Vous souvenez-vous du temps où, un samedi matin pluvieux, vous zappiez et tombiez inévitablement sur quelqu’un qui vous vendait un couteau qui coupe une chaussure ou un coussin qui changeait votre vie ? Moi si. C’était presque réconfortant, comme un rite de passage du week-end. Eh bien, ce temps-là est en train de s’achever doucement.
À partir de janvier 2026, la tranche 10 h-11 h sur la première chaîne de France ne sera plus dédiée au télé-achat. Fini les démonstrations interminables, les « mais attendez, ce n’est pas fini ! ». À la place ? Une heure supplémentaire de matinale, dans la continuité directe de ce qui se passe déjà depuis 7 heures. Et franchement, ça sent le grand ménage de printemps, même si on est en hiver.
La fin d’une institution vieille de presque quarante ans
1987. L’année où la France découvrait le télé-achat. À l’époque, c’était révolutionnaire. Une émission entière dédiée à vous vendre des trucs directement depuis votre canapé, sans bouger. Pierre Bellemare en avait fait une véritable saga. Des générations ont grandi avec ces voix chaleureuses qui vous promettaient la cuisine parfaite ou le corps de rêve en trois paiements.
Trente-huit ans plus tard, le verdict est sans appel : le modèle ne tient plus la route. Le e-commerce a tout balayé. Pourquoi attendre le samedi matin quand on peut commander le même produit (souvent moins cher) en deux clics sur son téléphone à 3 h du matin ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les émissions de télé-achat ont vu leur audience fondre comme neige au soleil ces dernières années.
Et pourtant, pendant longtemps, c’était une véritable machine à cash pour les chaînes. Une pub déguisée en programme, diffusée aux heures où la concurrence dormait encore. Mais les temps changent. Et les chaînes doivent s’adapter ou mourir.
Christophe Beaugrand aux commandes : le choix qui surprend… ou pas
On connaissait déjà le bonhomme pour ses remplacements, ses émissions people, sa voix chaude et son sourire facile. Le voir prendre cette tranche 10 h-11 h, c’est un peu comme voir le copain sympa de la bande devenir patron du café du coin. On se dit : pourquoi pas lui ? Il a le profil parfait.
« Un journaliste et animateur à la fois »
– La direction de l’information
Cette phrase résume tout. On ne veut plus d’un simple vendeur de gadgets. On veut quelqu’un capable de passer en douceur d’un sujet sérieux à une recette de cuisine, d’un débat de société à un conseil bien-être, le tout avec le sourire et sans jamais ennuyer le téléspectateur qui boit encore son café.
Et entre nous, Christophe Beaugrand a déjà prouvé qu’il savait tenir une matinale. Il a souvent dépanné, il connaît la maison. Le risque est limité. C’est un choix malin, presque évident quand on y pense.
Une matinale qui monte, qui monte…
Lancée début 2024 avec Bruce Toussaint aux manettes, la nouvelle formule matinale a surpris tout le monde. On s’attendait à un énième flop face à l’historique Télématin. Et pourtant. Les courbes sont vertes. Très vertes même.
13,5 % de part d’audience en septembre dernier. Deuxième matinale de France. Derrière France 2, oui, mais largement devant toutes les autres. Pour une chaîne privée, c’est énorme. Ça veut dire que des centaines de milliers de Français ont changé leurs habitudes. Ils ne zappent plus automatiquement sur le service public à 7 heures.
Du coup, prolonger jusqu’à 11 heures, c’est logique. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Surtout quand la tranche d’après rapportait de moins en moins et sentait un peu la naphtaline.
À quoi va ressembler cette nouvelle heure ?
On nous promet une « déclinaison dans le prolongement ». Pas de rupture brutale. Même ton, même esprit, mêmes chroniqueurs qui passeront d’une tranche à l’autre. L’idée, c’est la fluidité. Que le téléspectateur ne sente pas le changement d’émission, juste une continuité naturelle.
