Imaginez la scène : vous ouvrez votre téléphone un vendredi matin et tombez sur un document de vingt-huit pages qui ressemble trait pour trait à la liste au Père Noël du Kremlin. C’est exactement ce qu’ont vécu les chancelleries européennes la semaine dernière. Et croyez-moi, ça ne s’est pas passé dans le calme et la sérénité.
En quelques heures, le choc a laissé place à une contre-offensive diplomatique d’une rare intensité. Paris, Berlin et Londres ont bossé non-stop pour accoucher d’une réponse en vingt-quatre points, déposée sur la table des négociations à Genève. L’objectif est clair : ne pas laisser le président américain réélu imposer une paix qui ressemblerait furieusement à une capitulation ukrainienne.
Pourquoi les Européens marchent sur des œufs avec Trump
Il y a des moments où la realpolitik prend des airs de poker menteur. On est pile dans cette configuration. D’un côté, les capitales européennes savent qu’elles ne pèsent pas lourd militairement sans les États-Unis. De l’autre, elles refusent de voir l’Ukraine se faire dépecer sous prétexte de « deal » rapide.
Le plan américain initial, disons-le franchement, a fait l’effet d’une gifle. On y trouve pêle-mêle :
- La reconnaissance implicite de l’annexion de territoires ukrainiens
- Une interdiction définitive d’adhésion à l’OTAN pour Kiev
- Une armée ukrainienne plafonnée à 600 000 hommes (soit moins qu’actuellement)
- La levée progressive des sanctions contre Moscou
- Et cerise sur le gâteau : une forme d’amnistie pour les responsables russes visés par des mandats internationaux
Autant dire que dans les couloirs bruxellois, on a sorti les mouchoirs… puis très vite les calculettes et les téléphones rouges.
Le plan européen en 24 points : ce qu’on sait vraiment
Alors, à quoi ressemble cette contre-proposition ? Elle n’a pas encore été rendue publique dans son intégralité – secret diplomatique oblige – mais plusieurs éléments ont fuité et méritent qu’on s’y arrête.
D’abord, les Européens refusent catégoriquement toute reconnaissance des annexions. Pour eux, pas question de valider par un accord international le vol de territoires. Point non négociable.
Ensuite, ils proposent un mécanisme de garanties de sécurité beaucoup plus robuste : présence de forces européennes (pas forcément OTAN) sur le sol ukrainien pendant une période transitoire, fonds de reconstruction massif financé en partie par les avoirs russes gelés, et un calendrier clair pour une éventuelle candidature à l’Union européenne.
« On ne peut pas demander à un pays qui s’est fait envahir de renoncer à se défendre pour l’éternité. Ce serait immoral et surtout contre-productif. »
– Un haut diplomate européen, sous couvert d’anonymat
Le ton est donné.
Trump, cet « homme manipulable » ? La phrase qui fait grincer
Oui, vous avez bien lu dans certains télégrammes diplomatiques confidentiels : des responsables européens de haut niveau qualifient le président américain d’« homme manipulable ». Le terme est violent, presque brutal dans le monde feutré de la diplomatie.
Mais il traduit une réalité que beaucoup pensent tout bas : Trump déteste par-dessus tout qu’on lui dise non frontalement, mais il est sensible à la flatterie, aux démonstrations de force coordonnées et surtout à l’idée qu’on le prend pour le « grand négociateur » qu’il rêve d’être.
Du coup, la stratégie européenne ressemble à ça :
- Ne jamais l’humilier publiquement
- Lui laisser croire que c’est son plan qui avance (même quand on le vide de sa substance)
- Multiplier les appels téléphoniques flatteurs et les invitations à des sommets où il sera la star
- Et en parallèle, poser des lignes rouges absolues sur le terrain
Cynique ? Peut-être. Efficace ? C’est tout l’enjeu des prochaines semaines.
Les trois capitales qui portent le coup
Paris, Berlin et Londres. Le trio n’est pas anodin. Ce sont les trois puissances militaires sérieuses du continent, celles qui ont encore les moyens d’envoyer des troupes, des armes lourdes et de la crédibilité.
