rit encore. »
Antoine, ancien du 1er régiment de chasseurs parachutistes
Il y avait aussi les bizutages – certains doux, d’autres beaucoup moins. Les « bahuts » qui consistaient à vider le sac de l’arrivant et à le faire courir en slip dans la cour. Les « classes » qui vous faisaient comprendre très vite que vous n’étiez plus chez maman.
Le permis gratuit : la combine légendaire
Et puis il y avait les bons plans. Le plus connu ? Le permis poids lourd passé gratuitement pendant le service.
David, chauffeur routier aujourd’hui, ne cache pas sa reconnaissance : « Sans le service, je n’aurais jamais pu me payer le permis PL. L’armée me l’a offert. Grâce à ça, j’ai pu trouver du boulot direct en sortant. Beaucoup de gars ont fait pareil. C’était une vraie opportunité sociale, même si sur le moment on râlait de conduire des GMC des années 70 qui tombaient en panne tous les 10 km ! »
Ceux qui ont tout fait pour y échapper
Mais tous n’ont pas vécu l’expérience avec la même philosophie. Certains ont déployé des trésors d’imagination pour s’en sortir.
Simuler une crise d’épilepsie aux trois jours. Se faire passer pour homosexuel (à une époque où c’était encore un motif de réforme). Se déclarer soutien de famille unique. Se porter volontaire pour les chantiers de jeunesse à la place.
Olivier, 53 ans, avoue sans honte : « J’ai fait croire que j’avais une scoliose terrible. J’ai passé des mois à m’entraîner à marcher voûté. J’ai été réformé P4. Sur le moment j’étais le plus heureux du monde… et puis quelques années après, j’ai regretté. Mes potes avaient des souvenirs incroyables, moi rien. »
Et les filles dans tout ça ?
Évidemment, le service militaire était profondément inégalitaire. Les filles n’y étaient pas soumises. Ce qui créait parfois des situations cocasses.
« Ma copine de l’époque me disait : « Toi au moins tu vas apprendre à faire ton lit et à repasser tes chemises ! » raconte en riant Sébastien. En réalité, beaucoup rentraient en permission et se faisaient dorloter par leur mère pendant 48h avant de repartir. »
Mais certaines femmes gardent aussi des souvenirs liés au service de leur compagnon. Les lettres quotidiennes. Les permissions tant attendues. Les appels depuis la cabine téléphonique de la caserne avec la queue de vingt gars derrière.
Un rite de passage qui manque à certains
Au fil des discussions, une idée revient souvent : le service militaire, malgré ses défauts, était un formidable mélangeur social.
- Le fils d’ouvrier côtoyait le fils de médecin
- Le Parisien apprenait à vivre avec le gars de la Creuse
- Le timide devenait parfois le leader de sa chambrée
Beaucoup estiment que la société y a perdu quelque chose quand il a été suspendu. Une forme de cohésion nationale. Un moment où tout le monde mettait un peu ses différences de côté pour un objectif commun, même si cet objectif était parfois de cirer des godillots.
Aujourd’hui, alors qu’on reparle d’un retour – même sous une forme très différente, volontaire et mixte – ces anciens appelés regardent ça avec une tendresse un peu nostalgique.
« Ce ne sera jamais pareil », disent-ils presque tous. « On ne peut pas recréer cette ambiance. Mais si ça peut redonner un peu de sens du collectif aux jeunes d’aujourd’hui… pourquoi pas. »
Parce qu’au fond, ce qu’ils gardent surtout, ce n’est pas la rigueur, ni les corvées, ni même les gradés parfois abusifs.
C’est le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’unique. D’avoir fait partie d’une grande histoire commune. D’avoir grandi, souvent malgré eux, en l’espace de quelques mois.
Et ça, aucune réforme ne pourra jamais l’effacer.
Et vous ? Vous auriez aimé faire votre service militaire obligatoire ? Ou vous êtes content·e·s que cette époque soit révolue ? Dites-le nous en commentaire, j’ai hâte de lire vos propres souvenirs (ou ceux de vos parents !).
