Imaginez-vous obligée de demander la permission pour acheter du pain. Ou de voir votre carte bancaire bloquée parce que « c’est mieux comme ça ». Pour des milliers de femmes en France, ce n’est pas un cauchemar, c’est le quotidien. Et parfois, le premier pas vers la liberté commence par une chose aussi banale qu’ouvrir un compte bancaire à son nom.
C’est exactement ce qui change aujourd’hui, à la veille de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Un compte ouvert en 24 heures : la nouvelle arme contre l’emprise financière
À partir de ce lundi, près de 3 000 bureaux de poste équipés d’un conseiller financier proposent une procédure express : un compte à vue ouvert en moins de 24 heures, en toute confidentialité, pour les femmes victimes de violences. Pas de justificatif de domicile classique, une simple attestation d’hébergement (souvent fournie par une association) suffit avec la carte d’identité.
Pourquoi un bureau de poste plutôt qu’une agence bancaire traditionnelle ? Parce que c’est un lieu neutre. On peut y entrer sous prétexte d’acheter des timbres ou d’envoyer un colis. Personne ne se doute de rien. Et c’est souvent là que réside la première possibilité de respirer.
« Un bureau de poste, c’est un endroit où l’on passe sans raison particulière. C’est précieux quand on vit sous contrôle permanent. »
– Une responsable des clientèles vulnérables
La violence économique, cette forme silencieuse qui détruit des vies
On parle beaucoup des coups. Moins de l’argent qu’on vous retire. Pourtant, priver une femme de ressources financières est l’une des méthodes les plus efficaces pour la maintenir captive. Pas d’argent = pas de billet de train, pas de chambre d’hôtel, pas de courses pour les enfants. Rien.
Récemment, une grande enquête a révélé un chiffre qui donne le vertige : en un an seulement, la part des femmes en couple déclarant ne pas avoir l’usage d’un compte bancaire personnel est passée de 23 % à 28 %. C’est une régression brutale. Et ça veut dire que des dizaines de milliers de femmes supplémentaires se retrouvent aujourd’hui sans la moindre autonomie financière.
- Carte bancaire confisquée ou code changé régulièrement
- Interdiction formelle de travailler ou de gérer l’argent du ménage
- Retrait systématique des espèces dès qu’elles sont versées
- Menaces si la victime tente d’ouvrir un compte secret
Ces mécanismes sont si bien rodés que beaucoup de victimes ne réalisent même pas qu’elles subissent une forme de violence. Elles pensent simplement qu’« il gère mieux l’argent » ou que « c’est normal dans un couple ».
Comment fonctionne concrètement le dispositif express ?
La démarche est pensée pour être la plus simple et la plus sûre possible.
- La femme se présente seule ou accompagnée d’une travailleuse sociale dans un bureau de poste disposant d’un conseiller financier.
- Elle fournit sa pièce d’identité et une attestation d’hébergement (délivrée par une association ou un centre d’accueil).
- Le conseiller active la procédure « urgence violences ».
- Le compte est ouvert sous 24 heures maximum, avec carte bancaire et accès en ligne immédiats.
Pendant l’expérimentation menée depuis le début de l’année dans une trentaine de bureaux, le bilan est déjà parlant : environ 150 femmes ont pu bénéficier de cette mesure, et on observe désormais l’ouverture d’un compte par bureau et par mois en moyenne. Avec la généralisation à 3 000 points de vente, le volume va exploser.
Payant ou gratuit ? La question qui dérange
Voici le point qui fait grincer des dents : contrairement à certaines offres lancées par d’autres établissements (parfois gratuites pendant un ou deux ans), ce compte reste payant. Le tarif démarre à 2,60 € par mois, sauf pour les femmes en situation de très grande fragilité pour lesquelles il tombe à 1 € symbolique.
Est-ce choquant ? Un peu, soyons honnêtes. Quand on fuit pour sauver sa vie, on n’a pas forcément envie de payer des frais bancaires. Mais il faut aussi reconnaître que maintenir un réseau de 3 000 points d’accès physiques avec une procédure express a un coût. Et que le symbole du « 1 € » pour les plus précaires reste extrêmement bas.
« L’important, c’est que le compte existe et qu’il soit ouvert immédiatement. Le prix, on en discute après, quand la sécurité est assurée. »
– Une travailleuse sociale en première ligne
Pourquoi cette mesure arrive-t-elle seulement maintenant ?
En réalité, d’autres acteurs bancaires ont ouvert la voie ces derniers mois. Une caisse régionale a été la première à dégainé au printemps 2024 avec deux ans de gratuité totale. Un grand réseau mutualiste a suivi en juillet. Mais la force de l’initiative actuelle, c’est sa couverture territoriale : aucun autre établissement ne dispose d’un maillage aussi dense, notamment en zone rurale.
J’ai moi-même grandi dans un petit village où la banque la plus proche était à 25 km. Je mesure la chance que représente un bureau de poste à 800 mètres à pied quand on n’a plus accès à la voiture familiale.
Au-delà du compte : un écosystème qui se met en place
Ce qui est intéressant, c’est que le dispositif ne sort pas de nulle part. Il a été co-construit avec les grandes associations nationales qui accompagnent les femmes au quotidien. Les travailleurs sociaux connaissent désormais la procédure par cœur et peuvent orienter immédiatement.
Dans les prochains jours, des livrets d’information sur les violences économiques seront même distribués dans certaines agences. Parce que sensibiliser, c’est déjà agir.
Et après ? Les vrais défis qui restent
Ouvrir un compte, c’est bien. Mais ensuite ? Il faut y faire virer un salaire, une aide sociale, une pension alimentaire. Il faut bloquer les prélèvements du conjoint violent. Il faut parfois changer de département en urgence. Tout cela demande un accompagnement sur la durée.
Le chemin vers l’autonomie financière totale est long. Mais aujourd’hui, des milliers de femmes viennent de gagner un outil concret, immédiat et discret. Et dans l’urgence, c’est souvent ce qui fait la différence entre rester et partir.
Alors oui, 2,60 € par mois, ça peut sembler dérisoire ou révoltant selon le point de vue. Moi je choisis de voir le verre à moitié plein : pour la première fois, la France entière est couverte par un réseau capable de transformer un bureau de poste en porte de sortie.
Parce que parfois, la liberté commence par un simple RIB à son nom.
(Article mis à jour le 23 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
