Il y a des matins où ouvrir les yeux fait mal. Et puis un jour, le même geste devient une petite victoire. Fatna, elle, le sait mieux que personne. Quand elle tourne la clé de son nouvel appartement, elle ne fait pas que rentrer chez elle : elle referme, enfin, une porte sur des années de cauchemar.
Ce 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, son histoire prend une résonance particulière. Parce qu’elle est l’exemple vivant que, même après l’impensable, on peut se relever. Et parfois même revivre plus fort.
Une renaissance derrière une simple porte d’appartement
Octobre dernier. Fatna pose ses cartons dans un trois-pièces clair, quelque part dans le Val-d’Oise. Rien d’extraordinaire pour beaucoup, tout pour elle. Le bail est à son nom. Le loyer, pris en charge en grande partie par un dispositif départemental spécialement conçu pour les femmes victimes de violences. Un luxe devenu nécessité.
Elle a acheté un tapis, des rideaux légers, quelques plantes. Des détails qui paraissent banals mais qui, pour elle, crient l’autonomie. « C’est la première fois que je choisis quelque chose uniquement pour moi », confie-t-elle, la voix encore tremblante d’émotion quand elle en parle.
« Je suis une survivante. »
Fatna
Mariage arrangé, descente aux enfers
Retour en arrière. Elle a 18 ans quand elle quitte le Maroc pour rejoindre son mari, déjà installé en France. Le rêve classique : amour, papiers, nouvelle vie. Sauf que la réalité claque comme une gifle dès l’aéroport.
Chez la belle-famille, en Seine-Saint-Denis, elle découvre sa vraie place : bonne à tout faire. Villa immense, réceptions fréquentes, invités nombreux. C’est elle qui nettoie, cuisine, sert. Du matin au soir. Et quand elle ose se plaindre, on lui rappelle qu’une épouse doit obéir.
Les mots sont durs, mais c’est le quotidien qui use. On lui répète qu’elle n’est rien sans eux. Qu’elle ne parle pas bien français. Qu’elle n’a pas d’argent, pas de famille ici. L’emprise s’installe doucement, insidieusement.
- Interdiction de sortir seule
- Contrôle du téléphone et des rares euros qu’elle possède
- Menaces de la renvoyer au Maroc si elle « fait des histoires »
- Humiliations devant les enfants naissants
Elle tient. Parce qu’on lui a appris que le mariage, c’est pour la vie. Parce qu’elle aime ses enfants. Et parce qu’elle ne voit pas d’issue.
Le déclic : « Je ne veux pas que mes enfants grandissent là-dedans »
Les années passent. Les enfants grandissent et commencent à reproduire certains schémas. C’est le choc. Fatna réalise que si elle ne bouge pas, le cycle continuera. Elle prend alors la décision la plus difficile de sa vie : partir.
Mais partir quand on n’a rien, c’est un parcours du combattant. Hébergement d’urgence, foyer, hôtels sociaux… Elle enchaîne les solutions précaires. Le divorce traîne. L’ex-mari conteste tout. Et pourtant, elle tient bon.
Puis vient la rencontre avec une association locale. Des femmes qui comprennent, qui écoutent sans juger. Elles lui parlent du dispositif de relogement prioritaire mis en place par le département. Un coup de pouce rare, réservé aux situations les plus graves.
Un dispositif qui change la donne
Concrètement, ce système permet à des femmes en danger ou en grande précarité post-violence d’accéder rapidement à un logement social. Pas d’attente interminable, pas de liste d’attente à rallonge. Une commission examine le dossier en urgence et propose un appartement adapté.
Ce mardi 25 novembre, ce dispositif va d’ailleurs être élargi. Plus de places, plus de moyens, plus de rapidité. Une bonne nouvelle quand on sait que le logement reste le premier frein à la sortie définitive des violences.
Parce que oui, fuir c’est bien. Mais où aller ensuite ? Sans toit stable, impossible de se reconstruire, de retrouver un emploi, de scolariser correctement les enfants. Le logement, c’est la première pierre de la reconstruction.
« Sans cet appartement, je serais encore en train de galérer entre foyers et hôtels. Là, j’ai enfin pu respirer. »
Du bénévolat à l’emploi : reprendre pied
Aujourd’hui, Fatna travaille. Un contrat d’accueil dans l’association qui l’a aidée. Un an de bénévolat d’abord, pour se remettre en selle, reprendre confiance. Puis l’embauche. Un salaire, aussi modeste soit-il. Une fierté immense.
Elle accueille désormais d’autres femmes, celles qui arrivent perdues, effrayées, exactement comme elle il y a quelques années. Et quand elle leur dit « ça va aller », elle sait de quoi elle parle.
Les enfants, eux, ont leur chambre. Ils dorment mieux. Sourient plus. L’aîné commence à parler de ses projets d’études. Des choses banales qui, dans leur ancienne vie, semblaient inaccessibles.
Les violences conjugales, un fléau qui ne recule pas assez
En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Des milliers d’autres survivent, mais portent des cicatrices invisibles. L’actualité nous le rappelle sans cesse.
Et derrière les chiffres, il y a des Fatna par centaines. Des femmes qui ont tout perdu avant de tout reconstruire. Des mères qui se battent pour que leurs enfants ne reproduisent jamais ce qu’elles ont vécu.
Le chemin est long. La peur ne disparaît pas d’un claquement de doigts. Les cauchemars reviennent parfois. Mais chaque matin dans son appartement, Fatna se répète la même chose : elle est libre.
Et demain ?
Elle rêve d’agrandir son salon, d’acheter un vrai canapé, de partir une semaine en vacances avec les enfants. Des projets simples, presque enfantins. Mais qui ont le goût de la vraie vie.
En attendant, elle continue. Elle accompagne, elle témoigne, elle sourit. Parce qu’elle sait que son histoire peut en sauver d’autres. Que dire « j’ai survécu » peut donner le courage à une autre de franchir le pas.
Alors oui, ce 25 novembre n’est pas qu’une journée de plus. Pour Fatna et tant d’autres, c’est le rappel qu’on peut transformer la douleur en force. Et qu’un appartement, parfois, c’est bien plus qu’un toit : c’est le début d’une nouvelle vie.
Si vous ou une proche êtes concernée, n’hésitez pas à composer le 3919. C’est anonyme, gratuit, et disponible 24h/24. Parce que personne ne devrait avoir à vivre ça. Jamais.
