Imaginez une adolescente de 14 ans qui court après ses rêves, qui croit dur comme fer que son entraîneur est le seul à pouvoir la mener au sommet. Et puis, petit à petit, les compliments deviennent trop appuyés, les messages trop fréquents, les entraînements individuels trop longs. Un jour, elle comprend que la porte du vestiaire est fermée à clé. Ce n’est pas un film. C’est la réalité qu’ont vécue plusieurs jeunes filles dans un club d’athlétisme des Yvelines.
Ce mardi 25 novembre 2025, la cour d’appel de Versailles va se pencher sur une partie seulement de cette histoire glaçante. Trois victimes refusent d’accepter le non-lieu partiel prononcé en juillet dernier par la juge d’instruction. Pour elles, il n’y a pas de doute : l’homme qui les a coachées pendant des années a franchi toutes les lignes rouges.
Une affaire qui a brisé des vies sous couvert de performance
Le Club Athlétique de l’Ouest, basé à Saint-Germain-en-Laye, était une institution. Fondé en 1954, il a formé des générations de coureurs. À sa tête pendant longtemps : un homme charismatique, président et entraîneur tout à la fois. Pour les parents, c’était le gage de sérieux. Pour certaines adolescentes, ça a viré au cauchemar.
Entre 2007 et 2019, six anciennes athlètes ont porté plainte. Les faits présumés ? Des viols, des agressions sexuelles, du harcèlement moral et sexuel. Des jeunes filles isolées du groupe, complimentées sur leur physique plus que sur leurs chronos, bombardées de messages la nuit, culpabilisées si elles osaient dire non. Le schéma classique de l’emprise, mais dans l’univers feutré du sport amateur.
Le non-lieu partiel : un coup de massue pour les victimes
En juillet 2025, la nouvelle est tombée comme un couperet : la juge a prononcé un non-lieu partiel. Certaines qualifications – notamment les viols et une partie du harcèlement sexuel – sont écartées pour trois des plaignantes. Motif principal ? Le doute sur la contrainte morale et l’insuffisance de preuves matérielles directes après tant d’années.
Je vous avoue que quand on lit ça, on a le ventre noué. Parce que dans ce genre d’affaires, les traces physiques disparaissent vite. Ce qui reste, c’est la parole. Et la parole, quand elle arrive dix ou quinze ans après, elle est forcément mise en doute. C’est la dure réalité des faits prescrits ou presque.
« On nous demande des preuves qu’on ne peut pas apporter, alors qu’on était des gamines terrorisées. »
– Témoignage recueilli par les avocates des parties civiles
L’emprise, cette notion encore trop floue pour la justice ?
C’est là tout le cœur du débat qui sera examiné ce mardi. Les avocates des victimes martèlent que leurs clientes étaient sous une emprise totale. L’entraîneur contrôlait tout : les entraînements, les compétitions, mais aussi les relations sociales, les téléphones, parfois même les petits copains. Certaines disent qu’il les suivait jusque chez elles.
Dans le sport de haut niveau – même amateur – l’entraîneur est une figure quasi divine. Quand il dit « c’est pour ton bien », « c’est pour que tu gagnes », « personne d’autre ne croit en toi comme moi », ça rentre dans la tête d’une ado. Et quand il franchit la ligne, elle se sent coupable. Coupable d’avoir accepté les câlins « réconfortants ». Coupable d’avoir répondu aux messages à 2 heures du matin.
- Isolation progressive du reste de l’équipe
- Compliments ambigus qui deviennent insistants
- Cadeaux, attentions particulières
- Menaces voilées de mettre fin à la carrière sportive
- Culpabilisation permanente
Ce n’est pas une liste inventée. C’est le mode opératoire décrit, presque mot pour mot, par plusieurs victimes indépendantes les unes des autres.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour parler ?
C’est la question qui revient toujours. Et franchement, elle est épuisante pour les victimes. Quand on est ado, on n’a pas les mots. On croit que c’est normal, que « c’est le prix à payer » pour réussir. Et puis il y a la honte. La peur de ne pas être crue. La peur de briser la famille, le club, les copines.
Et puis un jour, on entend une autre histoire. On lit #MeTooSport. On va voir une psy. Et tout remonte. Comme un tsunami. Certaines victimes ont parlé en 2020, plus de dix ans après les premiers faits. D’autres encore plus tard.
La première plainte a tout déclenché. Les langues se sont déliées. Six femmes au total. Des profils différents, des époques différentes, mais le même récit. Ça, ça pèse lourd, même pour un magistrat.
Le sport amateur, un terrain encore mal protégé
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est qu’on parle d’un petit club de quartier. Pas d’un grand centre fédéral avec des psychologues et des cellules de signalement. Juste un président-entraîneur qui avait tous les pouvoirs. Et personne pour vérifier.
Depuis, le club a été dissous. Mais combien d’autres clubs fonctionnent encore comme ça en France ? Combien d’entraîneurs bénévoles ou semi-pro ont un ascendant total sur des gamins sans aucun contrôle ? La question mérite d’être posée. Vraiment.
Ce qui se joue ce mardi à Versailles
L’audience ne portera que sur l’appel des trois victimes concernées par le non-lieu partiel. Les magistrates de la chambre de l’instruction vont devoir trancher : est-ce que l’emprise caractérisée peut remplacer la violence physique pour qualifier un viol ? Est-ce que des témoignages concordants, même tardifs, suffisent quand il n’y a plus de traces ADN ?
Ce n’est pas un procès. Juste une étape. Mais elle est décisive. Si la cour infirme le non-lieu, l’entraîneur pourrait être renvoyé devant une cour d’assises. Si elle confirme… ce sera un signal terrible pour toutes les victimes qui hésitent encore à parler.
Et après ? La reconstruction, un autre marathon
Peu importe la décision de mardi, ces femmes porteront ça toute leur vie. Certaines ne courent plus du tout. D’autres ont repris, mais jamais dans un club. Elles parlent de flashs pendant l’effort, de crises d’angoisse sur la ligne de départ.
Elles se battent aussi pour que ça n’arrive plus. Pour que les fédérations mettent enfin des vrais garde-fous. Pour que les parents sachent repérer les signaux. Pour qu’on arrête de dire « c’est un super coach, il est dur mais il obtient des résultats ».
Parce qu’au bout du compte, aucune médaille ne vaut ça.
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Elle rappelle d’autres scandales dans la gymnastique, le patinage, l’équitation. Le sport, censé être un espace de dépassement de soi, devient parfois un terrain de prédation. Espérons que cette audience, quelle que soit son issue, fera bouger les lignes. Parce que derrière les chronos et les podiums, il y a des vies brisées qu’on ne répare pas en un 100 mètres.
