Vous êtes à 2 800 kilomètres au sud de Santiago, là où la Terre semble toucher le bout du monde. Le vent hurle, la neige vous cingle le visage comme des aiguilles, et en quelques minutes la visibilité tombe à zéro. C’est exactement ce qui est arrivé à ces randonneurs, un jour de novembre qui devait être comme les autres dans l’un des plus beaux parcs du globe.
Cinq personnes ne rentreront jamais chez elles. Deux Mexicains, deux Allemands, une Britannique. Des noms qu’on ne connaîtra peut-être jamais, mais des vies fauchées en pleine nature sauvage. Et pourtant, quatre autres membres du groupe ont survécu. Comment expliquer une telle différence de destin sur le même sentier ?
Torres del Paine, joyau magnifique et impitoyable
Quand on parle de la Patagonie chilienne, on pense immédiatement aux cartes postales : les trois tours de granit qui percent le ciel, les lacs turquoise, les glaciers suspendus. Torres del Paine, c’est tout ça. Mais c’est aussi l’un des endroits où la météo peut basculer en quelques minutes d’un soleil éclatant à un enfer blanc.
Le parc, classé réserve de biosphère par l’Unesco, attire chaque année plus de 360 000 visiteurs. La haute saison démarre justement en novembre, quand le printemps austral pointe le bout de son nez. Les randonneurs affluent pour faire le grand circuit autour du massif Paine, huit ou neuf jours de marche dans des paysages à couper le souffle. Sauf quand la nature décide de reprendre ses droits.
Une météo qui ne pardonne rien
Depuis dimanche, la région de Magallanes subit des vents soutenus à plus de 100 km/h, avec des rafales enregistrées à 120 km/h. Pluie, neige fondue, température ressentie bien en dessous de zéro. Ce qu’on appelle là-bas le vent blanc : un brouillard épais où l’on ne distingue plus le sol du ciel.
Dans ces conditions, même les sentiers balisés deviennent des pièges. Un pas de côté et c’est la désorientation totale. Les autorités locales l’expliquent sans détour : les visiteurs sortent du chemin pour chercher un abri ou simplement parce qu’ils ne voient plus rien. Et là, c’est le début de la fin.
« Avec ce vent blanc, même les randonneurs expérimentés se perdent en quelques minutes. Le froid, l’humidité et la fatigue font le reste. »
D’après un responsable des secours de la région
Le déroulement du drame
Les premiers signalements de disparitions arrivent en début de semaine. Neuf personnes manquent à l’appel. Très vite, les équipes de secours se mobilisent : hélicoptères, chiens, patrouilles à cheval. Le parc est immense, 181 000 hectares de nature brute. Chaque heure compte.
Quatre d’entre eux seront retrouvés vivants, souvent en hypothermie sévère mais conscients. Les cinq autres, non. Leurs corps seront localisés dans des zones différentes, parfois à plusieurs kilomètres des sentiers. Le froid aura eu raison d’eux bien avant que les secours n’arrivent.
- Deux touristes mexicains
- Deux randonneurs allemands
- Une femme britannique
Des nationalités différentes, des âges probablement variés, mais un point commun : ils étaient là pour vivre une aventure exceptionnelle. Et la montagne, elle, ne fait pas de sentiment.
Pourquoi certains survivent et d’autres non ?
C’est la question qui revient toujours après ce genre de drame. L’équipement ? La préparation physique ? Le simple hasard ? En réalité, c’est souvent un mélange des trois.
J’ai moi-même randonné à Torres del Paine il y a quelques années. Je me souviens encore de ce jour où, en l’espace de vingt minutes, le ciel bleu a laissé place à une tempête de neige en plein mois de décembre. On avait tous suivi le même conseil répété en boucle : ne jamais quitter le sentier balisé. Pourtant, quand on n’y voit plus à deux mètres, c’est plus facile à dire qu’à faire.
- Un bon équipement (vêtements imperméables, couches thermiques, GPS avec batterie externe)
- Une météo vérifiée plusieurs fois par jour
- Un guide local ou au minimum une inscription au registre des randonneurs
- Ne jamais partir seul sur les grands circuits
Beaucoup de visiteurs sous-estiment la rapidité avec laquelle les conditions peuvent changer. On se dit « c’est le printemps, ça va aller ». Et puis non.
Les leçons à tirer (encore et toujours)
Ce n’est malheureusement pas la première fois que Torres del Paine pleure des randonneurs. En 2011, un incendie causé par un touriste imprudent avait déjà ravagé une partie du parc. Depuis, les règles se sont durcies, mais la nature, elle, reste la plus forte.
Aujourd’hui, les autorités chiliennes rappellent sans cesse l’importance de s’enregistrer à l’entrée du parc, de remplir le formulaire avec son itinéraire précis, de prévenir les refuges. Des mesures simples qui sauvent des vies.
Et pourtant, chaque année, des drames similaires se produisent. Pas seulement à Torres del Paine, mais dans toutes les zones de montagne du monde. Le tourisme d’aventure explose, les réseaux sociaux poussent à aller toujours plus loin pour la photo parfaite, et parfois on oublie que la nature n’est pas un décor.
Un parc plus fréquenté, des risques accrus
Avec plus de 360 000 visiteurs en 2023, le parc est victime de son succès. Les sentiers les plus célèbres sont parfois saturés, les refuges complets des mois à l’avance. Résultat : certains randonneurs choisissent des itinéraires moins fréquentés, parfois moins surveillés.
Et quand la météo tourne mal, ces zones deviennent des pièges mortels. Les secours, aussi efficaces soient-ils, ne peuvent pas être partout à la fois.
Ce drame nous rappelle une chose essentielle : la montagne n’est pas un parc d’attractions. Elle est belle, oui. Immense, sauvage, envoûtante. Mais elle peut aussi être impitoyable.
À tous ceux qui préparent leur sac pour la Patagonie, ou n’importe quelle grande randonnée : prenez le temps de vous préparer vraiment. Vérifiez la météo toutes les heures si nécessaire. Écoutez les rangers. Et surtout, acceptez que parfois, le plus beau cadeau que l’on peut faire à la montagne… c’est de faire demi-tour.
Reposez en paix, randonneurs. Votre aventure s’est arrêtée trop tôt, mais vous nous laissez un message plus fort que n’importe quelle photo Instagram : la nature commande, et il faut savoir l’écouter.
