Imaginez la scène. Il est tard, l’air est lourd d’une chaleur d’août qui colle à la peau. Dans un appartement banal d’une résidence des années 70, une dispute qui couvait depuis des mois explose une fois de plus. Et cette fois, ça va beaucoup plus loin que les mots ou les coups. Un bidon d’essence, un briquet, une menace hurlée : « Je vais mettre le feu ».
Ce qui aurait pu devenir un féminicide parmi tant d’autres a été stoppé net… par un simple briquet défectueux. Un détail presque absurde quand on pense à l’horreur de la situation. Et pourtant, c’est ce petit objet qui a sans doute sauvé une vie ce soir-là, à Pont-Sainte-Maxence, dans l’Oise.
Un briquet qui ne prend pas : le hasard qui change tout
Parfois, la frontière entre la vie et la mort tient à presque rien. Un mécanisme grippé, une pierre usée, une molette qui patine dans le vide. Clique, clique, clique… rien. Pas de flamme. Juste le temps pour la victime de comprendre qu’elle vient peut-être de frôler l’impensable.
Dans cette affaire jugée récemment au tribunal de Senlis, c’est exactement ce qui s’est produit. Un homme de cinquante ans, déjà connu pour des accès de violence, a franchi une ligne que beaucoup n’osent même pas imaginer. Et le pire, c’est que ça ne sort pas de nulle part.
Un couple explosif sous tension permanente
Quand on gratte un peu, on se rend compte que la situation était une bombe à retardement. Lui sans emploi stable, elle mère de leurs quatre enfants, les deux contraints de cohabiter malgré une séparation consommée depuis longtemps. Le genre de configuration qu’on voit malheureusement trop souvent dans les dossiers de violences conjugales.
L’alcool jouait clairement les accélérateurs. Ce soir-là, comme tant d’autres, l’homme avait bu. Beaucoup. Suffisamment pour que les disputes habituelles dérapent vers quelque chose d’irréparable. On connait la mécanique : paroles qui blessent, gestes qui dépassent, et puis cette escalade terrifiante où l’on sort le bidon d’essence du placard.
« T’aimes ça, hein ? » aurait-il lancé en l’aspergeant, selon les éléments rapportés au procès.
Cette phrase, glaçante, résume à elle seule la perversion du rapport de domination. Parce que non, évidemment qu’elle n’aimait pas ça. Mais dans l’esprit tordu de certains agresseurs, faire peur, humilier, terroriser, c’est une forme de pouvoir.
Le moment où tout aurait pu basculer
Reconstituer la scène minute par minute donne le vertige. L’homme attrape le bidon, verse l’essence sur elle, sur les vêtements, sur la peau. L’odeur est suffocante, le liquide froid. Elle comprend immédiatement. Il sort le briquet. Il actionne la molette. Une fois. Deux fois. Dix fois peut-être.
Rien. Le briquet refuse de fonctionner. Et dans cet intervalle, aussi court soit-il, quelque chose se passe. Peut-être qu’il réalise l’ampleur de son geste. Peut-être qu’il se dégrise d’un coup. Toujours est-il qu’il finit par lâcher l’objet. La femme, trempée d’essence, est vivante. Choquée, terrorisée, mais vivante.
Je me demande souvent, dans ces affaires, à quel moment précis l’irréversible aurait pu se produire. Une seconde plus tôt, une seconde plus tard… Tout aurait pu être différent.
Des enfants au cœur du cyclone
Quatre enfants. Quatre témoins potentiels ou collatéraux de cette violence quotidienne. On ne sait pas s’ils étaient présents ce soir-là, mais on imagine sans peine le climat dans lequel ils ont grandi. Entre cris, portes qui claquent, et maintenant cette menace ultime.
On parle beaucoup – et c’est normal – de la victime directe, la mère. Mais il y a aussi ces gamins qui portent déjà, à leur âge, le poids d’une relation parentale toxique. Et ça, ça laisse des traces qu’on mesure parfois seulement des années plus tard.
- Crainte permanente à la maison
- Modèle de relation déformé
- Difficultés à faire confiance aux adultes
- Risques de reproduction du schéma à l’âge adulte
Ce ne sont pas que des statistiques. Ce sont des vies cabossées avant même d’avoir vraiment commencé.
La réponse judiciaire : une condamnation nécessaire
Le procès a eu lieu il y a quelques jours à Senlis. L’homme a été jugé pour tentative de destruction par moyen dangereux et violences sur conjoint. Des qualifications lourdes, qui disent bien la gravité des faits.
On ne connaît pas encore le quantum exact de la peine – les délibérations prennent parfois du temps – mais on imagine que le parquet a requis ferme. Parce que oui, il y a des gestes qui ne peuvent pas rester sans réponse forte.
Et pourtant, on sait aussi que la prison, seule, ne règle rien. L’alcool, la colère, le sentiment d’abandon, tout ça ne disparaît pas derrière les barreaux. Il faudra sans doute un suivi long, une vraie prise en charge. Mais ça, c’est une autre bataille.
Et elle, dans tout ça ?
On parle beaucoup de l’agresseur, forcément. C’est lui qui passe en jugement. Mais elle ? Comment vit-on après avoir été aspergée d’essence par celui avec qui on a eu quatre enfants ? Comment regarde-t-on la porte d’entrée en rentrant le soir ? Comment fait-on pour dormir ?
Il y a les séquelles physiques – même si, miraculeusement, il n’y a pas eu de brûlures. Et puis il y a tout le reste. La peur qui reste collée à la peau comme l’odeur d’essence ce soir-là. Les cauchemars. La méfiance viscérale.
Reconstruire, ça prend du temps. Parfois des années. Et ça demande un entourage solide, des associations, un suivi psy. J’espère qu’elle a tout ça autour d’elle.
Un fait divers qui n’a rien d’isolé
Ce qui est terrible, c’est qu’on a déjà lu des histoires comme celle-ci. Pas exactement pareil, mais tellement proche. L’essence, le feu, les menaces d’immolation, c’est une constante dans certains dossiers extrêmes de violences conjugales.
Et chaque fois, on se dit « plus jamais ». Chaque fois, on promet de mieux protéger, de mieux repérer, de mieux accompagner. Et puis il y a un nouveau cas. Et un autre briquet qui, cette fois, fonctionne.
Alors oui, cette fois, le briquet était cassé. Mais combien de fois le prochain ne le sera pas ?
Cette histoire, aussi glaçante soit-elle, nous renvoie à notre responsabilité collective. Repérer les signaux chez un collègue, un voisin, un proche. Oser poser la question. Appeler le 3919 quand on sent que quelque chose cloche. Parce que derrière chaque fait divers, il y a une femme, des enfants, une vie qui peut encore être sauvée.
Ce soir d’août 2023, un briquet défectueux a fait office de miracle. Souhaitons qu’on n’ait plus jamais à compter sur ce genre de hasard.
