Vous vous souvenez du jour où vous avez appris que le service militaire était fini ? Moi oui. J’avais quinze ans, on en parlait encore comme d’un rite de passage un peu mythique, entre bizutage et aventure collective. Presque trente ans plus tard, voilà que le sujet revient sur la table, et pas qu’un peu. Emmanuel Macron s’apprête à remettre sur le devant de la scène une forme de service national, volontaire cette fois, mais avec une ambition qui fait franchement réfléchir.
Un retour du service militaire, mais pas comme avant
Non, ne vous emballez pas : personne ne parle de rétabloir la conscription obligatoire version 1990. L’époque des classes, des perms et des corvées de patates semble bel et bien révolue. Ce qui se dessine est plus subtil, plus moderne, et franchement plus inquiétant si on lit entre les lignes.
Le président devrait profiter d’un déplacement chez les chasseurs alpins, à Varces dans l’Isère, pour dévoiler les contours d’un Service National Volontaire (SNV). L’idée ? Créer une réserve opérationnelle conséquente de jeunes Françaises et Français formés au maniement des armes et prêts, le cas échéant, à renforcer les rangs de l’armée.
Pourquoi maintenant ? Le contexte géopolitique a changé
Difficile de ne pas faire le lien avec l’actualité brûlante. Depuis trois ans, la guerre est revenue en Europe. Les discours des plus hauts responsables militaires français ne laissent plus beaucoup de place au doute : la France doit se préparer à une possible confrontation de haute intensité. Le chef d’état-major des armées l’a dit sans détour récemment : il faut que le pays soit prêt, même au pire.
Dans ce cadre, avoir simplement une armée de métier, aussi professionnelle soit-elle, ne suffit plus. Il faut une réserve crédible, capable de monter en puissance rapidement. Et pour cela, il faut former massivement les jeunes générations. Pas demain, pas dans dix ans : maintenant.
Il nous faut une réserve de gens capables de manier les armes.
– Une formule qui résume assez bien l’état d’esprit actuel à l’Élysée
Volontaire… mais jusqu’à quel point ?
Officiellement, le mot clé est volontaire. Personne ne sera forcé. Mais soyons honnêtes : quand l’État met autant d’énergie et de moyens pour rendre un dispositif attractif, on sait très bien comment ça finit. Regardez le Service National Universel (SNU) lancé en 2019 : commencé comme une expérience sur la base du volontariat, il est déjà question de le rendre progressivement obligatoire pour toute une classe d’âge.
Le SNV risque de suivre la même trajectoire. On commence par des incitations financières (prime ? crédit d’impôt ? avantages concours ?), des partenariats avec les grandes écoles ou les entreprises, et petit à petit, ne pas l’avoir fait deviendra un handicap. C’est du volontariat… version XXL.
Que sait-on concrètement du dispositif ?
À l’heure où j’écris ces lignes, les arbitrages ne sont pas totalement rendus. Mais plusieurs éléments circulent avec insistance :
- Une formation militaire de plusieurs mois (entre 3 et 6 selon les sources)
- Apprentissage du maniement des armes d’infanterie modernes
- Modules de résilience (secourisme, survie, cybersécurité de base)
- Possibilité d’intégrer ensuite la réserve opérationnelle
- Public cible : les 18-25 ans, hommes et femmes sans distinction
- Objectif chiffré : plusieurs dizaines de milliers de jeunes formés par an
La question qui brûle toutes les lèvres : faut-il une loi pour créer ce dispositif ? Apparemment, l’exécutif hésite encore. Passer par une loi, c’est s’exposer à un débat parlementaire explosif. Contourner le Parlement via un décret ou une simple instruction, c’est plus discret… mais juridiquement fragile.
Entre éducation civique et préparation à la guerre : le grand écart
Officiellement, on nous vendra la dimension citoyenne. Renforcer le lien armée-nation, apprendre les valeurs républicaines, découvrir l’engagement. Tout ça est vrai. Mais soyons lucides : former des dizaines de milliers de jeunes au maniement des armes dans un contexte géopolitique aussi tendu, ça n’a rien d’une simple opération de communication.
L’aspect le plus intéressant – et le plus dérangeant – c’est que ce projet arrive au moment précis où plusieurs pays européens relancent des formes de service militaire :
- La Suède a rétabli la conscription en 2017
- La Lituanie l’avait fait dès 2015
- L’Allemagne débat sérieusement d’un retour
- Même le Royaume-Uni y pense depuis peu
La France, qui avait été pionnière dans la suspension du service en 1996, se retrouverait ainsi en train de rattraper son retard. Ironique, non ?
Et les jeunes dans tout ça ?
J’ai discuté avec plusieurs étudiants ces derniers jours. Les réactions sont très contrastées. Il y a ceux qui trouvent l’idée plutôt cool : « Au moins on apprendrait des trucs utiles », « Ça ferait un vrai break entre le lycée et les études », « Mieux que de glander six mois en job d’été pourri ».
Et puis il y a les autres, nettement plus sceptiques : « On n’est pas en 14-18 », « Je n’ai pas envie de perdre six mois de ma vie à faire le planton », « Et si c’est pour aller se battre en Ukraine dans cinq ans ? Non merci ».
Ce qui est sûr, c’est que la génération Z n’est pas la génération du devoir militaire chevillée au corps. Elle est sensible à l’engagement, oui, mais plutôt humanitaire, écologique ou associatif. L’engagement armé, c’est une autre paire de manches.
Un projet qui révèle notre époque
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est ce qu’elle dit de notre époque. Nous sommes passés en quelques années d’une France qui se pensait à l’abri des grands conflits à une France qui se prépare, sérieusement, à la possibilité d’une guerre sur son sol ou impliquant directement ses intérêts vitaux.
Ce service militaire volontaire, quel que soit son nom final, est un symptôme. Le symptôme d’un monde qui redevient dangereux. D’une Europe qui doit apprendre à se défendre seule ou presque. D’une jeunesse qu’on va devoir convaincre que la paix n’est pas un acquis éternel.
Est-ce que ça va marcher ? Franchement, je n’en sais rien. Mais une chose est sûre : le jour où ce dispositif sera lancé, quelque chose aura changé en profondeur dans la relation entre les Français et leur armée. Et peut-être dans l’idée qu’ils se font de leur propre pays.
À suivre de très près.
