Vous vous souvenez de cette promesse, lancée tambour battant pendant la campagne de 2017 ? Un mois obligatoire pour tous les jeunes de 15-17 ans, mélange de vie en collectivité, activités militaires light et cours de « cohésion républicaine ». L’idée faisait rêver sur le papier : recréer du lien entre les Français, redonner le goût de l’uniforme, et surtout afficher une France qui se réveille face aux défis du siècle. Huit ans plus tard, le grand rêve s’est évaporé. Le Service National Universel vient d’être purement et simplement enterré à la rentrée 2025.
Et le plus étonnant ? Personne ne semble vraiment surpris. Comme si, au fond, tout le monde avait senti venir le crash depuis longtemps.
Un projet né sous les meilleurs auspices… ou presque trop beaux
Revenons un instant en arrière. À l’époque, l’idée avait de quoi séduire. Le service militaire obligatoire avait été supprimé en 1997 sous Chirac, laissant un vide symbolique énorme. Beaucoup regrettaient cette parenthèse qui, malgré ses défauts, faisait office de rite de passage. Macron, jeune président disruptif, arrive avec une version modernisée : plus courte, mixte, axée sur les valeurs républicaines plutôt que sur la corvée de patates.
Le storytelling était rodé : « Chaque jeune ira à la rencontre des autres, découvrira la mixité sociale, vivra l’expérience de la Nation. » On nous vendait presque un Erasmus français en treillis.
« Le SNU doit permettre à la jeunesse de créer de nouveaux liens et de retrouver le goût de l’engagement. »
Discours présidentiel, 2019
En juin 2019, les premiers volontaires (ils étaient déjà volontaires à ce stade) partent dans treize départements pilotes. Les images font le tour des chaînes d’info : lever des couleurs, chants, activités sportives, jeunes de toutes origines qui sourient à la caméra. Tout va bien. Enfin, en apparence.
Les premiers signaux qui auraient dû alerter
Dès le départ, certains chiffres grinçaient. Le coût estimé par jeune pour le séjour de deux semaines ? Entre 2 000 et 2 500 euros. Pour une généralisation à 800 000 jeunes par an, on parlait rapidement de 1,6 à 2 milliards d’euros par an. À titre de comparaison, c’est presque le budget annuel de la justice à l’époque.
Autre détail qui fait tiquer : seulement 2 000 jeunes pour la première session pilote, puis 13 000 l’année suivante. On est très loin des centaines de milliers annoncés. Mais on se dit que c’est normal, c’est une phase d’expérimentation.
Et puis il y a les retours terrain. Des encadrants qui racontent des adolescents en décrochage total, d’autres qui passent leur temps sur TikTok entre deux activités, des fugues, des bagarres. Rien de dramatique en soi (on parle d’ados), mais ça commence à fissurer l’image idyllique.
La pandémie, le coup de grâce inattendu
2020 arrive. Covid. Confinement. Tout s’arrête net. Les sessions 2020 et 2021 sont annulées ou réduites à portion congrue. Quand le SNU reprend timidement en 2022, le soufflé est retombé. Les jeunes ont pris goût à ne rien faire de leurs vacances, les familles pestent contre l’obligation qui pointe à l’horizon, et les collectivités locales commencent à compter les factures.
C’est là que le projet commence à vaciller sérieusement. Car pendant ce temps, la guerre en Ukraine éclate. Brutalement, la question de la défense redevient centrale. Et là, tout le monde se rend compte que deux semaines de paintball et de débat sur les valeurs de la République, ça ne prépare pas vraiment à une menace conventionnelle.
Le mur budgétaire : quand les chiffres parlent plus fort que les discours
En 2024, une note confidentielle (qui finit évidemment par fuiter) tombe sur les bureaux. Le coût réel du SNU, avec une généralisation progressive, approcherait les 3 milliards d’euros annuels d’ici 2028. Pour un dispositif dont les bénéfices restent flous.
Parce que oui, il y a les bénéfices. Quelques études montrent une légère amélioration du sentiment d’appartenance nationale chez les participants. Mais rien de transcendant. Et surtout, rien qui justifie un tel investissement quand l’armée manque cruellement de moyens pour se rééquiper face à la Russie.
- Coût moyen par jeune : environ 2 800 € en 2024 (logement, nourriture, encadrement, transports)
- Nombre de jeunes concernés à terme : 800 000 par classe d’âge
- Budget annuel estimé en régime de croisière : entre 2,2 et 3 milliards €
- Comparaison : le plan de réarmement des armées annoncé en 2025 prévoit 3 milliards supplémentaires… par an aussi
Le choix devient cruellement simple : soit on finance un grand camp de vacances civique, soit on achète des obus et des blindés. Dans le contexte actuel, la réponse s’impose d’elle-même.
