Imaginez-vous à la place de Volodymyr Zelensky en ce moment précis. Vous êtes assis devant un écran, quelque part dans un bunker ou un bureau protégé, et vous devez décider si vous acceptez ou non un texte qui pourrait mettre fin à près de quatre années de guerre… mais au prix de concessions énormes. C’est exactement la situation dans laquelle se trouve le président ukrainien depuis quelques jours. Et franchement, on comprend qu’il dorme peu.
Ce lundi, il a pris la parole depuis la Suède, en visioconférence, et son message était clair : oui, il y a du mouvement, oui certains points sensibles ont été intégrés, mais non, on est encore très loin d’une paix juste. « Il faut plus, beaucoup plus », a-t-il répété comme un mantra. Derrière cette phrase toute simple, il y a des mois de tractations secrètes, des pressions énormes et surtout la peur – légitime – de voir l’Ukraine forcée à boire la coupe jusqu’à la lie.
Un plan initial qui sentait la capitulation
Rembobinons un peu. Il y a quelques semaines à peine, un document en vingt-huit points a atterri sur le bureau de Kiev. Officiellement, c’est un projet américain. Dans les faits, tout le monde sait qu’il porte fortement la marque des exigences exprimées par Moscou depuis le début du conflit. Cession définitive de territoires occupés, renoncement à l’OTAN, levée des sanctions, amnistie générale… Autant de lignes rouges pour la majorité des Ukrainiens.
À Kiev, on a d’abord cru à une mauvaise blague. Puis la colère a monté. Des manifestations spontanées, des députés qui crient à la trahison, des vétérans qui promettent de reprendre les armes si on leur impose ça. Et pourtant, la realpolitik a repris le dessus : impossible d’ignorer complètement une proposition venue de celui qui redevient le maître du jeu mondial à partir de janvier.
Genève : la contre-offensive diplomatique ukrainienne
C’est là qu’intervient le week-end à Genève. Des heures et des heures de discussions entre délégations américaine et ukrainienne, avec les Européens en observateurs très attentifs. Résultat ? Le texte a été sérieusement toiletté. Et Zelensky, sans triomphalisme, a reconnu que certains points absolument cruciaux avaient été intégrés.
- Échange total des prisonniers selon la formule « tous contre tous » – un dossier humain brûlant.
- Retour forcé de tous les enfants ukrainiens déplacés en Russie – on parle de dizaines de milliers de mineurs.
- Des formulations plus claires sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale.
Ce ne sont pas des détails. Ce sont des victoires arrachées de haute lutte. Mais le président ukrainien le sait mieux que quiconque : tant que la question des territoires occupés, des garanties de sécurité et de la responsabilité pénale reste floue, signer reviendrait à parier l’avenir du pays sur la bonne foi russe. Et là, excusez-moi, mais on a déjà donné.
« Ce sont des étapes importantes, mais pour parvenir à une paix réelle, il faut plus, beaucoup plus. »
Volodymyr Zelensky, le 24 novembre 2025
Les Européens sortent du bois
Pendant ce temps, à Bruxelles et dans les capitales européennes, on suit tout ça avec une tension palpable. Personne n’a oublié la phrase lâchée il y a quelques jours : aucun accord ne sera valide sans l’aval européen. Point final.
La présidente de la Commission européenne a parlé d’un « nouvel élan ». Le président du Conseil européen évoque une « base solide ». Même Berlin, pourtant souvent prudent, s’est félicité des progrès tout en rappelant que l’Europe a son mot à dire – et qu’elle compte bien le faire peser.
Traduction : si le texte final ressemble encore de trop près à la version initiale, il se heurtera à un mur. Et ça, même la future administration américaine le sait.
Et Moscou dans tout ça ?
Du côté du Kremlin, on joue la carte du détachement. Officiellement, on « n’a reçu aucune information précise ». En réalité, on observe chaque virgule qui bouge. Car chaque concession arrachée par Kiev est une petite défaite pour la narrative russe selon laquelle l’Ukraine serait prête à tout pour arrêter les combats.
