Dimanche après-midi, terrain boueux quelque part en région parisienne. Un homme de 49 ans en noir siffle la fin d’un match de district. Ce devrait être un moment banal, presque poétique pour qui aime le foot populaire. Pourtant, il sait déjà que dans quelques minutes, ça va encore dégénérer.
Depuis le début de la saison, c’est la même rengaine : injures, menaces, parfois des gestes qui dépassent largement les limites du supportable. Et lui, comme des centaines d’autres, se demande sérieusement jusqu’à quand il continuera à prendre des risques pour une passion qui semble devenue toxique.
Un cri d’alarme qui résonne dans tout le foot amateur
Stéphane – appelons-le comme ça, même si ce n’est pas son vrai prénom – arbitre depuis dix-neuf ans, a décidé de parler. Pas pour se plaindre, non. Mais parce qu’il sent que le point de rupture est proche. Très proche.
« On s’accroche encore un peu à notre passion », confie-t-il, la voix fatiguée, « mais franchement, ça devient de plus en plus compliqué. » Et quand on écoute ce qu’il vit presque chaque week-end, on comprend vite pourquoi.
Des insultes qui dépassent l’entendement
Ce n’est plus seulement le classique « arbitre vendus » ou les noms d’oiseaux qu’on entendait déjà il y a vingt ans. Aujourd’hui, c’est devenu personnel. Violent. Parfois raciste.
« On me traite de tous les noms, on me dit que je vais me faire crever, que ma famille va payer… Et le pire, c’est que ça vient aussi des bancs de touche, des éducateurs censés montrer l’exemple. »
Il raconte une rencontre où un joueur l’a suivi jusqu’au parking après le match, juste pour lui répéter en face qu’il « allait le retrouver ». Une autre où un parent a franché la main courante pour venir lui expliquer, à 10 centimètres du visage, comment il allait « finir à l’hôpital ».
Et le racisme ? Il est là, brut, sans filtre. Des « sale arabe », « sale black », « retourne dans ton pays » lancés comme si c’était normal. Des collègues qui arrêtent net quand ils entendent ça, parce qu’ils savent qu’ils seront les prochains sur la liste.
Une question qui glace le sang
Un jour, après un énième incident, Stéphane a lâché cette phrase qui résume tout :
« Il va falloir attendre un coup de couteau pour que quelqu’un réagisse vraiment ? »
Cette question, il ne l’a pas posée pour faire le buzz. Il l’a posée parce qu’il y pense. Parce que certains de ses collègues y pensent aussi, la nuit, quand ils rentrent chez eux après un match pourri.
Et le pire dans tout ça ? C’est que ça n’arrive pas qu’à lui. Loin de là.
Un phénomène national qui s’aggrave
Dans les boucles WhatsApp des arbitres, c’est l’hécatombe. Chaque week-end amène son lot d’histoires hallucinantes. Des reports de matchs parce qu’aucun arbitre n’accepte de s’y rendre. Des jeunes qui arrêtent après six mois seulement. Des anciens qui raccrochent le sifflet après trente ans de bons et loyaux services.
- Un arbitre prend un coup de poing en pleine figure dans le Nord
- Un autre se fait cracher dessus en Île-de-France
- Un troisième reçoit des menaces sur les réseaux sociaux avec photo de sa maison
- Une femme arbitre abandonne après avoir été insultée sur son physique et menacée de viol
Et pendant ce temps, les instances ? Elles sanctionnent, oui. Des amendes, des suspensions de terrain. Mais est-ce que ça change vraiment quelque chose sur le terrain le dimanche suivant ? Pas sûr.
Pourquoi on en arrive là ?
Je me pose souvent la question. Moi qui ai joué en district pendant des années, qui ai vu des matchs dégénérer pour un simple hors-jeu. À l’époque déjà, c’était tendu. Mais là, on a franchi un cap.
Il y a plusieurs raisons, je pense :
- La pression des réseaux sociaux qui amplifie chaque décision
- Les parents qui vivent le match de leur gamin comme une finale de Coupe du monde
- Le sentiment d’impunité : « de toute façon, il ne se passera rien »
- Le manque cruel d’arbitres qui fait qu’on envoie parfois des débutants sur des matchs à risque
- Et surtout, l’absence de vrai dialogue entre clubs, éducateurs et arbitres
Résultat ? Le football amateur, celui des copains, des villages, du plaisir simple, est en train de mourir à petit feu. Et personne ne semble vouloir l’admettre vraiment.
Les solutions existent, mais qui les applique ?
Pourtant, des idées, il y en a. Et pas seulement des belles paroles.
Certains districts expérimentent les matchs sans spectateurs pour les clubs récidivistes. Radical, mais efficace. D’autres mettent en place des référents respect dans chaque club, obligatoires. Il y a aussi les cartons blancs pour les comportements antisportifs légers, histoire de calmer le jeu avant que ça parte en vrille.
Mais le problème, c’est l’application. Et la volonté politique.
« On nous parle de respect, de valeurs, mais quand un club est sanctionné financièrement, c’est le président qui paye de sa poche. Et le lendemain, c’est reparti comme avant. »
Un arbitre expérimenté
Ce qu’il faudrait, c’est du courage. Vraiment.
Et nous, on fait quoi ?
Parce qu’au final, on est tous concernés. Toi qui lis ces lignes, peut-être que tu vas au foot le dimanche avec tes potes. Peut-être que tu accompagnes ton fils à ses matchs. Peut-être que tu es éducateur, dirigeant, ou simple spectateur.
On a tous une part de responsabilité.
La prochaine fois que tu verras un arbitre se faire insulter, tu feras quoi ? Tu resteras les bras croisés ? Ou tu iras dire à l’autre supporter que ça suffit ?
Parce que si on continue comme ça, un jour, il n’y aura plus personne pour siffler les matchs. Et là, on pourra toujours pleurer.
Mais il sera trop tard.
Stéphane, lui, continue. Pour l’instant. Parce qu’il aime ça. Parce qu’il croit encore que le foot, c’est beau. Mais chaque week-end, il se pose la même question :
Jusqu’à quand ?
Et franchement, on devrait tous se la poser.
