Vous vous souvenez de ce discours de 2018 ? Celui où le maître du Kremlin, avec son petit sourire en coin, balançait des animations 3D de missiles qui zigzaguaient entre les continents comme dans un jeu vidéo. À l’époque, tout le monde a frissonné. Moi le premier. On nous promettait l’arme absolue, l’arme qui allait rendre obsolètes tous les systèmes de défense occidentaux. Sept ans plus tard, on fait quoi de tout ça sur le terrain ukrainien ? C’est la question que je me pose depuis des mois, et franchement, les réponses qui remontent du front sont… déconcertantes.
Les six « merveilles » qui devaient tout changer
Reprenons calmement la liste, parce qu’elle mérite qu’on s’y arrête deux minutes. Depuis 2018, six systèmes ont été présentés comme la crème de la technologie militaire russe. On parle là de trucs qui, sur le papier, font passer un Tomahawk pour un jouet d’enfant.
- Le missile balistique intercontinental Sarmat, capable, paraît-il, de frapper n’importe où sur la planète avec une dizaine d’ogives.
- Le Kinzhal, missile aéroporté hypersonique qu’on nous a vendu comme « impossible à intercepter ».
- L’Avangard, un planeur hypersonique qui manœuvre à Mach 20 dans l’atmosphère.
- Le Burevestnik, missile de croisière à propulsion… nucléaire (oui, vous avez bien lu).
- Le drone sous-marin Poséidon, torpedo géant lui aussi à propulsion nucléaire, censé créer des tsunamis radioactifs.
- Et enfin le système laser Peresvet, dont on sait finalement assez peu de choses concrètes.
Sur le moment, l’effet a été total. Les experts occidentaux tiraient la sonnette d’alarme, les budgets défense grimpaient, les médias tournaient en boucle sur « l’asymétrie stratégique ». Et puis le temps a passé. Et la guerre en Ukraine est arrivée, avec son lot de vérifications brutales.
Le Kinzhal, star déchue du ciel ukrainien
Allons-y franco : le Kinzhal, c’est le cas d’école. Pendant des mois, les communiqués russes clamaient que ce missile hypersonique filait trop vite pour être arrêté. Mach 10, trajectoire imprévisible, tout le tintouin. Et puis un beau matin de mai 2023, un Patriot ukrainien en a descendu un au-dessus de Kiev. Et pas qu’un seul. Depuis, on en est à plus d’une dizaine d’interceptions confirmées.
Comment c’est possible ? Parce qu’en réalité, le Kinzhal, c’est un missile balistique Iskander mis sur un MiG-31. Oui, il va très vite en phase terminale, mais il suit une trajectoire relativement prévisible. Et surtout, il n’est pas manœuvrant comme on nous l’avait laissé entendre. Un bon radar couplé à un système moderne fait le boulot. Fin de l’invincibilité.
« Un missile hypersonique, ce n’est pas magique. S’il monte haut et redescend en suivant une parabole, on a largement le temps de le voir venir. »
– Un analyste spécialisé en défense antiaérienne
Et là, je vous vois venir : « Oui mais le Zircon alors ? » Même histoire. Le missile de croisière naval 3M22 Zircon, annoncé à Mach 9, a lui aussi été intercepté à plusieurs reprises. On est loin du « game changer » promis.
Poséidon et Burevestnik : les fantômes nucléaires
Maintenant, attaquons-nous aux deux plus fous : le drone sous-marin Poséidon et le missile Burevestnik. Sur le papier, c’est terrifiant. Un engin qui peut rester des mois en plongée, avec une ogive de 100 mégatonnes pour Poséidon. Un missile qui vole indéfiniment grâce à un réacteur nucléaire pour Burevestnik. Sauf que… on n’a toujours pas vu ces trucs en action.
Pourquoi ? Parce que les tests ont été, disons… compliqués. Le Burevestnik a explosé plusieurs fois lors d’essais dans l’Arctique, contaminant joyeusement la zone. Quant à Poséidon, les rares images qu’on a vues montrent un torpedo énorme, lent, et surtout bruyant comme un sous-marin des années 70. Un expert naval résumait ça très bien :
« Il n’est ni silencieux, ni invisible, ni particulièrement rapide. En gros, tous les sous-marins d’attaque modernes le détectent à des centaines de kilomètres. »
Autrement dit, avant même d’approcher des côtes, il se fait harponner par un Virginia ou un Astute. Sympa le tsunami radioactif.
