Imaginez un peu la scène : vous êtes en 2025, on creuse pour construire le plus gros joujou militaire que la France ait jamais conçu, et paf, vous tombez sur des murs qui ont vu passer Jules César. C’est exactement ce qui se passe en ce moment même dans la base navale de Toulon. Franchement, on dirait un scénario de film.
Le futur porte-avions, celui qui doit prendre la relève du Charles de Gaulle vers 2035-2038, a besoin d’infrastructures dignes de ce nom. Plus long, plus large, plus lourd : il faut tout agrandir. Et quand on agrandit un port militaire vieux de plusieurs siècles, on sait jamais trop sur quoi on va tomber. Là, bingo : l’Antiquité nous fait coucou.
Quand le passé refuse de céder la place à l’avenir
Les fouilles ont commencé il y a quelques mois et dureront jusqu’au printemps prochain. Une vingtaine d’archéologues plongent littéralement dans l’histoire – certains sous l’eau, d’autres sur la terre ferme – pour sauver ce qui peut l’être avant que les bulldozers ne prennent le relais.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le site est riche. Très riche.
Des traces qui remontent à plus de deux millénaires
On parle ici d’une occupation humaine datée autour du IIe siècle avant Jésus-Christ. À l’époque, la zone n’était même pas rattachée au continent : c’était une presqu’île, voire une île selon les marées. Grecs de Massalia (Marseille), Gaulois locaux, puis Romains qui débarquent pour mettre de l’ordre : tout ce petit monde se croisait sur ce bout de côte stratégique.
Les archéologues ont mis au jour des murs en pierres sèches quasiment intacts, des assemblages de céramiques qui permettent de dater les différentes phases d’occupation, et même des monnaies. Chaque objet raconte une histoire. J’ai presque l’impression d’y être, à regarder ces techniciens brosser délicatement la terre comme on caresse un vieux livre.
Ce genre de découverte nous rappelle que Toulon n’est pas devenue un grand port militaire par hasard. Sa position exceptionnelle a toujours attiré les puissances maritimes, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui.
– Un archéologue spécialisé en sites littoraux méditerranéens
Le futur géant des mers : ce qu’on sait déjà
Pendant que certains sauvent le passé, d’autres préparent l’avenir. Et quel avenir.
Le Programme Porte-Avions Nouvelle Génération (PANG) n’est pas juste un bateau plus grand. C’est une petite ville flottante :
- Environ 300 mètres de long (contre 261 m pour le Charles de Gaulle)
- 75 000 tonnes à pleine charge
- Propulsion nucléaire avec deux réacteurs K22 de nouvelle génération
- Capacité d’embarquement : une trentaine d’avions de combat (futurs Rafale ou SCN-NG)
- Systèmes électromagnétiques de lancement (comme sur les porte-avions américains dernière génération)
- Équipage réduit à environ 2 000 personnes grâce à l’automatisation
Ce qui frappe, c’est la rupture technologique. On passe d’un porte-avions conçu dans les années 80 à un outil de projection de puissance pensé pour 2070. Et tout ça va se poser exactement là où des marchands grecs accostaient il y a 2200 ans.
Toulon, une ville qui vit avec ses fantômes
Ce n’est pas la première fois que Toulon fait parler son sous-sol. L’arsenal a été construit à partir de 1680 par Louis XIV et Vauban, mais le site était déjà stratégique bien avant. Les Romains avaient probablement des installations portuaires pas loin, les Grecs avant eux. La ville porte en elle ces strates successives comme une mille-feuille historique.
Moi ce qui me fascine, c’est cette continuité. Le même bout de côte qui servait à surveiller la Méditerranée il y a deux millénaires va continuer à le faire avec des radars, des drones et des catapultes électromagnétiques. L’histoire ne s’arrête jamais vraiment, elle se réinvente.
Archéologie préventive : la loi avant tout
En France, on ne plaisante pas avec le patrimoine. Avant tout grand chantier, si le terrain est classé « sensible », l’État impose des fouilles préventives. C’est ce qui se passe ici. Rien ne commencera tant que les archéologues n’auront pas terminé leur travail et que tout ce qui doit être préservé ne l’aura pas été.
Certains diront que ça retarde les travaux. Moi je trouve ça plutôt sain. On construit pour les décennies à venir, on peut bien prendre six mois pour respecter ceux qui étaient là avant nous, non ?
Et après ? Que va-t-on faire de ces découvertes ?
Tout ne sera pas forcément exposé au public – on reste dans une base militaire quand même – mais les pièces les plus significatives rejoindront probablement des musées locaux ou nationaux. Des moulages, des reconstitutions 3D, des publications scientifiques : l’impact va dépasser largement le Var.
Et puis il y a cette idée qui me trotte dans la tête : et si on gardait volontairement certains vestiges visibles ? Un bout de mur antique intégré dans le nouveau quai, protégé sous verre. Un rappel permanent que la puissance d’aujourd’hui repose sur des fondations très anciennes.
Un symbole fort pour la Marine nationale
La Marine ne communique pas énormément sur ces fouilles (question de discrétion oblige), mais on sent une certaine fierté. Leur communiqué parle d’un « passé glorieux » qui rencontre l’avenir. C’est beau, presque poétique pour une institution militaire.
Dans un monde où tout va très vite, où on oublie parfois d’où on vient, ce genre de rencontre forcée entre époques fait du bien. Ça remet les choses en perspective. Le porte-avions de 2038 sera peut-être le plus moderne du monde… mais il accostera là où des navires grecs chargeaient déjà du vin et de l’huile il y a vingt-deux siècles.
Finalement, Toulon ne change pas tant que ça. Elle reste cette sentinelle de la Méditerranée, tournée vers la mer, prête à projeter sa puissance – qu’elle soit commerciale, militaire ou les deux. Seuls les outils évoluent.
Et quelque part, je trouve ça rassurant.
(Article rédigé à partir des informations disponibles au 17 novembre 2025 – les fouilles se poursuivent et de nouvelles découvertes ne sont pas à exclure d’ici le printemps)
