Imaginez-vous pousser la porte d’un musée et tomber nez à nez avec des toilettes… mais pas n’importe lesquelles. Des WC en or massif, scintillants, prêts à être utilisés. Vous vous demandez si c’est une blague ? Eh bien non. Et figurez-vous que quelqu’un vient d’en acheter un exemplaire pour plus de douze millions de dollars. Oui, vous avez bien lu.
Cette histoire complètement dingue nous ramène à l’une des provocations les plus célèbres de l’artiste italien Maurizio Cattelan. Son œuvre intitulée America continue de faire parler d’elle, des années après sa création. Et franchement, on comprend pourquoi.
Quand l’or rencontre l’ironie la plus cinglante
Cette pièce n’est pas juste un objet luxueux. C’est une bombe lancée en pleine figure du monde de l’art et, surtout, de la richesse démesurée. Cent un kilos d’or 18 carats moulés en forme de toilettes parfaitement fonctionnelles. Le message ? Aussi clair que brutal : l’argent le plus sale finit souvent dans les endroits les plus… intimes du pouvoir.
J’ai toujours trouvé fascinant le talent de Cattelan pour transformer l’objet le plus trivial en miroir impitoyable de nos sociétés. Avec America, il ne fait pas que critiquer les ultra-riches. Il les invite littéralement à s’asseoir dessus. Et des dizaines de milliers de visiteurs l’ont fait, sans se douter qu’un jour, quelqu’un paierait une fortune pour posséder le trône doré.
Une œuvre née pour choquer… et fonctionner
L’histoire commence en 2016. Le musée Guggenheim de New York décide d’installer ces toilettes en or dans ses sanitaires publics. Pas en vitrine, non : branchées à l’eau courante, avec papier toilette fourni. Plus de 100 000 personnes feront la queue pour s’y soulager. L’expérience était gratuite, démocratique, presque révolutionnaire.
Pendant des mois, des anonymes, des touristes, des amateurs d’art ont utilisé cette œuvre à plusieurs millions sans le savoir. Certains y voyaient une performance, d’autres simplement des toilettes un peu classes. C’était ça, la beauté du geste : rendre l’art inaccessible… totalement accessible.
L’or, symbole ultime de richesse, devient ici l’objet le plus démocratique qui soit : tout le monde, absolument tout le monde, finit par s’asseoir dessus.
Le vol spectaculaire qui a tout changé
Puis arrive 2019. Un exemplaire est prêté au palais de Blenheim, en Angleterre – oui, le lieu de naissance de Winston Churchill. Et là, dans la nuit du 14 septembre, des voleurs débarquent, arrachent les tuyaux, et disparaissent avec les 101 kg d’or. L’œuvre, estimée à l’époque à plus de cinq millions, s’évapore.
Les théories ont fusé : vol sur commande ? Coup monté par l’artiste lui-même ? Assurance juteuse ? On a même parlé de fonte express pour revendre l’or au poids. Trois personnes ont été condamnées récemment, mais les toilettes, elles, restent introuvables. Peut-être digèrent-elles encore quelque part leur destin de métal fondu.
Ce vol a paradoxalement décuplé la légende. L’œuvre la plus volée de l’histoire récente de l’art ? Probablement. Et pourtant, ça n’a pas empêché les collectionneurs de se battre pour le dernier exemplaire restant.
12,1 millions plus tard : qui a craqué ?
Novembre 2025, New York. La maison d’enchères met en vente ce qui est probablement le dernier America existant en état. Prix de départ ? Dix millions de dollars. Autant dire que la valeur de l’or brut (environ 9,9 millions) était déjà largement dépassée avant même le premier coup de marteau.
Et pourtant, quelqu’un a enchéri. Rapidement. Décisivement. 12,1 millions de dollars plus tard, l’œuvre change de mains. L’acquéreur reste anonyme – comme souvent dans ces sphères – mais on sait que l’ancien propriétaire était un milliardaire américain bien connu dans le monde du sport professionnel.
Est-ce un bon investissement ? Franchement, je me pose la question. La valeur de l’or représente déjà 82 % du prix payé. Le reste, c’est la prime « Cattelan », la prime « légende », la prime « j’ai les toilettes en or que tout le monde a chié dedans ». C’est ça, l’art contemporain : on n’achète plus un objet, on achète une histoire.
Cattelan, roi incontesté de la provocation rentable
Il faut dire que l’Italien a le don. Souvenez-vous de sa banane scotchée au mur en 2019. Un fruit à 120 000 dollars (le certificat, pas la banane elle-même, hein). Un performeur l’a mangée en direct. Un autre a écrit « Epstein didn’t kill himself » dessus. Et récemment, un certificat de cette même banane s’est vendu 6,2 millions.
- Une banane pourrie → 6,2 millions
- Des toilettes en or → 12,1 millions
- Un doigt d’honneur géant devant la Bourse de Milan → inestimable
Le mec transforme n’importe quoi en or. Littéralement, cette fois.
Mais alors, c’est de l’art ou une arnaque géante ?
C’est la question que tout le monde se pose. Et ma réponse est… les deux. Cattelan est un génie de la communication. Il comprend mieux que quiconque que dans le marché de l’art actuel, la valeur n’a plus grand-chose à voir avec la matière ou la technique. Elle tient dans le récit, le scandale, la rareté, le statut social.
Ces toilettes en or disent quelque chose de terrifiant sur notre époque : on est prêt à payer des fortunes pour des objets qui nous narguent. Qui nous rappellent que l’argent le plus sale finit toujours par briller. Et le pire ? On en redemande.
L’art n’est plus dans l’objet. Il est dans le prix qu’on accepte de payer pour se raconter qu’on fait partie des élus.
– Un observateur cynique du marché
Et nous, dans tout ça ?
Le plus troublant, c’est que cette œuvre nous concerne tous. Quand on lit ces chiffres hallucinants, on a envie de rire ou de s’énerver. Mais au fond, elle nous renvoie à nos propres contradictions. Combien sommes-nous à rêver secrètement de ce genre d’extravagance ? Combien sommes-nous à accepter, sans broncher, que quelques-uns puissent s’offrir des toilettes à douze millions pendant que d’autres n’ont même pas accès à des sanitaires décents ?
Cattelan ne juge pas. Il expose. Brutalement. Avec humour. Et surtout, avec une efficacité redoutable.
Alors oui, douze millions pour des chiottes en or, ça peut paraître complètement fou. Mais dans un monde où des sneakers usées se vendent des centaines de milliers et où des JPG de singes pixélisés ont fait des milliardaires, est-ce vraiment si surprenant ?
Peut-être que le vrai génie de Cattelan, c’est de nous avoir fait débattre pendant des années sur des toilettes. Pendant qu’on discute, lui, il a déjà gagné.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce que vous auriez enchéri ? Ou est-ce que, comme moi, vous trouvez que l’art a parfois un peu trop bon goût… pour de l’or ?