Sarmat, Avangard, Peresvet : où sont-ils passés ?
Le Sarmat, censé remplacer les vieux missiles soviétiques, accumule les échecs de tests. Le dernier en date, en septembre 2024, s’est soldé par une explosion dans le silo. Charmant. L’Avangard ? On a vu exactement deux tirs d’essai réussis, et encore, dans des conditions idéales. En situation réelle ? Mystère.
Quant au laser Peresvet, on sait qu’il existe… et c’est à peu près tout. On l’a vu aveugler des satellites d’observation en orbite basse, ok. Mais détruire un missile incoming ? Aucune preuve.
Ce qui frappe, c’est le contraste entre la communication tonitruante et la réalité opérationnelle. L’aspect peut-être le plus intéressant, c’est que seules deux de ces six armes ont réellement été utilisées en Ukraine : le Kinzhal et le Zircon. Et devinez quoi ? Les deux se sont fait descendre.
La propagande comme arme stratégique
Est-ce que ça veut dire que tout est bidon ? Non, bien sûr que non. La Russie reste une puissance nucléaire majeure, avec des milliers d’ogives et des vecteurs qui fonctionnent très bien. Mais ces « super-armes » de nouvelle génération semblent surtout servir un autre objectif : faire peur. Faire douter. Faire dépenser des milliards aux Occidentaux pour développer des contre-mesures.
C’est une vieille recette, en réalité. Pendant la Guerre froide déjà, l’URSS adorait annoncer des projets fous pour pousser les États-Unis à courir après des chimères. Sauf qu’à l’époque, ils avaient les moyens industriels de suivre. Aujourd’hui, avec les sanctions et l’usure de l’outil industriel, c’est plus compliqué.
Et pendant ce temps, sur le terrain, que voit-on ? Des dizaines de milliers de drones iraniens Shahed, des bombes planantes FAB, des missiles de croisière Kh-101… des armes « classiques », produites en masse, et qui font mal. Très mal. C’est ça, la vraie menace russe en 2025. Pas le fantasme nucléaire.
Et l’Ukraine dans tout ça ?
On aurait tort de sourire trop vite. Car pendant qu’on se moque gentiment des ratés russes, l’Ukraine, elle, progresse. Les systèmes Patriot, Iris-T, NASAMS ont prouvé leur efficacité. Les interceptions de Kinzhal ont fait plus pour la crédibilité des défenses occidentales que dix ans de salons militaires.
Et puis il y a les développements locaux. Le missile Flamingo, par exemple, commence à faire parler de lui. On manque encore de recul, mais les premiers retours sont plutôt encourageants. Comme quoi, la guerre pousse tout le monde à innover.
Ce que ça nous dit sur la guerre de demain
À mon sens, l’histoire des « super-armes » russes est une leçon brutale sur la différence entre la communication et la réalité opérationnelle. On peut avoir les animations 3D les plus impressionnantes du monde, si ça ne tient pas sur le champ de bataille, ça ne sert pas à grand-chose.
Ce qui compte vraiment, en 2025, c’est la capacité à produire en masse, à maintenir, à former les équipages, à intégrer les systèmes dans une doctrine qui fonctionne. Et sur ce terrain-là, la Russie rencontre de sérieuses difficultés, quand l’Ukraine, aidée par cinquante pays, progresse à pas de géant dans la maîtrise des systèmes modernes.
Alors oui, les six « merveilles » de 2018 font encore peur. Elles conservent une valeur symbolique énorme. Mais sur le terrain, en novembre 2025, elles brillent surtout par leur absence… ou par leurs échecs. Et ça, c’est peut-être le plus grand retournement de cette guerre : celui qui criait le plus fort n’est pas forcément le plus dangereux.
La prochaine fois qu’un dirigeant vous présentera une arme « révolutionnaire » avec une vidéo digne d’Hollywood, souvenez-vous du Kinzhal qui explose gentiment au-dessus de Kiev. Parfois, la réalité rattrape la fiction. Et elle fait beaucoup moins de bruit.