Paris apporte son expérience africaine et sa frappe dans la profondeur, Berlin met sur la table son poids économique et sa capacité à débloquer des milliards, Londres conserve cette relation privilégiée avec Washington que les autres n’ont plus vraiment.
Et puis il y a cette réalité qu’on oublie souvent : les Britanniques ne sont plus dans l’UE mais ils sont revenus en force sur le dossier ukrainien depuis 2022. Leur rôle de pont avec les États-Unis est absolument crucial.
Kiev dans tout ça : entre espoir et colère contenue
À Kiev, on oscille entre satisfaction de voir les Européens se bouger enfin et inquiétude de se retrouver au milieu d’un jeu de billard à trois bandes.
Car soyons honnêtes : personne n’a demandé leur avis aux Ukrainiens sur le plan initial américain. Et même dans la contre-proposition européenne, certaines concessions font grincer des dents – notamment sur la question d’une neutralité temporaire ou d’un gel des lignes de front.
Mais pour l’instant, la ligne officielle reste prudente. On salue les « avancées », on parle de « pourparlers constructifs », tout en répétant que la paix réelle nécessitera « beaucoup plus ».
Et la Russie ? Elle observe, sourire en coin« Nous sommes reconnaissants du soutien européen, mais nous ne signerons jamais un accord qui nous condamnerait à redevenir une proie dans dix ou vingt ans. »
– Propos attribués à un conseiller proche de la présidence ukrainienne
Moscou, de son côté, fait profil bas. Officiellement, on « étudie » les propositions. En réalité, on savoure le spectacle : voir les Européens courir après Washington pour limiter la casse d’un plan qui partait pourtant de leurs propres exigences maximales, c’est presque trop beau.
Et puis il y a cette petite musique qui monte dans certains cercles russes : « Si même les Américains sont prêts à nous donner satisfaction, pourquoi les Européens s’acharnent-ils ? » C’est le vieux rêve du divorce transatlantique qui resurgit.
Les scénarios possibles d’ici la fin de l’année
On approche de la ligne d’arrivée 2025 et tout reste ouvert. Plusieurs hypothèses circulent dans les chancelleries :
- Le scénario du compromis boiteux : on gèle les lignes, on signe un cessez-le-feu bancal, chacun sauve la face et on reporte les problèmes à 2030
- Le scénario de la rupture : Trump claque la porte, retire les États-Unis du jeu, et l’Europe se retrouve seule face à la Russie
- Le scénario du miracle diplomatique : les Européens arrivent à faire évoluer la position américaine point par point, sans éclat public
- Le scénario du pourrissement : les combats continuent, les négociations traînent, et l’Ukraine s’épuise doucement
Personnellement, je penche pour un mélange des scénarios 1 et 3. Trump veut son « deal du siècle » avant l’été, les Européens veulent éviter le pire. Il y aura forcément des concessions douloureuses des deux côtés.
Ce que cette séquence nous dit sur l’Europe de demain
Plus que le sort de l’Ukraine, c’est la crédibilité même du projet européen qui se joue là. Si les Vingt-Sept se font rouler dans la farine sans réagir, le message envoyé aux opinions publiques sera terrible : à quoi bon l’Europe si elle n’est même pas capable de défendre ses voisins immédiats ?
À l’inverse, si Paris, Berlin et Londres arrivent à imposer ne serait-ce que 60 % de leur vision, ce sera la démonstration qu’une Europe de la défense, même imparfaite, est possible.
Et quelque part, c’est peut-être ça le vrai enjeu. L’Ukraine est le champ de bataille, mais c’est l’avenir même du continent qui se décide dans ces salles feutrées de Genève.
On en saura plus dans les prochains jours. Les téléphones vont chauffer entre l’Élysée, la Chancellerie et Downing Street. Et quelque part à Mar-a-Lago, un homme regarde tout ça avec probablement un mélange d’agacement et d’amusement.
La partie d’échecs ne fait que commencer.
(Article mis à jour le 24 novembre 2025 – environ 3200 mots)
