Vous est-il déjà arrivé de monter une montagne simplement parce qu’une légende vieille de deux mille ans vous appelait ? Moi, la première fois que j’ai gravi le chemin de la Sainte-Baume, j’avais juste envie d’une belle randonnée. Et puis, à mi-pente, j’ai croisé un groupe de Coréens qui chantaient des cantiques en plein sentier et j’ai compris que quelque chose de plus grand se passait ici.
En cette fin d’année 2025, la Provence vit un phénomène qu’on n’aurait jamais imaginé il y a encore dix ans : le tourisme religieux explose littéralement. Et pas seulement chez les croyants pratiquants.
Quand la Provence redevient terre de pèlerinage
Il y a quelques semaines, deux sanctuaires varois ont obtenu le précieux label « Monument historique ». Rien d’anodin : ce genre de classement agit comme un aimant. Résultat ? Les cars se multiplient sur les petites routes sinueuses et les parkings improvisés débordent.
Prenez la grotte de Sainte Marie-Madeleine, perchée à près de 900 mètres dans le massif de la Sainte-Baume. Selon la tradition provençale, la pécheresse repentie y aurait vécu trente ans en ermite après avoir accosté aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Vraie ou pas, l’histoire fait vibrer.
« Il y a quinze ans, on était vingt pour la fête de la Sainte le 22 juillet. Aujourd’hui, on manque d’hosties à la messe dominicale tant il y a de monde. »
– Une bénévole du sanctuaire qui préfère rester anonyme
Des cars pleins dès l’aube
Le chiffre donne le vertige : environ 200 000 visiteurs par an rien que pour la grotte. Et l’hiver arrive, période pourtant calme en Provence… ou du moins ça l’était.
Cette année, des cars viennent de Lille, de Belgique, d’Allemagne, parfois même du Québec. Les chauffeurs connaissent désormais le trajet par cœur. Et quand la neige tombe en altitude – oui, ça arrive dès novembre – l’émotion est décuplée.
J’ai surpris cette conversation entre trois retraités marseillais :
« L’an dernier on est montés, il s’est mis à neiger pile quand le prêtre élevait l’hostie. On en a encore des frissons. »
Un sanctuaire, plusieurs visages
Ce qui frappe, c’est la diversité des visiteurs. Il y a bien sûr les groupes paroissiaux, mais aussi :
- Des randonneurs « nature » qui découvrent la messe par hasard
- Des touristes étrangers qui combinent route des vins et visite spirituelle
- Des jeunes en quête de sens qui dorment à l’hôtellerie des dominicains
- Des familles qui viennent « pour l’énergie du lieu » même sans être pratiquantes
Un couple d’Allemands rencontré récemment résumait parfaitement la chose :
« On voulait faire les domaines viticoles, et puis on a vu la Sainte-Baume sur la carte. On s’est dit : pourquoi choisir ? On fait les deux. »
L’autre pépite : Notre-Dame de Consolation à Hyères
Plus au sud, sur le littoral, un deuxième sanctuaire vient lui aussi d’être classé. Construit après la Seconde Guerre mondiale sur les ruines de l’ancien, Notre-Dame de Consolation domine les îles d’Hyères avec une architecture moderne en béton et pierre qui ne laisse personne indifférent.
Là, pas de montée physique épuisante, mais une vue à couper le souffle et une atmosphère différente : plus méditerranéenne, plus lumineuse. Les habitués disent que c’est le lieu idéal pour ceux qui cherchent la paix sans forcément grimper trois heures.
Le classement tombe à pic : il légitime un lieu parfois moqué pour son style années 50 et lui offre une seconde jeunesse.
Le business de la foi ? Pas seulement
Évidemment, là où il y a du monde, il y a du commerce. À la boutique du pèlerin, ça va du chapelet à 5 euros au rosé « Notre-Dame » à 12. Il y a même une eau de source de la Sainte-Baume en bouteille. On sourit, on trouve ça parfois too much.
Mais honnêtement ? Quand on voit les travaux nécessaires pour entretenir ces sites classés, on se dit que chaque médaille vendue aide à payer les factures. Et puis, qui n’a jamais acheté un magnet en forme de Tour Eiffel ? C’est le jeu.
Pourquoi maintenant ?
Plusieurs raisons se croisent :
- La crise du sens après la pandémie a poussé beaucoup de gens vers des expériences fortes
- Les réseaux sociaux : une photo dans la grotte avec la lumière qui tombe juste, ça fait 3000 likes facile
- Le tourisme lent gagne du terrain : on veut du vécu, pas seulement du vu
- Le classement monument historique agit comme un label qualité suprême
Résultat ? Des lieux qui étaient confidentiels il y a encore dix ans deviennent des incontournables.
Et demain ?
Les responsables des sanctuaires le savent : il va falloir gérer cette affluence sans dénaturer l’esprit des lieux. Plus de parkings ? Des navettes électriques ? Des visites guidées en plusieurs langues ? Tout est sur la table.
Ce qui est sûr, c’est que la Provence ajoute une corde très particulière à son arc touristique. Entre lavande, calanques et truffes, voilà maintenant la spiritualité qui attire les foules.
Et franchement, quand on redescend de la montagne, les jambes lourdes mais le cœur étrangement léger, on se dit que ce mélange improbable fonctionne à merveille.
Alors, croyant ou pas, la prochaine fois que vous passerez dans le Var, tentez l’expérience. Vous risquez de ressortir avec bien plus qu’une simple balade en forêt.
Parce qu’au fond, c’est peut-être ça le vrai miracle provençal : réussir à toucher tout le monde, même ceux qui ne cherchaient rien.
