Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il advient vraiment d’un enfant quand un juge décide de le retirer à ses parents ? Et surtout, quand ils sont plusieurs frères et sœurs ? Trop souvent, la réponse fait mal : on les disperse, parfois à des centaines de kilomètres. Pourtant, en Bretagne, quelque chose est en train de changer. Profondément.
À quelques encablures de la plage, dans une petite commune du sud Finistère, un projet un peu fou prend forme. Six maisons neuves, un grand jardin, la mer à deux pas. Rien d’un foyer classique. Ici, on ne parle pas de « placement » mais de reconstruction familiale. Et franchement, quand on voit le résultat en cours de chantier, on se dit que c’était temps que quelqu’un ose.
Un village pour ne plus jamais séparer les fratries
Le concept n’est pas nouveau en France – il existe déjà une petite vingtaine de lieux similaires – mais en Bretagne, c’est une première. Dès avril 2026, le village de Treffiagat accueillera 36 enfants et adolescents, de la naissance à 18 ans. L’idée est simple sur le papier, révolutionnaire dans les faits : une fratrie = une maison. Frères, sœurs, demi-frères, demi-sœurs… peu importe le lien exact, tant qu’ils se connaissent et s’aiment déjà.
Parce que oui, perdre ses parents, c’est déjà un drame. Perdre aussi ses frères et sœurs ? C’est souvent la goutte qui fait déborder un cœur d’enfant.
Comment ça marche concrètement ?
Chaque maison ressemble à une vraie maison familiale. Cuisine ouverte, salon cosy, chambres personnalisables. Six enfants maximum par logement, accompagnés 24h/24 par un binôme d’éducateurs familiaux. Ces derniers vivent littéralement avec les enfants, dorment sur place, font les courses, aident aux devoirs, organisent les anniversaires. Ils changent toutes les une à deux semaines pour éviter l’usure, mais le duo reste stable sur la durée.
« L’éducateur familial, c’est un peu le parent de substitution, mais sans jamais remplacer les vrais parents. On est là pour créer un cadre sécurisant où les enfants peuvent continuer à grandir ensemble. »
Une directrice de développement spécialisée dans ces villages
Et ça change tout. Les études le montrent depuis longtemps : maintenir le lien fraternel diminue fortement les troubles du comportement, l’anxiété, les fugues. Un grand frère reste un grand frère, même quand tout le reste s’écroule.
Treffiagat n’a pas hésité une seconde
Retour en 2022. Le département du Finistère lance un appel. Qui veut bien accueillir un de ces villages ? Plusieurs communes se manifestent. Treffiagat gagne. La maire, Nathalie Carrot-Tanneau, se souvient encore de la décision collective :
« On s’est dit : on a la mer, des écoles de qualité, des associations dynamiques… Pourquoi pas nous ? Ces enfants méritent le meilleur, pas juste un toit. »
La commune vend un terrain de près de 6 000 m² à prix très doux. Le geste est fort. Le terrain est idéal : à deux pas du complexe sportif, des écoles, du front de mer. Aujourd’hui, quand on passe devant le chantier, on sent déjà la fierté locale.
D’ailleurs, l’intégration a commencé bien avant l’ouverture officielle. Une douzaine d’enfants vivent déjà dans des gîtes sur la commune, scolarisés dans les écoles publiques et privées du secteur. L’Amicale Laïque propose même l’aide aux devoirs. Les habitants jouent le jeu. C’est rare, et c’est beau.
Un modèle économique qui tient la route
On me demande souvent : mais qui paie ? La fondation qui porte le projet avance tous les investissements – terrain, construction, ameublement. Une fois le village ouvert, le département rembourse au jour le jour, par enfant accueilli. Le système existe depuis des décennies et fonctionne plutôt bien. Pas de subventions miracles, juste une prise en charge publique classique, mais réorientée vers un modèle plus humain.
- Coût moyen par enfant et par jour : équivalent à celui d’un foyer traditionnel
- Mais avec un taux de réussite éducative bien supérieur
- Et surtout, des fratries préservées
En clair ? Ce n’est pas plus cher. C’est juste mieux pensé.
Et ailleurs en Bretagne ?
Treffiagat ne sera pas seul longtemps. Plus au nord, à Pleyben, un second village est en construction. Même principe, même ambition. La Bretagne, terre d’accueil ? On commence à y croire sérieusement.
Entre la mer, les légendes et cette nouvelle génération de structures d’accueil, la région renoue peut-être avec une forme de solidarité ancienne. Celle où on ne laisse personne au bord du chemin. Surtout pas les enfants.
Pourquoi ce sujet me touche autant
Je vais être honnête. Quand j’ai découvert ce projet, j’ai eu les larmes aux yeux. Pas par sensiblerie facile, non. Plutôt parce que j’ai croisé, au fil de reportages, trop d’adolescents qui n’avaient plus personne à appeler « famille » après un placement. Un grand frère en foyer à Brest, une petite sœur en famille d’accueil à Quimper… Des vies brisées deux fois.
Alors voir des communes, des associations, des éducateurs se battre pour que ça n’arrive plus, ça redonne foi en l’humain. Et oui, parfois, un article de blog peut aussi être une façon de dire merci.
En 2026, quand les premières fratries franchiront le portail de Treffiagat, elles ne sauront peut-être pas tout ce qu’il a fallu déplacer comme montagnes pour en arriver là. Mais elles auront la mer devant elles, leurs frères et sœurs à côté, et des adultes qui croient encore que l’enfance mérite qu’on se batte pour elle.
Et ça, franchement, ça vaut tous les discours.
Si ce sujet vous touche, partagez-le. Parce que parfois, changer le monde commence par en parler autour de soi. Et qui sait, peut-être qu’une autre commune, ailleurs en France, se dira : « Pourquoi pas nous ? »