L’impossible mixité sociale : le grand mensonge ?
Un des arguments phares du SNU, c’était la rencontre entre jeunes de milieux différents. Sauf que dans les faits… ce fut un échec cuisant.
Les chiffres sont implacables : les participants étaient très majoritairement issus de milieux favorisés ou intermédiaires. Les jeunes des quartiers populaires ? Quasiment absents. Pourquoi ? Parce que pour beaucoup de familles modestes, perdre deux semaines de salaire d’un ado qui bosse l’été, c’est impossible. Sans parler des démarches administratives parfois complexes.
Résultat : on s’est retrouvé avec des groupes très homogènes socialement. L’exact contraire de l’objectif affiché. J’ai discuté avec un ancien encadrant qui me confiait, un peu amer : « On avait plus de fils de médecins que de jeunes en décrochage scolaire. C’était presque comique si ça n’était pas triste. »
Et les jeunes dans tout ça ?
La grande oubliée de l’histoire, c’est bien la cible du dispositif : la jeunesse elle-même.
Des sondages auprès des participants montrent une réalité contrastée. Beaucoup ont apprécié l’expérience humaine, les amitiés nouées, le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’unique. Mais quand on leur demande s’ils seraient prêts à recommencer… obligatoire… pour tous… la réponse est souvent non.
« Franchement, c’était sympa, mais deux semaines c’est bien. Un mois obligatoire ? Non merci. »
Témoignage anonyme d’une ancienne participante, 2023
Et là on touche au cœur du problème : une partie de la jeunesse française n’a tout simplement pas envie qu’on lui impose quoi que ce soit. Surtout pas sous uniforme. Le rejet de l’autorité, la culture de l’indépendance, TikTok comme horizon… tout ça rend l’idée d’un service national obligatoire complètement anachronique.
Le virage stratégique : quand la guerre change tout
Et puis il y a le contexte géopolitique. Depuis février 2022, plus personne ne rigole avec la défense. La menace russe n’est plus théorique. Les armées européennes se réarment à marche forcée. Dans ce cadre, continuer à dépenser des milliards pour un dispositif éducatif alors que les régiments manquent de tout devient indéfendable.
Le nouveau projet qui remplace le SNU est révélateur : un service militaire volontaire de dix mois, rémunéré, avec une vraie formation opérationnelle. On passe du camp de vacances républicain à quelque chose de beaucoup plus sérieux. Et surtout, beaucoup moins cher par personne formée.
C’est un aveu implicite : face à une guerre de haute intensité potentielle, on a besoin de soldats entraînés, pas de jeunes qui ont appris à faire leur lit au carré pendant quinze jours.
Un échec politique avant tout ?
Forcément, on ne peut pas parler du SNU sans parler politique. Ce projet était un totem du macronisme : ni de droite ni de gauche, moderne, disruptif, transversal. Son abandon discret en 2025 ressemble furieusement à un désaveu.
Certains y voient même le symbole d’un quinquennat qui a voulu trop embrasser et mal étreint. Entre les gilets jaunes, le Covid, l’inflation, la guerre… les grandes réformes sociétales sont passées à la trappe les unes après les autres.
Le SNU rejoint la longue liste des projets ambitieux lancés en fanfare et morts en silence : la réforme des retraites version 2019, la convention citoyenne pour le climat, grand débat national… La liste est longue.
Et maintenant ?
Le nouveau service militaire volontaire de dix mois sera-t-il la bonne formule ? Difficile à dire. Il a au moins le mérite d’être réaliste : on forme vraiment des jeunes motivés, on ne fait plus semblant de croire qu’on peut forcer 800 000 ados à aimer la Nation en quinze jours.
Mais une question demeure : comment recréer du lien national dans une société qui se fracture toujours plus ? Car si le SNU a échoué, le problème qu’il voulait résoudre, lui, est toujours là. Et il est même plus aigu qu’en 2017.
Peut-être que la réponse n’est pas dans un énième dispositif descendant, mais dans autre chose. Dans l’école ? Dans les associations ? Dans le travail ? Dans la famille ? Mystère.
Ce qui est sûr, c’est que l’histoire du SNU nous laisse un goût amer. Celui d’une bonne intention qui s’est perdue dans les sables de la réalité budgétaire, sociale et géopolitique. Comme souvent en politique, finalement.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le SNU vous semblait-il condamné d’avance, ou regrettez-vous qu’on n’ait pas su le sauver ? Les commentaires sont ouverts.