- Sujets de société qui touchent vraiment les gens
- Conseils vie quotidienne (cuisine, déco, bien-être)
- Culture, tendances, people… mais en légèreté
- Le tout saupoudré de bonne humeur et d’espièglerie
En gros ? Un talk-show à l’américaine, mais version française. Moins criard que chez les voisins, plus chaleureux. Un peu comme si on prenait son café avec des amis qui ont des choses intéressantes à raconter.
Et surtout, du direct. Du vrai direct. Parce que c’est là que les chaînes privées peuvent encore faire la différence face aux plateformes de streaming. Le live, c’est leur terrain de jeu. Et ils comptent bien l’exploiter à fond.
La guerre des matinales est relancée
France 2 va forcément réagir. Impossible de laisser la concurrence grignoter encore des parts de marché sans rien faire. On peut s’attendre à du mouvement de leur côté aussi dans les mois qui viennent. Peut-être un lifting de Télématin ? Des nouveaux visages ? Une prolongation également ?
Ce qui est sûr, c’est que le matin devient le nouveau champ de bataille de l’audience. Hier c’était le 20 heures. Aujourd’hui, c’est de 7 à 11 heures que tout se joue. Celui qui capte l’attention dès le réveil a de grandes chances de garder le téléspectateur toute la journée.
Et dans ce jeu-là, les chaînes privées ont un avantage : elles n’ont pas peur de tester, de bouger vite. Le service public, lui, doit composer avec plus de contraintes. Ça pourrait faire la différence.
Et nous, les téléspectateurs, on y gagne quoi ?
Sincèrement ? Peut-être une télévision du matin plus agréable à regarder. Moins de pub déguisée, plus de contenus qui ressemblent à la vraie vie. On en avait un peu marre des démonstrations de robots aspirateurs à 10 h 30 un mardi, avouons-le.
Après, il ne faut pas être naïf. Cette heure supplémentaire, c’est aussi et surtout un moyen de vendre plus de pub à des horaires où les annonceurs paient cher. Mais si c’est bien fait, si c’est divertissant et utile, pourquoi pas ? On a bien le droit à une télé qui nous ressemble un peu plus, non ?
Et puis il y a ce petit pincement au cœur. Celui de voir disparaître une madeleine de Proust télévisuelle. Téléshopping, c’était kitsch, parfois ridicule, mais c’était aussi une partie de notre histoire commune. Un peu comme les pubs pour le Minitel ou les émissions de Christophe Dechavanne en direct le samedi soir.
Ces émissions-là ne reviendront pas. Elles appartiennent à une époque où la télé était encore magique parce qu’elle était limitée. Aujourd’hui, on a tout, tout de suite, en illimité. Alors la télé doit se réinventer. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer.
Ce que ça nous dit de l’évolution des médias
Derrière cette simple décision de programmation, il y a une vérité plus grande : les médias traditionnels sont en pleine mutation. Ils doivent courir après un public qui a mille autres options. Et pour ça, ils n’ont plus le choix : il faut proposer du contenu vivant, proche des gens, réactif.
Le direct du matin, c’est leur dernière carte maîtresse. C’est là qu’ils peuvent encore créer du lien, de la proximité, de l’émotion. Les plateformes de streaming ont tout le reste : les séries, les films, les documentaires à la demande. Mais elles n’ont pas le direct. Pas encore.
Alors oui, supprimer une émission vieille de presque quarante ans pour prolonger une matinale, ce n’est pas anodin. C’est un symbole. Le symbole d’une télé qui choisit de regarder vers l’avenir plutôt que de s’accrocher au passé.
Janvier 2026. Notez la date. Ce sera peut-être le jour où on se dira : ah oui, c’est là que tout a vraiment changé le matin à la télé.
Et quelque part, même si ça fait un peu mal au cœur, on a hâte de voir ça.