Et puis il y a cette phrase, presque passée inaperçue, d’un haut responsable européen : « La Russie devra être présente à la table des négociations. » Ça veut tout dire. On est passé du plan imposé à une vraie discussion tripartite – ou plutôt quadripartite avec les Européens. C’est déjà une forme de victoire diplomatique pour Kiev.
Ce qui coince encore (et qui va continuer à coincer)
Maintenant, soyons honnêtes : certains points semblent irrésolvables à court terme.
- Le statut des territoires occupés (Crimée comprise) : Moscou veut une reconnaissance définitive, Kiev refuse catégoriquement.
- Les garanties de sécurité : l’Ukraine veut des engagements fermes (idéalement l’OTAN), la Russie veut un statut de neutralité gravé dans le marbre.
- La question des responsables de crimes de guerre : amnistie générale ou justice internationale ? Le fossé est abyssal.
On peut tourner ça comme on veut, mais ces trois dossiers sont des bombes à retardement. Et personne n’a encore trouvé la formule magique qui désamorcerait tout sans faire exploser le processus.
Un calendrier sous haute tension
Officiellement, il n’y a plus de deadline. L’ultimatum initial a été levé. Mais tout le monde sait que dès janvier, avec l’investiture américaine, la pression va remonter en flèche. Les Européens veulent un texte bouclé avant que la nouvelle équipe ne prenne ses marques. Kiev veut des garanties écrites. Moscou veut des concessions rapides.
Résultat : on assiste à une course contre la montre où chaque jour compte. Et où chaque mot pèse des tonnes.
Et les Ukrainiens dans tout ça ?
La question que personne ne pose assez, c’est : qu’en pense la population ? Parce que signer un accord impopulaire, même pour arrêter les bombardements, c’est prendre le risque d’une fracture interne définitive.
Les sondages récents sont clairs : une immense majorité refuse de céder un pouce de territoire. Le retour des prisonniers et des enfants est une exigence absolue. Quant à l’idée d’une amnistie pour les crimes de Bucha, Marioupol ou ailleurs… elle est tout simplement inenvisageable pour la plupart.
Zelensky marche sur une corde raide. Il doit négocier sans apparaître comme celui qui a vendu le pays. Et il doit le faire alors que les sirènes retentissent encore toutes les nuits.
Vers une paix en deux temps ?
Certains diplomates commencent à évoquer, en off, l’idée d’un accord en deux étapes. D’abord un cessez-le-feu robuste avec retrait partiel des troupes et échange massif de prisonniers. Ensuite, sur plusieurs années, la discussion des points les plus durs (statut des territoires, garanties de sécurité, réparations).
L’avantage ? On arrête les morts tout de suite. L’inconvénient ? On gèle le conflit et on prend le risque que la Russie se réarme tranquillement. C’est exactement ce qu’Emmanuel Macron appelait récemment « l’absence d’éléments de dissuasion ».
Ce que je retiens personnellement
Après avoir suivi ce dossier depuis le premier jour, je dois dire que l’évolution des dernières 72 heures est à la fois encourageante et terrifiante. Encourageante parce qu’on parle enfin d’enfants qui pourraient rentrer chez eux, de prisonniers qui reverraient leurs familles. Terrifiante parce qu’on sent que la fenêtre est étroite et que le prix à payer reste énorme.
On nous avait promis une guerre éclair. On a eu une guerre d’usure. Aujourd’hui, on nous propose une paix boiteuse. Reste à savoir si l’Ukraine aura la force – et le soutien – de transformer cette paix boiteuse en quelque chose de viable. Ou si, comme trop souvent dans l’Histoire, on signera un papier qui ne tiendra que le temps que l’encre sèche.
Pour l’instant, une chose est sûre : Volodymyr Zelensky ne signera rien qui ressemble à une capitulation. Il l’a répété cent fois. Et ce lundi, il vient de le prouver une fois de plus.
La suite des négociations s’annonce tendue, passionnée, peut-être historique. On croise les doigts. Pas pour une paix à n’importe quel prix, mais pour une paix qui permette à l’Ukraine de rester debout. Debout et entière.
