Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez vu une très jeune fille, pas plus de huit ou neuf ans, le visage encadré d’un voile, marchant sagement à côté de ses parents ? Moi oui. C’était il y a quelques années dans une grande ville de banlieue, et cette image m’avait laissé un sentiment étrange, entre malaise et impuissance. Aujourd’hui, ce malaise a un nom politique : Laurent Wauquiez veut faire de cette scène quelque chose d’illégal.
Le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale s’apprête à déposer une proposition de loi qui, si elle était adoptée, marquerait un tournant majeur dans la longue histoire française du rapport entre religion et espace public.
Une interdiction inédite ciblant spécifiquement les mineures
Concrètement, le texte vise à modifier la loi du 11 octobre 2010 – celle qui interdit déjà la dissimulation du visage – pour y ajouter une disposition claire : il deviendrait interdit à un parent de contraindre ou même d’autoriser sa fille mineure à porter le voile dans l’espace public. Oui, vous avez bien lu : même autoriser serait prohibé.
Ce n’est pas une simple extension technique. C’est une petite révolution juridique qui placerait la République en tutrice directe des choix vestimentaires religieux des enfants.
« Le voilement d’une enfant revient à instiller dans son jeune esprit des conceptions aussi éloignées de la civilité française que l’infériorité de la femme ou que sa responsabilité dans l’attirance que la vision de sa chevelure pourrait susciter chez l’homme. »
Extrait de l’exposé des motifs de la proposition de loi
Cette phrase, signée Laurent Wauquiez, ne passe pas inaperçue. Elle pose brutalement la question : à partir de quel âge une petite fille peut-elle être considérée comme responsable de son apparence religieuse ?
D’où vient cette soudaine urgence législative ?
Le député s’appuie sur un constat répété ces dernières années : l’augmentation très visible du nombre de très jeunes filles voilées dans certaines villes. Des écoles primaires aux sorties de métro, le phénomène n’est plus marginal. Des enseignants, des éducateurs, parfois même des parents eux-mêmes tirent la sonnette d’alarme.
Ce qui choque particulièrement ? L’âge. On parle d’enfants de 5, 6, 8 ans. Des âges où, dans l’imaginaire collectif français, on porte encore des cartables à roulettes et des barrettes Hello Kitty, pas un signe religieux aussi lourd de sens.
- Des fillettes voilées dès la maternelle dans certains quartiers
- Des photos devenues virales sur les réseaux sociaux montrant des bambines en hijab lors de sorties scolaires
- Des témoignages d’instituteurs dépassés face à des parents qui expliquent que « c’est son choix à elle »… alors qu’elle n’a pas 10 ans
Pour Wauquiez, il ne s’agit pas d’un choix libre. Un enfant, par définition, n’a pas la maturité nécessaire pour décider seul de porter un signe aussi engagé. Derrière chaque petite fille voilée, il y aurait donc une pression familiale, communautaire, parfois idéologique.
La protection de l’enfance comme argument massue
C’est là que la proposition devient intéressante sur le plan juridique. Elle ne s’attaque pas directement à la liberté religieuse des parents (ce qui serait probablement censuré). Elle se place sur le terrain de la protection des mineurs.
En gros : la République considère qu’une enfant n’a pas à porter le poids symbolique du voile avant ses 18 ans. Point final. C’est une forme de tutelle laïque sur l’éducation religieuse.
J’ai discuté récemment avec une avocate spécialisée en droit des mineurs. Sa réaction ? « Si le texte est bien rédigé, il a de grandes chances de passer le filtre du Conseil constitutionnel. Parce qu’on touche à l’intérêt supérieur de l’enfant, un principe inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant. »
Et la liberté religieuse dans tout ça ?
Évidemment, la question qui brûle toutes les lèvres : est-ce que cela ne viole pas la liberté de conscience ? Après tout, des millions de petites musulmanes portent le voile dans le monde sans que personne ne trouve ça choquant.
La réponse française est connue : notre laïcité n’est pas une laïcité de simple neutralité de l’État. C’est une laïcité active, qui peut limiter l’expression religieuse quand elle estime que l’ordre public ou les valeurs républicaines sont en jeu.
Et pour beaucoup de responsables politiques de droite comme de gauche républicaine, le voile sur une enfant de primaire, c’est déjà du séparatisme en acte.
« On ne naît pas voilée, on le devient. Et quand on le devient à 6 ans, c’est qu’on ne vous a pas vraiment laissé le choix. »
Une formule souvent entendue dans les couloirs de l’Assemblée
Ce qui pourrait changer concrètement si la loi passe
Imaginons un instant que le texte soit voté. Qu’est-ce qui se passerait dans la vraie vie ?
- Une mère qui accompagne sa fille voilée à l’école pourrait se voir rappeler à la loi dès la grille
- Des signalements possibles aux services sociaux en cas de récidive
- Des amendes ? Le texte n’en parle pas encore, mais c’est probable
- Et surtout : une pression énorme sur les familles pratiquantes
Certains y verront une libération. D’autres une humiliation supplémentaire.
Un précédent qui fait déjà débat à l’international
La France ne serait pas le premier pays à légiférer ainsi. Certains cantons suisses ont interdit le voile à l’école jusqu’à 15 ans. En Autriche, une loi similaire existe depuis 2019 pour les moins de 10 ans. Mais aucun pays n’a encore osé l’interdiction totale dans l’espace public pour toutes les mineures.
Si la France franchit le pas, elle deviendra, une fois de plus, le laboratoire mondial de la laïcité dure.
Les réactions ne se sont pas fait attendre
À gauche, certains parlent déjà de « loi stigmatisante ». À l’extrême gauche, on crie à l’islamophobie d’État. Au centre, on hésite : protéger l’enfance ou jeter de l’huile sur le feu des tensions communautaires ?
Même à droite, ça coince parfois. Des élus plus modérés craignent que cette loi ne fasse que renforcer le sentiment de persécution chez certaines familles, les poussant davantage vers l’enseignement privé musulman ou l’école à la maison.
Et puis il y a cette question qu’on n’ose à peine poser : et les garçons ? Pourquoi cibler uniquement les filles ? La réponse est évidente mais gênante : parce que le voile est un marqueur genré. Mais du coup, la loi ne risque-t-elle pas d’être accusée de sexisme à l’envers ?
Et maintenant ?
La proposition va être déposée dans les prochains jours. Elle a très peu de chances d’être votée telle quelle dans l’Assemblée actuelle, fragmentée comme jamais. Mais elle pose une pierre de plus dans le jardin de la future campagne présidentielle.
Car soyons honnêtes : en 2027, la question du voile des mineures sera probablement un sujet aussi clivant que l’immigration ou la sécurité.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce que la République doit intervenir aussi tôt dans l’éducation religieuse des enfants ? Ou est-ce que cela dépasse ses prérogatives ?
Une chose est sûre : le débat ne fait que commencer. Et il promet d’être passionné, douloureux, mais nécessaire.
Parce qu’au fond, derrière les articles de loi et les déclarations politiques, il y a des petites filles bien réelles. Des petites filles qui grandissent entre deux mondes, avec des attentes parfois contradictoires. Et c’est peut-être pour elles, finalement, qu’on devrait avoir cette discussion. Calmement. Mais sans détour.
